Avec 6 médailles conquises en demi-fond, les Etats Unis ont ouvert une brèche sur l’échiquier mondial en bousculant les nations est-africaines lors des J.O. de Rio. Cette nouvelle donne s’explique notamment par l’émergence de nombreux groupes d’entraînement financés par les marques de running générant une très forte émulation entre ces « écuries » et au sein même de ces teams. Explications.
6 médailles en demi-fond dont quatre en bronze, une en argent avec Evan Jager sur le steeple et une en or avec Matt Centrowitz sur 1500 sans oublier les 11 places de finalistes ??? En quittant Rio, les athlètes américains ont pris l’avion les coudes serrés, le drapeau à peine replié mais surtout la tête haute pour affirmer haut et fort « maintenant on ne subit plus ».
Jamais ce pays n’avait obtenu un tel résultat lors des Jeux Olympiques dans les six disciplines du demi fond et fond allant du 800 mètres au marathon, réussissant même l’exploit de classer 17 coureurs comme finalistes. En remontant dans le temps, lors des huit précédentes olympiades, les Etats Unis s’étaient résignés avec des scores modestes allant de 0 à 2 médailles, Los Angeles échappant à cette morosité avec 4 breloques dont celle très symbolique, en plaquée or, remportée par Joan Benoit lors du premier marathon olympique. Lors d’une interview accordée au site Outside, Vin Lananna, l’entraîneur national de l’équipe américaine confirme bien ce sentiment de résignation de l’époque « En 1992, nous sommes rentrés de Barcelone avec un sentiment de désespoir. Je me souviens, nos athlètes espéraient juste une place dans le top 15 ou au mieux rentrer en finale ».
Alors comment analyser ce résultat collectif ?
Sur un plan général, l’athlétisme est devenu en moins de deux décades un sport prisé des jeunes générations. Lors d’une enquête réalisée par la Fédération des Lycées d’Etat classant les sports par ordre de préférence, l’athlé s’est retrouvée en tête chez les lycéennes et en seconde position chez les garçons. Et cela se traduit sur le plan des performances. Les analystes américains soulignent une amélioration constante des performances depuis 1997 chez les cadets – juniors. Un chiffre très significatif indicateur d’un renouveau notable : en 2001, au bilan national, seules deux lycéennes avaient couru le mile (1609 mètres, la distance fétiche outre atlantique) en moins de 4’50’’ et une seule sous les 4’45’’. En 2015, 46 jeunes filles étaient recensées sous les 4’50’’ et huit sous les 4’45″ (sources Outside).
C’est donc sur ce capital émergent qu’est née cette nouvelle élite du demi fond et marathon américain dans un premier temps géré classiquement dans le cadre du sport universitaire puis selon des statuts professionnels ou semi professionnels.
Car depuis 2002 avec la création du Nike Project Oregon commandité, financé par la multinationale installée à Beaverton et orchestré par Alberto Salazar, les groupes d’entraînement se sont formés et multipliés sur l’ensemble du territoire américain. Rien que dans l’Oregon, dans le sillage du NOP ont ainsi été créés l’Oregon Track Club sous la houlette de Mark Rowland (OTC) puis le Bowerman Track Club managé par Jerry Schumacher, tous les deux également financés par Nike.
A la lecture des bilans 2016 et des résultats des trials 2016 organisés dans le stade mythique de Eugene, on dénombre une quinzaine de structures d’entraînement pour la majorité d’entre elles financées par une marque liée au running (Saucony, New Balance, Brooks…). Même les nouveaux venus sur le marché du running n’ont pas manqué d’investir dans le demi fond national comme la marque de textile féminin Oiselle déjà présente dans le volley, Hoka One One soutenant le groupe NAZ (Northern Arizona Elite) et même Under Armour qui s’invite à la table, annoncée également comme vouloir investir sur le demi-fond européen. Hansons Brooks reste également dans la course bien que la structure ait réduit ses ambitions. Elle reste cependant le club support de Desiree Linden, 10ème aux J.O. sur marathon. Quant à l’US Army Wolrd Class Athlete, ce club militaire place lors de cette olympiade quatre athlètes dans la sélection nationale, tous originaires du Kenya. Paul Chelimo se distingue en remportant la médaille d’argent sur 5000 m.
Tous ces groupes ne fonctionnent pas à la même échelle financière et avec les mêmes prétentions dans la conquête du haut niveau mais l’ensemble ne peut qu’alimenter une base de plus en plus large d’athlètes susceptibles de se battre non plus pour des places d’honneur mais pour des podiums internationaux. Pour Vin Lananna, le Head Coach de l’US Team, il ne fait aucun doute que l’émulation dans chacun de ces groupes et l’émulation entre ces groupes sont la clef de réussite des Etats Unis dans le demi fond. Evan Jager formé au sein du Bowerman Track Team n’a pas dit autre chose pour expliquer les raisons de son émergence sur 3000 mètres steeple, 8’00’’45 l’an passé lors du meeting de Paris et médaillé d’argent à Rio : « »Sans doute qu’il y a beaucoup de travail pour gagner cette médaille, mais le système bâti autour de moi explique cette réussite. Nike m’a soutenu financièrement depuis mes 19 ans. Cela m’a permis de vivre confortablement en me focalisant uniquement sur ma préparation. J’ai le meilleur entraîneur du monde. Et mes coéquipiers, passés et présents, m’ont aidé et motivé en me poussant tous les jours pour être le meilleur coureur ».
Emma Coburn et Jenny Simpson partenaires d’entraînement au sein d’un groupe coaché à Boulder par le vieux sorcier Mark Wetmore assisté de Heather Burroughs ex athlète formé par Wetmore, ont également souligné l’importance de courir et travailler ensemble, team dans lequel on retrouve également Kara Goucher. L’expérience a porté ses fruits puisque toutes les deux repartent de Rio, une médaille de bronze autour du cou, Jenny Simpson sur 1500 et Emma Coburn sur steeple.
Bien entendu, la problématique du dopage n’est pas à écarter, là comme partout ailleurs pour expliquer de tels résultats, les suspicions restent notamment fortes sur le groupe NOP conduit par Alberto Salazar coach de Galen Rupp médaillé de bronze sur marathon et de Matt Centrowitz champion olympique sur 1500 mètres. Mais les Etats Unis ont profité en tout état de cause d’une certaine redistribution des cartes sur l’échiquier mondial, avec l’éviction de la Russie dominatrice sur les 800 – 1500 et steeple féminins, avec le retrait constant du Maroc décimé par les affaires de dopage, avec un retrait partiel de l’Ethiopie en manque de leaders (à l’exception de Almaz Ayana), l’affaire Djama Aden touchant directement Genzebe Dibaba n’y est pas étrangère et un Kenya dans la turbulence des affaires de dopage. Pour les Etats-Unis, l’étape suivante est de confirmer cette tendance enregistrée à Rio. La porte a été forcée, est-ce l’exemple à suivre ?
> Texte et photos Gilles Bertrand.