En 2005, Benjamin Malaty est sélectionné pour disputer chez les juniors le Mondial de cross disputé à St Galmier. Une sélection qui tourne au cauchemar mais qui sera finalement fondatrice dans sa carrière de coureur international. En pleine préparation pour le marathon de Paris, il sera au départ du prochain France de cross avec le souvenir vivant de ce Mondial. Séquence nostalgie.
« On était encore des gamins », à 19 ans d’âge, on peut guère se permettre de dire cela. 12 ans plus tard, ça semble une évidence. Benjamin, on ne l’appelle pas encore Ben et Yoann, sur le bord des pistes, ce n’est pas encore le Yoko de Rio en haut vol au dessus des barrières.
En cette fin du mois de mars 2005, Benjamin Malaty et Yoann Kowal ont pris place dans l’avion sur le vol Toulouse – Lyon. Premier vol pour Benjamin, première sélection pour les deux gamins. Première et dernière trouille sur ce trajet où, calés dans les sièges du fond, les deux jeunes crosseux se font secouer par les vents de côté.
Ainsi les deux jeunots, tous les deux originaires d’Aquitaine, s’en vont disputer les Championnats du Monde de cross qui, cette année-là, ont lieu en France. « La motivation était double, triple. En junior 1 au France, je termine 25ème, je sentais que j’avais une chance », se souvient Benjamin Malaty qui, en début de saison de cross, avertit son entraîneur Messaoud Settati « moi, je veux préparer spécifiquement les France pour me qualifier pour le Mondial».
Alors comment se passe cette sélection pour cet étudiant studieux qui a choisi la fac d’AES pour concilier sport et études ? Les Régionaux, il s’impose aisément. Aux Inters, Denis Mayaud prend le dessus, Yoko termine trois « là je me suis dis, ça va être compliqué. Je doute. Car la France, c’est grand » Des Denis Mayaud, il doit s’en cacher dans chaque région avec le même désir aux pointes de se qualifier pour le Mondial. Au France, finalement, Benjamin Malaty évite le couperet d’un éclat d’obus « à un kilomètre de l’arrivée, j’étais encore vingt, j’ai envoyé du gaz et je termine huit. Et là, je pense ne pas être sélectionné ». Le souffle lui palpite encore sur le bout des lèvres que Patrice Binelli le prend par les épaules « il me demande mon nom. Je découvre qu’il y a trois étrangers devant ».
C’est finalement dans le bus de retour qu’il apprend la confirmation de sa sélection, un instant d’éternité à savourer dans le doux ronronnement du bus et des applaudissements des copains « ce fut l’euphorie, tu as de l’adrénaline, je suis comme un fou, tu te crois hyper fort. Tu as 19 ans, t’es un gamin, tu vas porter le maillot ».
S’en suit une invitation au stage seniors organisé dans les pins et les embruns de Gujan Mestras. Ils sont quatre à recevoir le laisser passer, Denis Mayaud, Yoann Kowal, Juliette Benedicto et Benjamin Malaty. Le Mondial débute là, dans cette pinède, dans la cour des grands, des yeux comme des bombones de gaz, avec les El Himer, les Bennari, les Tahri, Yoko se chauffe même à l’entraînement en emboîtant la foulée de Gaël Pencréach « Yoko, lui déjà, il voulait tout casser ». Quant à Benjamin, il y attrape la crève doublée d’une gastro.
Lorsqu’il arrive au Campanile de St Etienne au bord de la rocade, il fait bien le malin avec Yoko, le maillot de l’équipe de France sur le dos à chahuter dans la chambre d’hôtel mais les jambes sont en flanelle. Le Mondial, pour le petit Ben, n’est finalement que malédiction et impuissance. Devant ses proches, son entraîneur, son public, cette France des crosseux, la course tourne au cauchemar. 123ème, à 5’30’’ du vainqueur, à oublier ? Pas si sûr ! Il l’admet « oui le ciel te tombe sur la tête »La gifle est cinglante « tu es jeune, tout s’écroule, tu te dis « je ne vaux rien ».
Deux mois lui seront nécessaires pour effacer l’affront, pour balayer les morceaux du puzzle qui ont volé en éclats. Et puis il y a cette petite voix intérieure qui invite à tourner le dos. Il suffit juste d’en saisir la mélodie, grinçante, comme lorsque l’on passe le doigt sur le rebord d’un verre en cristal. On appelle cela de l’orgueil, Ben ajuste « c’est de l’orgueil intérieur » pour rebondir, pour se marmonner intérieurement « hors de question, ne pas tirer aussi vite des conclusions », Ben d’ajouter « et puis j’aimais cela ». C’est-à-dire, courir, courir, courir, le plaisir de courir « surtout en compétition, le défi, aller chercher une perf. un chrono ». Cette année-là, il termine cinquième sur 1500. La machine ne s’est pas grippée. Bien au contraire, St Galmier se révèle déclencheur d’une carrière naissante. Dans le bain révélateur, les contours d’une silhouette se dessinent. Le jeune Malaty devient Ben « sans cette sélection, je serai sans doute passé à côté de quelque chose ».
Ce quelque chose est donc encore à définir. En espoir 1, cela reste impalpable, indéfinissable dans les brumes parfois épaisses d’un avenir à construire même si entre 2006 et 2008, la progression est linéaire « je suis persuadé d’être sur le bon chemin ». Sa cinquième place aux Europe de cross chez les espoirs disputés cette année-là à Bruxelles, lui résonne encore comme le second coup de gong, annonciateur d’un statut potentiellement orienté vers le haut niveau. La confirmation vient décembre 2011, 12ème aux Europe de cross dans les fumées vapotantes de Velenje puis quatre mois plus tard, avec ce titre de champion de France de cross à La Roche sur Yon. Il raconte : «Cette sélection pour les Europe, elle me relance, ça y est, je suis de nouveau dans le coup. Et ce fut l’état de grâce, jusqu’au printemps, ce fut magique ».
Quant à son orientation marathon, c’est l’année précédente qu’elle germe. Certes il tape 13’47’’86 sur 5000 m à Carquefou mais ce sont finalement les 1h04’20’’ lors du semi de Reims (avec un 3000 à 8’30’’) associés aux 45’24’’ réalisés en solitaire sur 15 km dans la bourgade de Villeneuve sur Lot qui lui confirment « que je serai bien sur la route ». Il parle au futur car tout est à construire, pour filer droit sur cette ligne bleue du marathon.
C’est finalement la bonne rampe, les bonnes sensations. Ce n’est pas un coup de poker, ça se gagne sur le dur du pavé parisien, Ben est propulsé meilleur marathonien français avec ses 2h13’15’’ pour un premier galop en 2012 puis l’année suivante avec ses 2h 12’’00, toujours au pied de la Tour Eiffel, 13ème, encore une fois premier Français.
La suite ? Elle fut plus chaotique, la vie du marathonien finalement. Fragile, incertaine. Il bosse, il s’implique dans son boulot, il vit non reclus et « les blessures, elles font partie du jeu, on croit tout comprendre mais on ne maîtrise pas tout. Les soucis ont débuté après Moscou (28ème au Mondial en 2h 19’21’’). Les championnats sont toujours plus difficiles à récupérer. Et j’ai fait la course aux J.O. Il fallait bien les tenter mais je n’étais pas dans la dynamique. J’ai dû prendre du recul ». Après Paris 2016, son sixième marathon en 2h 16’16’’, après Zurich en 2h 17’09’’ puis Francfort en 2h 17’26’’, le break est nécessaire, le robinet est au goutte à goutte. Au lendemain de Paris, il coupe, sans objectifs à six mois, une fenêtre laissée ouverte sur plus de plaisir, sans carcan, il ajoute « pour que je retrouve le goût, pour que je me sente plus libre dans mon corps, que tout soit plus naturel ».
Et c’est revenu, aux côtés de Messaoud Settati, l’entraîneur à jamais, une collaboration vieille de vingt ans déjà. Aux Inters de cross, il était à portée de barrières pour voir courir un Benjamin renaissant « il a ressenti que j’étais bien. Ca lui a fait du bien. Notre relation est fusionnelle ». Ben cherche ses mots, le silence dure l’instant de voir passer un train « non le mot est trop fort, mais on se comprend bien, on se comprend vite. On n’a pas besoin de se dire beaucoup de choses ». Ils se voient une fois par mois, ils se téléphonent plusieurs fois par semaine « mais c’est toujours lui qui fait mes plans à 100 %. Il faut accepter de faire des choses que l’on n’a pas toujours envie de faire ».
Cet hiver, Benjamin Malaty ressort les pointes longues. Quatre ans sans les France de cross, c’est long. Il certifie « le cross, c’est une vérité pour moi ». Alors, il laisse le robinet couler, le débit s’accélére. Un nouveau partenaire le rejoint, Hoka « ça m’a donné un coup de pied au cul même si j’ai eu de très bons souvenirs avec Kalenji». Allonnes et l’Acier sont arrivés un peu trop vite mais il faut bien se frotter aux champs broussailleux du cross, puis le Ouest France pour une correcte place de onzième. Sur cette première couche d’après, le junior de St Galmier remet du volume pour en revenir…à cette case de départ. Comme au jeu de l’oie, une boucle achevée, un cycle de vie, même s’il reste tant et tant à courir « Pour St Galmier, le plaisir sera là car je suis revenu à l’essentiel. J’aborde ce France avec beaucoup de modestie ». Samedi, Benjamin Malaty sera dans le bus du club pour rejoindre St Etienne et l’hippodrome de St Galmier « j’aime cet esprit, cela participe à la performance ». Il ajoute «St Galmier, j’y vais à nouveau avec des yeux d’enfant ». Dans le ronronnement du bus, lui le vétéran de ce Mondial 2005, il ne pourra esquiver la question des juniors « alors St Galmier, c’était comment ?».
> Texte et photo Gilles Bertrand