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Jimmy Gressier, au Chemin Vert, il y a toujours à tendre la main

jimmy gressier finish hyères
Jimmy Gressier aux Europe de Hyères en 2015

Jimmy Gressier est originaire de Chemin Vert, un quartier difficile, zone sensible sur les hauteurs de Boulogne. Il aurait pu tomber dans les combines, il a choisi le foot puis l’athlé pour s’en sortir, pour construire sa vie d’homme. Portrait d’un jeune crosseux, fidèle à son quartier, ambitieux et généreux.

 

Jimmy a interpellé son grand-père « mais comment tu fais ? » Le papy de lui répondre « mais comment tu fais pour courir ? »

Le papy de Jimmy, dans le quartier du Chemin Vert, c’est Pépé, Pépé la mascotte. 64 ans, un dur à cuire, des bras veineux, des biceps d’acier. Il est docker au port de Boulogne à décharger les caisses. Dans le quartier, on lui dit «alors pépé, ça va ? Lui, il répond à la volée « alors ma caille à poux, ça va ?». Dans le quartier, les gamins ont fini par s’interpeller ainsi « alors ma caille à poux, ça va ?».

Un jour Jimmy voulut aider Pépé aux docks de Boulogne. Il releva les manches, il força sur les genoux, les épaules, les poignets. Il a redit à Pépé « mais comment tu fais ? ». Pendant trois jours, Jimmy a eu mal aux genoux, aux épaules, aux poignets.

Jimmy Gressier aux Europe de cross 2016
Jimmy Gressier aux Europe de cross 2016

Jimmy Gressier n’est pas dans la pesanteur du moment. Il tourbillonne dans le shaker du temps.  Dans le mordant d’une cité, celle du Chemin Vert, ce quartier des hauts de Boulogne, où dans les années soixante, les barres ont poussé, à Bois Dieu, à Triennal, à Transition. Les Boulonnais s’y sont entassés, les Gressier s’y sont installés.

Jimmy, dans le quartier, on l’appelle Mimi, a donc grandi au Chemin Vert, un quartier qui aujourd’hui est classé sensible, avec un taux de chômage galopant, une délinquance non contrôlée et un jeune sur deux sans diplôme. Un tableau clinique qui alimente la feuille de route du FN local, le désespoir, la misère sociale, l’exclusion conduisent toujours aux extrêmes.

Jimmy  n’a pas choisi son quartier. C’est comme avec son prénom, on naît avec, on vit avec. Au Chemin Vert, à fricoter avec des pubères déjà cerbères, à écouter les loustics planqués dans les petits trafics, Jimmy a sorti les crocs. Au pied de l’immeuble, dans ce carré que les apprentis voyous appellent le « city », là on l’on se réunit, là on l’on déconne, là où l’on joue au con, à moitié borgne, la vie en monochrome. On ne craint ni les flics, ni les juges, ni les barreaux. Jimmy l’évoque ainsi « c’est un quartier qui m’a forgé un caractère. Je me suis posé les bonnes questions. J’ai vu que l’on pouvait sortir de la merde grâce au sport. J’ai su mettre mon caractère au profit du sport ».

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Au Chemin Vert, sur le carré du « city », le sport, c’est le foot. Franck Ribery est né au Chemin Vert, on ne peut donc nier les liens d’appartenance. Jimmy explique « le foot, c’est pour se libérer, pour cracher sa haine, pour éviter de faire des conneries. Dès quatre ans, je jouais déjà dehors, mes parents me surveillaient d’en haut». Puis le rythme s’accélère « limite, je jouais sept fois par jour. Je jouais le matin avant l’école, le soir je rentrais à 22 heures. Parfois les copains criaient « Mimi tu descends ?». Ma mère à la fenêtre criait elle aussi « non, il ne sort pas ». Moi, j’étais déjà en bas, en descendant les quatre étages à fond ».

En plus du foot, Jimmy touche à tout. A la boxe, rien de plus logique, son père fut sacré cinq fois champion de France amateur chez les poids légers. A la lutte, David Legrand l’entraîneur des équipes de France féminines en est convaincu, une fine anguille est dans la nasse, agile, puissante sur ses jambes, dans l’instinct du combat, dans l’œil du cyclone lorsqu’il s’agit de tournoyer dans le cercle les mains cramponnées aux bretelles de son adversaire. Jimmy raconte « le combat, c’était magique, quand je rentrais sur le tapis. L’entraîneur disait « il faut aller au charbon. On s’en mettait dans la gueule, mais il y avait le respect de l’adversaire. C’est ce que je retrouve dans l’athlé ».

Le sport calme les pulsions, heureusement. Car Jimmy Gressier se prend le mur, pleine tête. L’adolescence, c’est l’âge con, Jimmy rentre en turbulences. Jimmy sèche l’école. Chez les Gressier, on compte un sou, un sou. Les cœurs sont secs « je me souviens. Souvent, on n’avait pas grand chose à manger. Mon frère avait fait des trous dans son manteau. Il volait de la viande. On s’en est sorti comme ça ». Pour raconter ces années de convulsion, Jimmy a des phrases courtes, comme des rushs, lui le milieu droit aux Aiglons, le club d’accueil de tous ces gamins dans l’errance d’une jeunesse épineuse « je me suis dit, si je pouvais devenir footeux pro ? ».

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Les Aiglons, c’est une équipe de quartier. Sur le terrain, il n’y a pas, il n’y a plus de mauvais gars. Par exemple, il y a Joachim Mourmand, un gitan qui a grandi dans une caravane, il réussit lui-aussi l’entrée au club de Boulogne, l’USBCO, le club des blancs becs de la ville, des petits « bourges » avec lesquels il faut apprendre à se connaître. De la génération Gressier, six sont recrutés. Jimmy raconte cela comme un homme mûr craquant des ongles l’écume séchée de son passé « notre force ? » il hésite pour dire « on était une famille. Les familles étaient ensemble. On faisait des booms, on allait au bowling. Si je pouvais revenir à cette époque. On profitait de la vie. On ne craignait pas la blessure ».

Et puis la course à pied croise son chemin, entre deux matchs, entre deux coups de sifflet. Fin de la partie. Au même moment,  Mickael le père crée sa petite entreprise dans le bâtiment et Lydia, la maman, passe son diplôme d’aide à la personne. Jimmy ne manque pas de dire « elle a un cœur énorme ».

Encore une fois, après la boxe, la lutte, le foot, un homme est là pour tendre la main, au centre du cercle. Il s’agit cette fois d’Arnaud Dinielle, l’entraîneur à l’Entente Maritime Athlétique 62 « c’est mon ange gardien, c’est plus que mon entraîneur. Aujourd’hui, ma force, c’est que mon entraîneur a cent pour cent confiance en moi. Cette confiance, tu n’as pas le droit de la trahir. Quand tu as un don, tu dois être à trois mille pour cent ». Il ajoute sans déceler dans l’intonation s’il s’agit d’une affirmation ou d’une question « je suis un leader !? »

Jimmy n’aimait pas courir selon le postulat qu’un footeux, ça n’aime pas courir. Aujourd’hui, seulement trois petites saisons d’athlé dans les cuissots, il aime courir « surtout en compétition, c’est le summum du plaisir, on est seul dans le combat ». Il ajoute « on ne peut pas se planquer ». En trois hivers seulement, les fans débarquent, cinq mille, compte bloqué sur Facebook, pour encourager le Jimmy à la casquette « la casquette, ça n’a pas été calculé ». Mais finalement, autre postulat, on n’est pas footeux sans soigner sa coiffure, on n’est pas coureur sans soigner son apparence…En cela, il y a du Benoit Z le tatoué dans ce Jimmy Gressier. Lui il tire pleine cage pour affirmer « j’ai peu d’exemples, mon chemin à moi, c’est ma propre histoire ».

Ce n’est finalement qu’en 2016 qu’il décide de lâcher les grandes chaussettes, les protections et les crampons pour l’athlé même si parfois encore, les sensations de la pelouse lui manquent « l’envie de retrouver le terrain, l’envie de se libérer, l’envie de la gagne en équipe ».

L’année 2016 est finalement plus tumultueuse que prévue. Sur le plan chronométrique, il n’y a rien à redire 13’55’07 sur 5000, c’est beau. Aux Europe de cross, quatrième au pied du podium, il espérait mieux «je suis resté dans la défensive. On n’a pas vu le Jimmy Gressier ». Mais le Mimi du Chemin Vert veut voir du pays. S’émanciper, voir du ciel bleu, chausser les grandes pointes ? Un temps, il hésite à signer au SCO Ste Marguerite. Finalement, il ne renie pas son club l’EMA 62 mais rejoint le camp d’entraînement de Thierry Choffin dans la forêt de Fontainebleau. Une courte expérience « je suis vite revenu car ma famille me manquait, j’ai compris que les clubs me voulaient pour leur profit et non pas pour mon évolution ».

Retour au Chemin Vert, l’herbe y est plus grasse au pied des barres où les dealers continuent leur petit manège en BM

Mais à la Ligue des Hauts de France, on veille au grain. Philippe Lamblin, le président et Jean Pierre Watelle, le directeur technique, remettent le gamin dans le train, Gare du Nord. Retour au Chemin Vert, l’herbe y est plus grasse jimy gressier hyères 1aau pied des barres où les dealers continuent leur petit manège en BM. Un emploi en alternance à la Caisse d’Epargne de Boulogne pour préparer un BTS en trois ans, lui est proposé avec d’ores et déjà un CCD de six mois « j’ai envie d’un métier de contact, j’aime communiquer ». Il a déjà des projets avec son pote Fabien Palcau. De retour au quartier, certaines portes se sont ouvertes pour le soutenir, le Conseil Départemental, la communauté d’agglo du Boulonnais, la région des Hauts de France et DPR  un partenaire privé.

Autour de Jimmy s’est ainsi greffée une petite structure. L’entraîneur protecteur, le manager Riad Ouled, le kiné, la salle de muscul., un groupe qui s’est étoffé, Jérôme Leprêtre, 8’49’’ sur 3000, Ali Barrack, 32’06’’ sur 10 km en junior un « c’est un jeune Tchadien. Je l’avais remarqué au foot. Il courait beaucoup. Je me souviens avec des Victoria. Il disait « moi mal au pied, moi mal au pied ». Il était au foyer de Beaurepaire. Je l’ai aidé, un lien s’est créé ». Aujourd’hui, Ali dit encore « athlé, c’est dur, athlé c’est dur » mais lorsqu’il rencontre le grand père de Jimmy, il dit « bonjour Pépé », le Pépé répond « alors ma caille à poux, ça va ? ».

Les entraînements se déroulent en forêt d’Ecault, parfois pour les grosses séances sur la piste du Touquet mais Jimmy, c’est autour de Daunou qu’il se sent bien « c’est au milieu du quartier, je retrouve des sensations en bas des immeubles ». Il ajoute « j’y suis dans ma bulle. Mais pas au centre du monde. Je me dis que ce que j’apprends, ce n’est pas pour moi mais pour tous. J’aime aider dans les moments où ça ne va pas ». Au Chemin Vert, il y a toujours à tendre la main.

> Texte et photos Gilles Bertrand

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