L’Ethiopien Feyisa Lilesa a eu un geste surprenant en franchissant la ligne d’arrivée du marathon olympique où il conquiert la médaille d’argent derrière le Kenyan Eliud Kipchoge. Avec ses deux mains en croix déployées devant lui, Lilesa a voulu démontrer sa solidarité avec son peuple, les Oromos, qui sont persécutés en Ethiopie. Il a répété son geste le soir en recevant sa médaille.
Le geste est aussi énigmatique qu’explicite. Feyisa Lilesa croise ses deux mains devant lui, comme s’il était menotté. L’Ethiopien vient de franchir la ligne d’arrivée du marathon comme vice-champion olympique, derrière l’intouchable Eliud Kipchoge. A 26 ans seulement, il enrichit encore son palmarès comptant déjà une médaille de bronze au Mondial 2011, un record à 2h04, et des places d’honneur dans les grands marathons internationaux.
Mais son visage reflète une grande tristesse, et son geste ne célèbre pas sa réussite. Feyisa Lilesa a choisi d’utiliser cette tribune du marathon olympique pour amener sur le devant de la scène la cause de son peuple, les Oromos. Une ethnie actuellement persécutée par le pouvoir en place en Ethiopie, majoritairement détenu par les Tigréens.
Lilesa s’en expliquera longuement en conférence de presse d’après-course, sous le regard sidéré et attentif du champion olympique, Kipchoge. Il évoque ses craintes de représailles à son retour en Ethiopie, soulignant : «Si je retourne en Ethiopie, peut-être qu’ils me tueront. S’ils ne me tuent pas, ils peuvent me jeter en prison. S’ils ne me jettent pas en prison, ils peuvent me bloquer à l’aéroport. Et je ne pourrai plus bouger. »
Des propos inquiétants, mais fondés sur les évènements tragiques connus par les Oromos avec depuis le mois de novembre, selon « Human Rights Watch», plus de 400 morts enregistrés, et tout récemment début août, selon « Amnesty International » une centaine de décès suite à des manifestations violemment réprimées par l’armée éthiopienne.
Les Oromos s’opposent aux Tigréens qu’ils accusent de conserver les positions clefs du gouvernement et des forces de sécurité, et les dissensions se sont accrues suite un projet d’appropriation de terres par les officiels éthiopiens.
Maryam Jamal, une Oromo également persécutée, avant de prendre la nationalité du Bahrein
Les tensions Oromos-Gouvernement officiel ne sont pas nouvelles. Elles avaient été à l’origine de l’exil de Zenebech Tola Kotu, qui allait devenir ensuite Maryam Jamal , sous les couleurs de son nouveau pays, le Bahrein.
La jeune athlète, très talentueuse dès ses débuts, allait fuir à 17 ans vers la Suisse, pour échapper aux persécutions, estimant qu’en qualité d’Oromo, elle était mise sur la touche par la Fédération d’Athlétisme d’Ethiopie. Elle se voyait ainsi refuser sa sélection pour les JO de 2004, alors qu’elle avait été la seule Ethiopienne à réaliser le minima sur 1500 mètres. Cet épisode précipitait sa décision de changement de nationalité pour la voir évoluer sous le maillot du Bahrein, auquel elle ramenait sa première médaille olympique, à Londres, avec le bronze sur 1500 mètres.
Un temps, les choses paraissaient plus apaisées sur ce problème ethnique, et Tarek Sabt Hasan, le mari de Maryam Jamal, lui-même un ex-Ethiopien et réfugié politique en Suisse, en témoignait auprès de nous début 2009, en soulignant : « La position de la Fédération par rapport aux Oromos a beaucoup évolué, il n’y a plus de problème. » Dans ce contexte, le couple regrettait parfois ce parcours qui les avait mis à distance de leur pays natal.
Cependant quelques années plus tard, les donnes ont à nouveau évolué, cette fois dans le mauvais sens. Feyisa Lilesa, lui aussi, réfléchit à renoncer à sa nationalité éthiopienne, et au micro de l’équipe de « Lets’Run », il avouait envisager de s’installer au Kenya ou aux Etats-Unis. Une autre option pourrait être une demande d’asile politique au Brésil.
Mais avec son épouse et ses deux enfants demeurés en Ethiopie, le choix du marathonien pourrait se révéler dramatique. Excepté si ce geste exceptionnel lancé au monde entier lui apportait une sorte de « protection »…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.