Les managers sont des incontournables dans le monde du running et de l’athlétisme, permettant la mise en relation d’athlètes de talents et d’organisateurs soucieux de la qualité de leur plateau. A l’occasion du Cross de l’Acier à Leffrinckoucke, focus sur cette profession méconnue, si souvent décriée, toujours exercée par d’anciens athlètes passionnés, comme Marc Corstjens, Monica Pont Chafer, Laurent Croenne.
Ils se tiennent là, tout autour du terrain d’échauffement, le regard braqué sur « leurs » petits protégés, occupés à se préparer avant de disputer leur épreuve. Le Belge Marc Corstjens, l’Espagnole Monica Pont Chafer, l’Allemand Brahim Chalgoum, les Français Pascal Bureaux et Laurent Croenne ont mis le cap sur Leffrinckoucke pour ce cross, doté d’un joli pactole, avec un total de 35.000 € de primes.
La grille s’affiche clairement sur le site de l’épreuve, également transmise par Jean Pierre Watelle, aux managers qui le sollicitent. Le nouveau patron du cross de l’Acier a rôdé sa méthode pour le meeting en salle de Liévin et le Meeting de Lille Métropole, et il souligne : « Je travaille avec un cercle de managers dans lesquels j’ai confiance ». C’est pour lui la garantie que les athlètes proposés par ceux-là seront de qualité. Illustration cette année avec les très jeunes athlètes éthiopiens que Hussein Makke a choisi d’envoyer à Leffrinckoucke : « Il m’a fait valider. L’idée me plaisait. On a accueilli quatre athlètes médaillés en Championnat du Monde junior. »
Le cadre financier ne se limite pas aux primes d’arrivée, comportant 2000 € au vainqueur, et 1000 € pour le 1er Français. S’y ajoutent les remboursements de frais de déplacement, pour des montants évoluant entre 150 à 200 euros pour les athlètes français et 200 à 400 euros pour les athlètes étrangers. Dans ce domaine, la négociation est de bon ton, comme le souligne Jean Pierre Watelle : « Je ne prends jamais un billet complet pour un Ethiopien. Je sais très bien que le manager se ferait rembourser 2 fois le billet ».
Car les athlètes effectuent très rarement le voyage depuis l’Ethiopie ou le Kenya pour une seule compétition, et on les retrouve en général au départ de 2 à 3 épreuves sur une période de 1 à 2 mois. Pas plus. C’est en tout cas le credo de tous les managers présents à Leffrinckoucke, qui affichent un discours identique décliné autour de deux mots : « Prudence et investissement ».
Investir sur les jeunes
Prudence, pour éviter que les athlètes ne courent trop. Investissement, pour prendre en compte l’incertitude sur les gains potentiels pour de jeunes athlètes. Et tous y vont du même discours, que résume Marc Corstjens, de la compagnie « Personae », branche du groupe Golazo : « Avec les jeunes, on investit. Nous les prenons en charge. Peut-être qu’ils ne gagneront rien ici. » Même son de cloche auprès de Laurent Croene, accompagnant les athlètes sur les compétitions pour le compte du puissant Hussein Makke: « Avec les jeunes, on travaille sur l’avenir, pour trouver de jeunes talents et bâtir un plan de carrière. On ne veut pas les faire courir le plus possible pour faire de l’argent. On veut développer les jeunes champions sur une, voire deux Olympiades. »
Une démarche qui se veut qualitative pour ces deux grosses structures : la compagnie « Personae », qui gère l’activité de management au sein du groupe belge « Golazo » recense une centaine d’athlètes, surtout du Kenya, d’Ethiopie, Bahrein, et aussi de quelques pays européens. Le nombre est comparable chez ESMI, la société du Libano-Américain Hussein Makke, essentiellement liée avec des coureurs d’Ethiopie, du Qatar, et aussi d’Europe. Avec en corollaire, des staffs importants, Marc Corstjens annonce six personnes au Kenya, administratifs, responsables des visas, entraîneurs, intervenant dans les camps où se construisent les futurs talents du marathon.
Autant de charges expliquant que ce business ne serait pas aussi « juteux » qu’on pourrait l’imaginer. Le secret sur les sommes soigneusement entretenu par tous les acteurs du milieu n’aide pas à se faire la moindre idée, et on ne peut qu’écouter Marc Corstjens quand il souligne : « On ne fait pas des richesses avec l’athlétisme. On n’est pas dans le foot ou dans le tennis ».
C’est ainsi surtout par passion qu’il a voulu choisir cette profession, à l’arrêt de sa carrière de demi-fondeur qui l’a amené à plusieurs reprises à porter le maillot de la Belgique dans un grand championnat, accédant à la finale au Europe de Split en 1990 et au Mondial indoor de Toronto en 1993, et s’adjugeant plusieurs records de Belgique, comme celui du 1500 m (3’37’’27).
Laurent Croenne travaille pour le Libano-Américain, Hussein Makke
Un parcours un peu similaire à celui de Monica Pont Chafert, se tournant vers le management à l’arrêt de sa belle carrière de marathonienne, comptant une victoire à Rotterdam et Valence, un record à 2h27’, ou encore à celui de Laurent Croenne, même s’il n’a atteint, lui, qu’un niveau interrégional. Le Nordiste n’évolue pas non plus dans le même cadre, puisque comme il me l’explique, il est seulement un accompagnant pour les athlètes du groupe d’ESMTI, en tant que salarié de la société d’Hussein Makke.
Laurent Croenne avait débuté son activité en 2002, travaillant alors pour sa propre société d’abord avec des athlètes marocains et français, (il a ainsi conseillé Hind Dehiba), puis avec les Ethiopiens entraînés par le groupe de Hadji Adilo, devenu un coach de référence sur marathon. Après une interruption, Laurent Croenne est revenu dans le circuit, pour assumer cette fonction qu’il décrit très simplement : « Je suis leur soutien. Comme un tuteur pour une plante. » Il passe son temps à veiller au confort des athlètes, avec l’espoir de voir ces jeunes talents s’épanouir, comme l’a fait Yomif Kejelcha, qui a brillé dans le passé au cross de l’Acier, et auteur cet été du record du monde junior du 3000 mètres.
Laurent Croenne n’élude pas les problèmes liés à cette profession, mais il veut positiver : « Oui, le métier est souvent critiqué, mais il y a différentes façons de travailler, comme chez les médecins ou les avocats. C’est passionnant de bâtir un athlète, de l’aider à faire sa carrière. » Même s’il est maintenant plutôt un assistant, et que ce travail de construction revient surtout à Hussein Makke, qui organise les camps d’entraînement, et gère depuis les Etats-Unis, toutes les négociations financières avec les organisateurs. Laurent Croenne estime ainsi respecter les règles fixées par la FFA, même si la commission des agents sportifs de la FFA affiche une vision un peu moins ouverte, rappelant en janvier 2015 que le diplôme d’agent sportif devrait être possédé par toute personne ne se limitant pas à un simple travail administratif.
Monica Pont Chafer, mécontente d’être associée à Salim Ghezielle
Cette commission avait adressé un autre rappel à l’ordre à Monica Pont Chafer, qui gère une quarantaine d’athlètes, surtout d’Ethiopie et du Bahrein, et depuis peu, Abdelatif Meftah. Mais avant d’être habilitée par la FFA en février 2016, la manager espagnole vivant en Italie s’appuyait sur Salim Ghezielle, pour driver ses coureurs lors de leurs compétitions en France. Jusqu’à ce qu’en décembre 2015, la commission des agents sportifs de la FFA interpelle Monica Pont Chafer sur la carte IAAF que possédait Salim Ghezielle alors qu’il n’avait nullement le titre d’agent sportif.
Depuis, les donnes ont considérablement évolué. Fin septembre, Salim Ghezielle a été mis en examen à Marseille, dans l’affaire du dopage de Laila Traby, contrôlée à l’EPO en novembre 2014. Sur la lancée, Monica Pont Chafer a stoppé toute collaboration avec Salim Ghezielle, et elle n’apprécie pas du tout que le sujet soit abordé, et elle insiste même pour que je n’associe plus son nom avec celui qui l’a épaulé certainement plus d’une année. Pourquoi une telle demande ? Pour ne pas lui nuire par rapport à ses athlètes. Et également parce qu’elle estime qu’elle n’a aucun lien avec l’affaire de Laila Traby, celle-ci collaborant durant sa carrière avec un autre manager.
Monica Pont Chafer n’est pas une nouvelle venue dans le milieu, elle a ainsi longtemps travaillé avec Bouchra Ghezielle, avant sa suspension pour dopage, elle est d’ailleurs demeurée une amie proche, et l’a encore épaulée ce printemps pour sa tentative avortée de come-back sur le marathon. Mais maintenant, son agrément FFA lui ouvre de larges portes pour travailler en France, comme pour ce cross de l’Acier qu’elle découvre pour la première fois, et où elle a amené quatre athlètes.
La plus performante ne sera autre qu’Adanech Anbesa, championne du monde junior du 1500 mètres. Elle n’a pas encore fêté ses 18 ans, mais elle enchaîne en une semaine deux gros résultats, 5ème à l’Acier, 3ème à Allonnes. Le séjour en France de cette surdouée a été géré par Jean Marc Fernandez, qui a pris la suite de Salim Ghezielle dans cette mission d’accompagnement, mais ne s’avère pas très loquace pour dévoiler son rôle exact, préférant m’orienter vers Monica Pont Chafer, qui m’explique qu’il l’épaule en transportant les athlètes sur les compétitions, et en les hébergeant à son domicile entre deux compétitions.
Les plannings qu’elle a définis pour ces jeunes athlètes comptent 2 à 3 rendez-vous. Comme ses collègues, Monica Pont Chafer suit l’idée d’une certaine prudence pour ces jeunes athlètes, et n’hésite pas, elle aussi, à parler d’investissement sur le futur. On n’en saura pas plus, car Monica Pont Chafer n’aime pas parler argent. Comme les autres managers…
> Texte : Odile Baudrier
> Photos : Gilles Bertrand