Le cross français est-il en déclin ? Chaque hiver, maints éditoriaux sont là pour rappeler le blues du cross français au point de ronger le moral des crosseux. Sauf qu’à travers l’analyse comparative réalisée entre les années 2007 et 2017, force est de constater que cette discipline hivernale connaît une croissance significative en terme de participation générale. Explications.
« Le cross n’est pas mort, enfin presque »
C’est le titre de l’éditorial signé par Stéphane Bois et publié dans les colonnes du quotidien Ouest France à l’occasion du cross éponyme.
Et très curieusement, c’est à peu de mots près le même titre pour le long dossier consacré à la mort du cross et publié par le Miroir de l’Athlétisme en… 1970.
Dès les premières lignes de son billet éditorial, le journaliste pose la question mainte fois débattue « le cross country a-t-il vécu ? Se poser la question, c’est déjà en partie y répondre ».
Le cross serait-il en crise depuis plus de 40 ans ? Pire, est-il mort depuis 40 ans déjà ?
Il n’y a qu’une analyse chiffrée stricte qui puisse permettre d’identifier clairement le déclin ou non du cross français sans se faire piéger par les idées reçues ou autres états des lieux maintes fois décortiqués. Voici en 9 points les conclusions parfois surprenantes de cette étude statistique basée sur les résultats des Départementaux enregistrés en 2007 et 2017 (site FFA), soit une décade au cours de laquelle on constate que le cross redresse légèrement la tête pour tordre le cou au principe du « avant c’était mieux » !!! Certes cela ne signifie pas pour autant que le cross ne doive pas faire son autocritique pour reconquérir sa vraie place auprès des partenaires susceptibles de soutenir cette croissance amorcée. Mais là, ne s’agit-il pas d’une petite révolution que le cross français n’est peut-être pas prêt à engager ?
+ 9 % : sous l’égide de la Fédération Française d’Athlétisme, 530 compétitions de cross seront organisés lors de cette saison 2016 – 2017. A cela, il ne faut pas manquer d’ajouter les cross scolaires, pompiers et militaires, pour atteindre un chiffre proche des 1200 compétitions hivernales dans les labours de France et de Navarre.
Mais pour mesurer l’état des troupes, rien de mieux que de comparer les effectifs enregistrés lors des Départementaux de cross, LA compétition « nationale » réunissant des plus jeunes aux masters toute la grande famille du cross français. Cette année (source FFA), ils furent ainsi 52 000 coureurs à disputer ce rendez vous départemental. Par comparaison avec l’année 2007, c’est une augmentation de 9% qui est à verser à l’actif du cross français. Cette croissance est sans aucun doute à mettre en corrélation avec l’augmentation constante du nombre de licenciés sous « l’ère » Amsalem et de la forte augmentation enregistrée chez les jeunes catégories.
+ 16,9 % : les succès des équipes de France depuis une décade avec Christophe Lemaitre et Renaud Lavillenie, la capacité et la motivation des clubs à accueillir les « kids » dans les écoles d’athlé, il est indéniable que le cross tire profit de cette dynamique. Cela se traduit dans les chiffres avec une hausse de 16,9 % chez les benjamins entre 2007 et 2017 lors des Départementaux. Une assise solide pour développer l’athlé et le cross qui, contre toute attente, est loin d’effrayer ces jeunes pousses. Avec pour les clubs l’enjeu connu et débattu, celui de séduire pour garder dans le giron de l’athlé une population papillonnant et picorant d’un sport à l’autre.
+ 33,7 % : la catégorie cadet–cadette est considérée à juste titre comme la tranche d’âge charnière où les décrochages se font en masse chez les ados tâtonnant dans leur pratique sportive. La montée en puissance des sports de salle et des grands sports co médiatiques fut responsable de cette perte quantifiable se traduisant sur les champs de cross par des pelotons peau de chagrin.
En 10 ans, cette tendance s’est totalement inversée. Certes les effectifs lors des Départementaux peuvent être considérés comme faibles avec sur la ligne de départ une moyenne de 40 coureurs (39,5) pour cette tranche d’âge, mais on note une progression significative de 33,7 % chez les cadets entre 2007 et 2017. Avec un bonus chez les Bretons et Pays de Loire enregistrant de très fortes hausses comme dans le 35 passant de 49 à 89. A l’opposé, c’est en Ile de France que cette participation stagne très sensiblement.
+ 33,6% : 3 juniors filles dans le 65 en 2007, 2 dans le 79, 4 dans le 31, 6 dans le 84…., il n’est guère surprenant que ces chiffres aient contribué au malaise et au sentiment de déclin du cross français encore plus marqué chez les féminines. A tel point que l’on chercha au fil des années à masquer la misère dans le cadre des Départementaux en trouvant une petite place à ces demoiselles dans les pelotons cadets, ou bien du cross court femme. Qu’en est-il 10 ans plus tard ? Et bien le nombre de juniors filles a progressé lui aussi à hauteur de 33,6%. Mais attention, il ne faut pas crier victoire car les pelotons restent encore faméliques. Un constat qui ne plaide pas pour l’émergence d’une élite internationale sur le terreau d’une base aussi restreinte.
+ 14,5% : forte augmentation globale du nombre de licenciés, forte augmentation chez les catégories jeunes, il est logique que chez les juniors hommes, une progression de 14,5% soit constatée lors de ces 10 dernières années. Cette catégorie profite de cet ascenseur même s’il y a un fort écrémage que l’on peut juste freiner chez les minimes puis chez les cadets.
Les titres européens par équipe (comme en 2013 puis 2015 et 2016), conquis chez les juniors français prouvent que les clubs formateurs assurent un travail de qualité pour faire émerger une élite européenne compétitive même si la base est restreinte. De la qualité sans la quantité !
-14,4% : longtemps et même encore aujourd’hui, la catégorie vétérane a été considérée comme l’arbre cachant la forêt, le cache misère du cross avec des pelotons (chez les hommes) gonflant généreusement les effectifs. Voici quelques chiffres représentatifs du poids des masters dans le paysage du cross français. En 2007 ils furent 286 VH dans le 44, 196 dans le 35, 189 dans le 33, 246 dans le 59, 247 dans le 91, 224 dans le 78 : des chiffres représentant jusqu’à 20% des classés à ces Départementaux.
Et bien 10 ans plus tard, le cross Master fait moins recette avec une baisse des effectifs notable de – 14,4 %. Toutes les régions de France sont touchées par cette désaffection et même des bastions forts du cross hexagonal comme les Hauts de France avec -22,4%. A tel point que certains départements ont réintégré les Masters avec les seniors dans une course commune.
La faute aux courses hivernales, aux trails hivernaux ? Incontestablement, cette discipline propose désormais un calendrier de plus en plus riche d’épreuves ludiques et attractives (pas seulement sur la neige) correspondant mieux au profil du coureur actuel, plus loisir et moins performance.
+ 5,2 % : ne remuons pas les vieux clichés écornés du cross des années 70 – 80 où la course des AS réunissait les spe8 et les spe15, les steepleux, coureurs de demi fond long et marathoniens. On ne reviendra jamais à cette configuration d’autant plus que le cross court s’est invité en 1998 au programme du Mondial (donc des France) pour combler ce vide. En 2006, l’IAAF revenait sur un format classique mais la France gardait avec sagesse et un certain succès un principe que personne ne remettrait en cause aujourd’hui (à moins que le relais mixte inauguré cette année en Ouganda ne vienne modifier la donne ???).
Nous pouvions craindre le même déclin que celui constaté chez les Masters (pour les mêmes raisons), il n’en est rien, entre 2007 et 2017, les effectifs ont légèrement progressé de 5,2%. Preuve que face à la poussée des trails, le cross espoirs – seniors masculins résiste notamment avec l’apport non négligeable des triathlètes, un constat également applicable à l’ensemble des catégories jeunes.
+ 10,4% : « les femmes n’aiment plus le cross ?!» Pour étayer ce constat, il n’y avait pas à gratter profond pour mettre en chapelet un ensemble d’explications toutes trouvées. Sauf que le cross féminin lors de cette dernière décade, sur la base des résultats cross long regroupant espoirs, seniors et masters, résiste au mieux avec une hausse de 10,4%.
+ 20 % : sur les 20 plus grands cross français en terme d’effectifs, la participation est en hausse de 20% entre les éditions 2007 et 2016/2017 avec de vrais succès populaires confirmés année après année comme à Carmaux 843 coureurs en 2007, 1788 en 2017, au Carrington passant de 826 à 1934 dans ce même laps de temps ou bien encore au Val de Marne 904 à 2296 en une décade reprenant d’une certaine façon le destin du Cross de la RATP dont la disparition en 2007 fut perçue comme un signal fort du déclin du cross. Preuve que le cross, aujourd’hui parfaitement bien relayé et médiatisé via les réseaux sociaux, peut encore s’affirmer dans le paysage du sport national.
> Texte et photos Gilles Bertrand (réalisées au Cross Ouest France)