A 65 ans, Gérard Lacroix vient d’en finir de sa carrière de Conseil Technique à Poitiers. Il est désormais entraîneur de club à l’EP Athlé 86. Après avoir emmené aux J.O. Bruno Konczylo dans les années 90 sur 800 mètres, il a pris depuis trois ans la destinée d’ Aymeric Lusine qui remporte à Angers le titre sur 800 mètres.
Gérard Lacroix est à la retraite, enfin pas tout à fait. Après des décades comme CDD, CTS et CTI, l’entraîneur fidèle à son Poitiers natal est toujours aussi fébrile, le débit toujours aussi rapide, la vraie retraite, ça attendra.
Car Gérard Lacroix n’a pas fini le boulot. Il est dans le cercle, il y restera. L’athlé l’a absorbé, l’a survolté. 50 ans déjà que ce sport lui a tout donné, enfin presque, lui volant parfois des biens précieux, comme son mariage qui a cassé, l’athlé, c’est parfois une drogue dure, elle brise des chaînes. Gérard Lacroix ne décrochera jamais.
« Si tu termines second, tu vas aux J.O. «. Gérard Lacroix, alors jeune trouffion, incorporé dans une caserne de Sarrebourg, ne se fait donc pas prier. Un certain René Ruiz le cogne dans la dernière ligne droite de ce cross militaire, mais à l’arrivée, le gradé peut le toiser avec le sourire : « Tu iras aux J.O. ».
En 1972, pour les J.O. de Munich, Gérard Lacroix ne sait pas encore qu’il va se nourrir une vie entière de lancers, de sauts, de lignes droites et de tours de piste avec une prédilection pour tout ce qui va vite. Au-delà du 15, il l’avoue, ce n’est plus le même monde, pas tout à fait son monde. En 1979, il occupe son premier poste de Conseiller Technique, en 1983, Serge Bord, le DTN de l’époque l’appelle pour qu’il prenne la longueur femme. Il refuse, Poitiers, c’est mon chez moi, il ne fera jamais ses valises « je me sentais engagé avec mon département, je menais une politique départementale qui portait ses fruits, j’ai refusé le poste ». En 2000, le docteur Stephan, alors installé au centre de Dakar, lui propose de le remplacer. Il y fera trois brefs séjours, mais il renonce là encore à prendre le job « j’ai fait un choix familial ». Poitiers sera donc à jamais sa terre d’athlé.
Lorsqu’il est venu dans mon groupe, je me suis dit « lui il a du caractère »
Et il en a vu passer des gaillards et des pistardes sur l’anneau rose du Creps de Poitiers. Quelques noms, la hurdleuse Nicole Ramalalanirina, le coureur de 8 Bruno Konczylo, le sprinter Ibrahim Meïté chef de file d’une tribu de coureurs africains qui dans les années 90 – 2000 met le cap sur la cité poitevine. Une vraie filière, en 1992, il conduit même deux relais, le Togo et la Côte d’Ivoire aux J.O. de Barcelone.
Aujourd’hui, c’est un certain Aymeric Lusine qui a électrifié le jeune retraité, devenu depuis peu entraîneur bénévole au sein d’Athlé 86. « Lorsqu’il est venu dans mon groupe, je me suis dit « lui il a du caractère » : « le coach est séduit. Le matin, il prenait le train avec son vélo. Il était en BTS. Puis le soir, il faisait le trajet inverse. Et en arrivant, il prenait son vélo, 4 kilomètres tout en côte pour venir au stade. Quand on fait cela, c’est que l’on a de la volonté ».
Des coureurs de 8, Gérard Lacroix en a formé une palanqué, de Bruno Konczylo, 1’45’’02 à Zurich en 1995 et des fournées de régionaux à 1’50’’. Le coach précise : « Ce sont les athlètes moyens qui font progresser » et d’ajouter « moi, j’ai toujours été curieux, j’étais affamé d’infos. J’ai organisé une quinzaine de colloques. J’écris régulièrement et je compte éditer un livre sur l’entraînement. J’ai envie de transmettre ». On l’a dit, le canapé du salon n’est pas prêt d’être usé.
Gérard Lacroix entraîne donc Aymeric Lusine depuis trois ans au sein d’un groupe comptant une petite vingtaine d’athlètes. Il découvre un jeune « impatient qui a envie de réussir » rien de plus normal. « Il voulait la perf. Je lui ai répondu « oui, mais tu vas apprendre à gagner ». Maintenant, il a compris qu’il faut prendre du temps. L’objectif, même si je n’aime pas annoncer des choses, c’est de gagner une seconde par année. Car l’athlé, ce n’est pas mathématique, on ne connaît jamais l’avenir ».
« Il était le plus petit du groupe, il était caché par l’épaule de l’autre »
A Angers, Aymeric Lusine a légèrement bousculé son avenir. Il ne pensait pas qu’une médaille, un titre seraient à…venir. En série, il se fait lourder, puis on le récupère par le haut du singlet suite au retrait pour la finale de Pierre Ambroise Bosse qui, le samedi, prend le soleil dans les travées vertes du stade. Coach et athlète font alors quelques pas ensemble, à l’abri du brouhaha pour échafauder deux scénarios « soit ça se court en 1’46’’ et au mieux tu bats ton record, soit tout le groupe reste ensemble ». C’est finalement la seconde hypothèse qui se décline « déjà avec Bruno Konczylo, on avait cette théorie, sur 800, il faut y aller ». Aux 300 mètres, le grand Khatir déploie son immense et puissant compas, dans la ligne droite, il se crispe, Selmouni passe, dans le vent Aymeric s’infiltre, Selmouni ouvre légèrement les deux bras, il se croit vainqueur. Il est déclaré vainqueur. Gérard Lacroix, à qui on ne la fait pas, demande alors la photo finish à un technicien de Matsport car « il était le plus petit du groupe, il était caché par l’épaule de l’autre ». L’analyse sera longue, l’attente sera très longue. Pour deux millièmes de seconde, Aymeric Lusine remporte le titre de champion de France. Cela fait dire au coach « il n’y a pas une course qui se ressemble ». Mais qui aurait pu prévoir un tel résultat ?
Bien avant cette finale, les rêves de cet espoir du 800 étaient déjà clairement définis en scrutant le plafond de sa chambre d’étudiant « courir les J.O. ». « Il a envie d’y aller mais il ne faut pas se précipiter » et Gérard Lacroix d’établir des comparaisons avec Bruno Konczylo qui fut son meilleur coureur sur 8 « Bruno était déjà sous les 22 » » en arrivant avec moi et à 48’’5 aux 400. Aymeric est passé de 51’’ à 48’’40. Il doit encore progresser en vitesse, c’est le nerf de la guerre. Déjà, il doit viser 1’47’’ et ensuite on verra ».
A 65 ans, ce titre de champion de France conquis par un espoir, c’est un peu une seconde jeunesse qui débute pour Gérard Lacroix. L’entraîneur n’est pas au minimum vieillesse, il carbure à l’athlé, c’est vital.
> Texte Gilles Bertrand