Le mondial de cross de St Galmier organisé en 2005 avait fourni l’occasion d’une nouvelle démonstration de force à Kenenisa Bekele, qui allait rafler quatre médailles, avec ses deux titres de champion du monde, en cross court, et cross long, et également par équipe. A St Galmier, l’Ethiopien réalisait pour la 4ème fois le doublé cross court-cross long ! Il était pourtant arrivé pour ce Mondial très marqué après le décès tragique de sa jeune fiancée.
Douze ans plus tard, les souvenirs de ce Mondial de cross se délitent. Quelques images fortes demeurent. Come celle de Kenenisa Bekele, les yeux vides, le visage défait, la parole hésitante. L’Ethiopien, qui n’a alors pas tout à fait 23 ans, est connu pour sa grande discrétion, on peut même parler de timidité, et il n’est jamais très disert, aux antipodes de son compatriote Haile Gebrselassie, qui a toujours eu une exubérance naturelle et un sens inné du contact.
Mais pour ce Mondial de St Galmier, Kenenisa Bekele apparaît particulièrement en retrait, comme absent. La cause de cette tristesse est connue de tous, sa jeune fiancée, Alem, est décédée tragiquement au début janvier 2005 durant un entraînement. Elle n’avait que 17 ans, et ce drame a terriblement marqué Kenenisa Bekele.
Pourtant cette faiblesse visible se révèle finalement une apparence. L’Ethiopien retrouve son énergie pour aller conquérir un premier titre, le samedi, sur le cross court, et renouveler le lendemain sur le cross long. Pour atteindre à St Galmier un nouveau doublé, comme à Dublin, Lausanne, Bruxelles, et comme il le réussira à nouveau l’année suivante à Fukuoka.
Un entraînement perturbé, une perte de motivation
Ses adversaires n’ont rien pu faire pour le contrer sur ce parcours de l’hippodrome, qu’il va arpenter dans une grande aisance. Son entraîneur Tolosa Kotu nous avait pourtant confié combien la préparation du meilleur crossman au monde avait été perturbée par le drame vécu, avec seulement 3 à 4 semaines d’entraînement, et moins aboutie qu’à l’habitude. La motivation avait aussi été très difficile à retrouver pour le jeune athlète, et il avait vraiment fallu que Tolosa Kotu argumente pour qu’il accepte de disputer ce Mondial.
Pour autant, malgré le contexte, il n’avait nullement été envisagé que Kenenisa Bekele se limite à une seule épreuve de ce mondial. Une fois convaincu de participer, l’Ethiopien voulait le faire sur le cross court, comme sur le cross long. Dès Ostende, en 2001, et à 19 ans seulement, il avait créé la surprise en doublant déjà, cette fois, sur le cross court et le cross juniors.
A St Galmier, le samedi, les milliers de spectateurs présents vont assister à la renaissance de Kenenisa Bekele, que même son propre clan n’attendait pas à tel niveau. Mais l’Ethiopien se transcende pour une première victoire qu’il reproduit le lendemain.
Après cet incroyable doublé, il apparaît comme libéré, et les mots se bousculent pour livrer ses sentiments : « J’ai couru avec la peine et la joie dans le cœur. Cette victoire est la plus belle de ma vie. Plus belle que les Jeux Olympiques. Elle a plus d’importance. Car ce n’est pas souvent le cas dans une vie qu’on connaît une telle tragédie. C’est très significatif. Le sentiment de joie est bien plus beau. »
A l’issue de ce Mondial de St Galmier, Kenenisa Bekele, devenu tout à coup conscient de la fragilité de la vie, se refuse à programmer les futures étapes de sa carrière. Douze ans plus tard, elle compte encore plus de titres, de médailles, amassés sur la piste, dans les Mondiaux et Jeux Olympiques, et de réussites sur le marathon, sur lequel après plusieurs années en creux, il a su réaliser la délicate transition, pour s’approcher si près du record du monde…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand