Jemimah Sumgong devient à Rio la première Kenyane à remporter l’or olympique sur marathon. Une médaille conquise dans un contexte étrange : la marathonienne est entraînée par l’Italien Gabriele Rosa et managée par Federico Rosa, mis en cause par la justice kenyane sur des accusations de dopage.
32 athlètes. C’est le nombre d’athlètes du Team Rosa Associati présents aux JO de Rio. Parmi eux, 6 Kenyans, avec deux leaders, Asbel Kiprop, attendu sur le 1500 m, et Jemima Sumgong, devenue ce dimanche 14 août la première Kenyane championne olympique du marathon.
Federico Rosa a assisté à Rio à la victoire de sa protégée, qui avait déjà brillé ce printemps au marathon de Londres. Il s’en est fallu de très peu que le manager italien ne puisse être présent pour ces JO. C’est seulement le 2 août que le tribunal de Kibera à Nairobi a accepté de lui restituer son passeport pour qu’il puisse se rendre aux JO. Et comme le révèle le site « Citizen Digital », Bernard Ochoi, le magistrat kenyan, s’est entouré de moult garanties, exigeant que lui soit présenté le billet de retour du manager de Rio à Nairobi pour le 26 août. Au préalable, après un premier refus du magistrat le 18 juillet, les avocats de Federico Rosa avaient dû constituer un dossier solide établissant la nécessité pour le manager d’être présent aux JO pour épauler ses athlètes, avec des documents établis par l’IAAF, et les 6 athlètes kenyans qu’il représente. Ceci s’ajoutant au paiement des cautions exigées, 5000 dollars pour lui, et autant de la part de deux Kenyans, se portant en garants.
Pourquoi tant de précautions ? Federico Rosa demeure sous l’accusation par la justice kenyane de faits de dopage, suite à sa mise en cause pour Rita Jeptoo et Elijah Kiprono. Le duo l’accuse de conspiration ayant atteint leur réputation en leur administrant des produits interdits. Six chefs d’inculpation ont été retenus à son encontre par le Procureur du Tribunal, tous rejetés en bloc par Federico Rosa, et qui devraient être jugés début septembre à Nairobi.
Jemima Sumgong, après Samuel Wanjiru à Pékin
La victoire de sa protégée à Rio se situe ainsi dans ce contexte très particulier. Jemimah Sumgong a été dans le passé la partenaire d’entraînement de Rita Jeptoo, contrôlée positive, et maintenant accusatrice de Federico Rosa, au sein du groupe de Claudio Berardelli, qui travaillait alors pour le manager italien. Le jeune coach italien a également été inquiété ce mois de juillet par la justice kenyane pour les mêmes motifs, libéré sous caution.
Jemimah Sumgong évolue maintenant officiellement sous la houlette de Richard Motto, mais elle bénéficie des conseils très privilégiés de Gabriele Rosa, comme les photos diffusées fin juin sur le compte Facebook de « Rosa Associati » le dévoilent. L’entraîneur, souvent considéré comme « douteux », a lui aussi été interpellé par la police du Kenya, début juillet, mais a été libéré sans aucune suite.
Comme le rappelle la biographie officielle de l’IAAF, Jemimah Sumgong a elle-même été mise en cause dans une affaire de dopage en 2012, suspendue deux ans par la Fédération du Kenya, avant d’être réintégrée sur la présentation d’un certificat médical validant que le produit incriminé lui avait été prescrit pour soigner une blessure à la hanche.
Au Kenya, cette première médaille olympique est apparue comme une rédemption pour une équipe nationale soumise à de rudes tensions, les sales affaires se succédant… Elle a ramené dans les mémoires la première victoire olympique d’un marathonien kenyan, Samuel Wanjiru sacré à Pékin avant de connaître une mort tragique dans des conditions demeurées inexpliquées.
L’or de Samuel Wanjiru comptait parmi les 14 médailles olympiques glanées à Pékin, le plus gros total atteint par le Kenya. Et ce succès est souvent pointé du doigt comme le début d’un changement radical dans l’approche de l’athlétisme au Kenya, avec la tentation forte d’emprunter des « raccourcis » douteux pour accéder plus rapidement à la réussite…
- Texte : Odile Baudrier</li>
- Photo : D.R.