L’édition 2017 du Marathon de Paris réunissant 46 000 coureurs, a été une nouvelle fois dominée par les coureurs kenyans. Les victoires ont été distribuées au couple Lonyangata – Rionoripo, mari et femme dans la vie. Mais c’est bien la performance d’Hassan Chahdi qui est à retenir, avec un temps final de 2h 10’20 ». Reportage au coeur du marathon.
Texte Gilles Bertrand
Il est 6 heures. Dans un Boulogne à demi borgne. Rue Fanfan La Tulipe. Il n’y a pas de diseuse de bonne aventure. C’est béton sur béton. Rue du Point du Jour, quelques piétons, quelques vigiles, sur les talons, ronchons. Place René Clair, le Mercure, quelques touristes, dans un Paris en visite éclair. On pousse les valises, grand hall, un vigile en costume. Un panneau, réunion technique à 18 heures. Le QG du Marathon de Paris, c’est bien là.
Il faut descendre quelques marches, l’auditorium est au sous-sol. Athlètes, managers, entraîneurs, juges internationaux également, tout ce petit monde prend place. Sièges rouges, moëlleux. Atmosphère très particulière. Rien de comparable avec le solennel de New York. Le patron du marathon n’est pas là. C’est curieux, c’est ainsi. A New York, pareille réunion débute par des mots, des mercis à tout va, aux bénévoles qui ne sont pas oubliés, aux techniciens qui, tour à tour, se lèvent pour saluer l’assemblée. Ils sont conviés à s’exprimer. En retour, ils sont applaudis. C’est déjà du « good job ». Sur la petite scène de cet auditorium, c’est René Auguin qui fait le boulot. A sa gauche, Dudu de Dijon, il faut l’appeler Fabrice, il préfère. Il est au power point. René est à sa droite, le micro à la main. René n’a pas encore digéré le contrôle positif à l’EPO de Sumgong, la championne olympique de Rio. La nouvelle est tombée depuis 24 heures. Le ciel, la foudre, une météorite lui est tombée sur la tête. C’est mauvais pour les affaires, c’est mauvais pour le marathon. L’agent des athlètes français, le scénariste de ce marathon est dans le coma. Comme si brutalement, un pan de falaise s’était effondré sous ses pieds. La veille, dans les allées du Marathon Expo, il s’interrogeait « Faut-il en arriver à ne plus avoir d’Africains au départ ? » Et de raconter « j’ai commenté une fois sur Eurosport, le marathon de Stockholm qui se gagne en 2h 20’, je t’assure qu’à l’antenne, il y a eu de grands moments de solitude ».
A Paris, Kenyans et Ethiopiens sont bien là, sont encore là. Pas les meilleurs, depuis Bekele en 2014, l’enveloppe consacrée à l’élite s’est réduite. La chasse à la perf., ce n’est pas, ce n’est plus, la stratégie d’ASO qui assure son business sur le gras double du peloton, sur le ventre mou de cette immense famille de runners. Les Africains sont donc là. René Auguin présente les lièvres, les pacers donc. Il demande à Riad, comprenez Riad Ouled, le manager de Hassan Chahdi, les deux hommes n’ont pas toujours été copains « Tu m’écoutes ?». Il ajoute « l’anglais, c’est bon pour tout le monde ?». Yohan Durand assis sur la droite, riposte « c’est mieux en occitan ».
Finalement, cette réunion technique est vite bouclée. Pas de contestation sur les allures prévues pour chaque groupe. Seule question subtile, c’est Gianni DiMadonna qui lève le doigt « Y-a-t-il au départ des athlètes chaussés de la nouvelle Nike ? » Une rumeur court dans la salle. Le manager italien ajoute « car c’est un avantage ». René Auguin interroge à son tour « y-a-t-il un coureur qui demain va courir avec la chaussure Breaking 2 de chez Nike ? ». Pas de réponse, l’affaire est classée, la salle se lève.
A la sortie, Jean François Pontier, le manager fédéral est sûr de son fait « il y aura trois qualifiés sous les 2h 12’ » le temps minima pour les championnats du monde 2017. Les trois noms cités sont Hassan Chahdi, Benjamin Malaty et Jean Damascene Habarurema.
A la sortie, Riad Ouled est moins sûr de lui que le coach fédéral. Il répète plusieurs fois « je dois préparer les bidons, je dois préparer les bidons ». Il tient à la main une poche de supermarché froissée. Il demande « vous n’avez pas du scotch ?». On lui rétorque « un manager doit tout avoir dans ses poches ». On lui glisse « il y a un Carrefour Market pas très loin ». Il répète « je dois faire les bidons » en tripotant les bouchons.
Ce petit monde se disperse, chacun dans sa chambre. Yohann Durand présente ses parents « ce sont eux les vignerons ». Le hall de l’hôtel se vide. Soirée de veillée. René Auguin s’isole au bar en compagnie des juges. Dernières consignes. La nuit sera courte, le départ du bus athlètes est prévu le lendemain à 6h 30. Au plafond, l’histoire du contrôle positif de Sumgong va défiler comme un navet de série B. René Auguin peut méditer.
Sur l’aire de départ, il règne une pagaille, une fourmilière organisée
Il est 6 heures, dans un Paris sans travestis. Rue Pierre Charron. Un Paris à « la mauvaise mine », Dutronc le chantait ainsi. Des éboueurs au taff, des ambianceurs éméchés, « des amoureux fatigués », « entre la nuit et la journée », Dutronc s’invite dans nos pas, dans nos pensées. Subtile nonchalance. Le marathon est à deux pas. Au Deauville, les serveurs en habit marin, ont déjà le sourire aux lèvres. « Le café est dans les tasses ». Premier jus, premier petit noir, Dutronc poursuit sa mélopée. Deux ombres, deux formes, deux hommes sans doute ? Sans âme, sans vie, sans passé, sans avenir, ils dorment, abrutis d’alcool, sous une couverture au pied de l’arche de départ. André Giraud, le nouveau président de la Fédération Française d’Athlétisme marche d’un bon pas « c’est où le point de rencontre ». Des hommes en costumes sombres, mines sombres, l’invitent à rentrer. Il est 7h 15, le Marathon de Paris s’éveille.
Sur l’aire de départ, il règne une pagaille, une fourmilière organisée. Non loin des motos, Christine Mannevy, attend l’heure de mettre son casque. Elle dit « un juge a toujours son casque ». Nouvellement élue au comité directeur de la FFA, cette ancienne marathonienne, elle hésite longtemps pour lâcher son record à 3h 30’, est juge internationale B pour le hors stade. De si bon matin, elle porte un léger filet d’eye liner vert. Elle est anxieuse car c’est elle qui a pour mission de valider les performances féminines. Elle ajoute avec un brin de gourmandise dans la bouche « j’ai le record de 2h 21’ ». Il faut comprendre, c’est elle qui a authentifié le record féminin réalisé à Paris en 2013. Plusieurs fois, elle lève le nez comme pour chercher la queue d’une voie lactée. La couleur bleu azur déjà bien ancrée dans le ciel parisien, lui fait dire « tout est réuni pour que le record soit battu ».
Le départ est donné, Benoît Z s’est accroché, de la main droite, au fer blanc d’une barrière comme un marin à un cordage. De sa position, aux abords de la tribune VIP, il ne peut voir que les têtes passer. Il ne peut voir la grande marée déferler. Il n’est plus capitaine, Hassan Chahdi s’est envolé, serein, étonnamment détendu. Le bruit enveloppe les corps, l’émotion le submerge. C’est les yeux brouillés de larmes, qu’il glisse, la voix cassée « c’est là que tu mesures que le temps passe ». A-t-il des remords sur son passé ? Mesure-t-il les égarements, les errances, les troubles qui l’ont écarté de ce savoir vivre ensemble, dans cette communauté de cœur ? Benoit Z est un affectif, un chair de poule. Il porte un tee-shirt rouge aux couleurs de Mécénat Cardiaque. C’est la couleur de la passion qui l’a dévoré. Il s’est consumé. Quatorze ans après son record d’Europe, ici même, en 2003 avec 2h 06’36’’, c’est un Benoît enfant de cœur qui est revenu. La barbe naissante, le poil grisonnant, 40 ans déjà, l’âge pour se poser les bonnes questions sur hier, sur demain. Certains lui ont pardonné, pas tous, certains écrivent encore « voyou » pour se donner bon genre. Il ajoute « on a vécu ici des bons moments » comme si, dans la lumière du tunnel, les images revenaient, les souvenirs aussi, des sensations, comme cette exaltation suprême de vaincre, quelque soit le coût, quelque soit le penny à glisser dans la fente. Aujourd’hui, Benoit n’a plus les ailes du goéland, il n’est plus l’ange blanc. Albatros au pays des virtuoses du marathon. Jacques Dutronc chantait « L’Arc de Triomphe est ranimé ». Chez Benoit Z, une petite flamme est ranimée. Une larme se coince dans la fente de ces yeux. On se quitte, il ajoute «je pars de suite, ma mère vient chez moi, je dois faire le ménage ».
L’arrivée est à portée de talkie walkie pour une compagnie de CRS. Pour la rejoindre, il faut slalomer parmi cette foule compacte de coureurs qui n’a toujours pas pris le départ. 10 000, peut-être plus, sont encore à quai. Pour eux, le paquebot n’a pas encore sifflé. Ca pisse dans tous les coins, ça s’étire dans tous les recoins. Certains cherchent une cabine pour un gros besoin. Ca se bécote ici et là. C’est finalement décontracté. Personne ne semble se soucier de ce soleil naissant qui bientôt, viendra les griller, les sécher comme de vulgaires gambas. L’Avenue Foch est désormais un no man’s land. On coupe des oranges par milliers, on aligne des médailles par milliers, on entasse des tee-shirts par milliers, un millier de bénévoles est déjà dans l’impatience de réussir l’exploit d’offrir un peu de sourire pour ceux qui ont dû souffrir.
Sur la ligne d’arrivée, chacun prend ses marques, vigiles, volontaires, chronométreurs, staff et presse. Un roquet aboie et vitupère. Il porte un brassard rouge. Il interpelle, discourtois, impoli et colérique. Bref le garde chiourme habituel, il en faut toujours un, même si on se murmure « mais pourquoi aussi peu de délicatesse ? ».
Christelle Daunay, elle, s’est réfugiée dans l’air climatisé de la salle de presse. Deux gros cubes de tôles grises surplombant justement cette ligne d’arrivée. Vue panoramique, vue imprenable. Elle est courbée sur sa chaise, le nez sur un petit écran. Elle griffonne des petits chiffres. Qu’observe-t-elle ? Celle qui est montée trois fois sur le podium à Paris, avec en point d’orgue le record de France, 2h 24’22’’ en 2010, lève le nez pour dire « je m’amuse. Je suis bien ici ». Elle note les temps de passages du groupe femmes. Son compagnon, Frédéric Bouvier, assure le train. Il connaît le boulot. Lors des trois participations de Christelle au Marathon de Paris, celui-ci assurait la garde à ses côtés. Moment d’attention, on annonce 1h 10’18’’ au semi. Christelle plaisante « Ah tu vois, je ne vais pas pouvoir l’engueuler. Il est juste dans le rythme. 3’20’’ au kilo, il est parfait. Sinon, il faisait la vaisselle ce soir ». Elle se retourne « tu ne vas pas écrire cela ? Je plaisantais». Elle s’extrait du marathon quelques instants. Elle parle de sa participation possible ou non lors des prochains championnats de France du 10 000 mètres. A une condition, qu’elle soit en capacité de courir sous les minima ? Elle laisse planer une interrogation. Elle donnera sa réponse dans une semaine. La championne de France de cross 2017 quitte la salle de presse, elle rejoint le couple Montel – Faure au micro de France TV car l’arrivée est proche, elle précise « même de dos, je sais reconnaître un coureur ».
On ne sait pas encore que Paul Lonyangata, le vainqueur homme et Prurity Rionoripo, vainqueur femme sont époux, épouse. Ouf, l’angle est trouvé, l’histoire sera facile à écrire, tout au moins à titrer « un couple en or à Paris ». Cela rappelle le conte de fée des boxeurs Yoka – Mossely, titrés tous les deux en or à Rio. La presse adore.
Mais plus sérieusement, c’est Hassan Chahdi qui est attendu. Jusqu’au bout, il fera durer le plaisir, le suspens. Pour le meilleur, moins de 2h 10’ ? Au pire, les minima pour Londres même s’il est presque acquis qu’il ne sera pas présent au Mondial, le coach se refusant à un tel enchaînement. Une petite silhouette apparaît en fond d’Avenue Foch, l’Avenue de l’Impératrice, l’une des douze avenues de l’Etoile. Hassan veut décrocher son étoile. Marc Maury, de sa voix puissante et chaude, monte le ton et le son. 2h 10’20’’ au final, entre doutes et espérances, entre craintes et violence, l’élève de Jean-Claude Vollmer réussit son petit tour de magie, dauphin de la place Dauphine. La veille et l’avant-veille, il s’agissait d’un cas d’école débattu à plusieurs reprises avec Dominique Chauvelier. « Ca se saurait si on peut courir sous les 2h 10’ avec 120 bornes par semaine ». A l’arrivée, Dominique félicitait Jean Claude Vollmer par ces mots « bravo, le gamin, il est doué ».
Jean Claude Vollmer se tient dans l’ombre de l’arche d’arrivée. Il savoure cet instant comme lorsqu’il plonge les lèvres dans un bon Médoc, son pêché mignon. Souvent, pour s’exprimer, il lève presque toujours le nez comme s’il avait besoin de sentir un nectar particulier lui caresser les narines. Lui l’ancien entraîneur de sprint, coach notamment de Christine Hurtlin a développé une méthode bien à lui. Fera-t-elle école ? Il s’est formé avec Christine Zeemann. Il raconte « elle avait un peu le même profil qu’Hassan. Très petite, très légère. Et rapide, elle avait été championne de France du 3000. Elle avait donc de vraies qualités de vitesse. Et en plus, elle travaillait. On a donc privilégié la qualité ». Avec Hassan Chahdi, il n’a pas fait autrement. Des semaines à 120– 130, au moins une à 150 (peut-être deux mais il ne l’avouera pas !!!), il explique « Hassan court soit très vite, soit lentement. Pour Hassan, faire des trucs moyens, ça ne marche pas. Le marathon, c’est beaucoup un problème musculaire, donc pour Hassan, il faut compenser le manque de kilomètres. Par de la PPG, des bondissements, du travail de pied. De toute façon, s’il passait de 120 à 200 kilomètres, il casserait ». Cette fois, il peut l’affirmer sans risquer les commentaires narquois «avec de la PPG et de la technique, les marathoniens gagneraient beaucoup en sortant de la logique des bornes ». Le débat « borner or not » n’est pas terminé. Comme celui des stages en altitude « Là aussi, Hassan a validé que l’on peut s’entraîner sans se rendre au Kenya ou en Ethiopie, même s’il l’a déjà fait dans le passé ».
Les arrivées se succèdent, les Français sont sur le grill. Certains sont à vif. Paul Lalire bloque à 2h 17’55’’. L’Avenue Foch, pour ce Dijonnais tranquille et discret, c’est un petit paradis. Il reprend ses esprits, il est déjà dans l’analyse. Borner or not ? « Moi, je suis plutôt dans la fourchette haute, je suis plus dans le volume, 180 à 200 kilomètres semaine. Je suis dans l’analyse, cela me permet de faire des courses sans trop de risques ». Lui aussi ne s’est pas entraîné en altitude, qu’importe. Il passe au semi en 1h 08’50’’, c’est peut-être lent mais il navigue à flot dans le bon courant. Dans un groupe de dix. Il gère les plus, les moins, l’aiguille ne taquine jamais le rouge « on passe par tous les états, mais il ne faut pas tenir compte de l’instant T. On travaille souvent sur des seuils de fatigue, donc on apprend à ne pas s’affoler ». Dans ce groupe, il se planque « cela fait partie de la stratégie. J’ai été patient, pour s’économiser ». Une leçon de marathon.
« Aujourd’hui, j’étais dans un grand jour. Mais on va dire que j’ai fait le fou ». Benjamin Malaty, suivi dans son ombre par un jeune community manager, retrouve de la réflexion après de longues minutes accroché au métal froid d’une barrière d’arrivée. Le front plissé, les lèvres séchées, la gorge serrée, le buste creusé. Son temps final, 2h 13’06’’. Lui aussi est un borneur « 160 à 190 semaines mais ce sont des kilomètres intelligents » précise-t-il, un crosseux également qui, de nouveau éloigné des blessures, a privilégié le couple France de cross et marathon. «J’avais l’envie de bien faire » pour son coach, son nouveau partenaire, pour lui-même, pour sa compagne. Marine était là, à battre le pavé parisien. Au cinquième puis au 20, au 30 et au 40. Son marathon à elle. Il a entendu «Bennnnn », « des mots qui m’ont rassuré. Ensuite, pendant un kilomètre, ça fait du bien ». Il ne dit pas lesquels. Il se retourne. Marine est elle aussi accrochée à une barrière. Il l’aperçoit à l’opposé du sas d’arrivée. On se quitte, il lâche « je vais aller lui dire « je t’aime ».
Texte et photos Gilles Bertrand