Quelques semaines après les J.O. de Rio, Bernard Amsalem tirera sa révérence après avoir dirigé la Fédération Française d’Athlétisme pendant trois Olympiades. Un politique engagé, venu du privé qui a propulsé la FFA dans une démarche entrepreneuriale et qui affirme à la barbe de ses détracteurs « la fédération, c’est une entreprise ». Portrait.
« Je suis un solitaire », les politiques, ils disent tous cela. Pour vous conduire dans une chicane, dans une impasse ? Pour vous détourner du brouhaha, des cancans, des traquenards ? Une invitation à soulever l’épais rideau délimitant espace public, espace privé, à mettre le pied sur des petits bouts de vérité ? Il faut écouter.
Cet entretien n’était pas prévu. Pas de rendez-vous coché dans un carnet surchargé, au beau milieu d’un France Athlé, dans ce tourbillon d’élus, de parvenus, de partenaires, de commères, de retraités des pistes, presque tous resplendissants, de techniciens fébriles tirant des câbles, quel jeu de piste, dans ce gradin, le neuvième couloir. Les deux bras croisés, parfois à remonter une mèche volage, Bernard Amsalem s’est planté ainsi, en appuie un pied sur l’autre, juste après un simple bonjour.
« Je suis un solitaire ». Faut-il le croire ? Faut-il le démentir, lui le notable de l’athlé qui à pas chassés, aux aguets, drapé dans son costume de notaire, court de ligues en commissions, de tribunes en réunions, de stages en stades, il le précise lui-même « je ne passe que quatre à cinq week end par an chez moi ». Alors les instants de solitude se mesurent sur une échelle de temps qui lui appartient. Fermons la parenthèse.
Bernard Amsalem est donc dans la dernière ligne droite de son mandat, dernier sprint, dernier lancer, dernière tintement de cloche à sonner, à rameuter les troupes à la tête d’une fédération conquise en 2001. Aujourd’hui, dans l’avant Rio, Bernard Amsalem se prépare au grand saut. A 65 ans bientôt, la retraite est proche, il dit : « C’est comme un livre, lorsqu’il est lu, on le remet dans la bibliothèque ». Puis il ajoute comme une fin d’interview, comme un titre autobiographique « je suis rentré dans ma passion, le rêve s’est réalisé ».
Les élus sont tous des hommes de chiffres. Bien sûr qu’on les juge sur leurs foutus caractères
Bernard Amsalem, c’est un homme de chiffres. Les élus sont tous des hommes de chiffres. Bien sûr qu’on les juge sur leurs foutus caractères, sur leurs égos, sur leur pouvoir, sur leur mode de gouvernance…sur leur autorité, lui ne s’en cache pas « oui je suis autoritaire lorsqu’il le faut », ses bras droits aussi lui reconnaissent cette capacité à trancher net du flanc de la main, mais au final, ce sont les chiffres que l’on retient, il appelle cela « des indicateurs ». Il veut en souligner deux, en marteler deux comme s’il était à la tribune de sa dernière AG, comme s’il testait déjà son discours d’adieu. Fier des 300 000 licenciés, fier d’une croissance de 5 à 6% pour an alors que les autres fédérations piochent du nez avec 1 à 1,5%. Il y ajoute les mots, les phrases déjà relues, marmonnées dans le silence « ce fut une révolution culturelle, on a diversifié l’offre, on a inventé des jeux, maintenant on joue à l’athlé. On a formé 2000 animateurs, Anim’athlé est un succès ». Les chiffres se bousculent, il veut convaincre, il règle le point de visée pour ajuster « les cadets, c’est la bascule vers la performance, avant on perdait des cadets, aujourd’hui et depuis dix ans, c’est plus de 5% de croissance ». Second indicateur, les médailles. Et même s’il affirme « j’en ai marre de la dictature des médailles, je le dis souvent aux politiques mais jugez plutôt ce qui se fait avant la médaille», voici encore un chiffre au crédit du bilan Amsalem « Auparavant, nous avions 25 à 30 médailles en une olympiade, aujourd’hui nous sommes à 60 et peut-être à 80 à la fin de cette olympiade ».
Alors ce fut quoi le système Amsalem ? Certains disent sans se cacher « son réseau », lui répond en plantant bien droit son regard dans le votre « il y a du mal à développer l’athlé ?!». Par un réseau d’élus ? Réponse directe : « J’ai été maire. Alors, quand je rencontre un maire, je sais comment leur parler ». Par un réseau d’entreprises ? L’ancien cadre dans le groupe Pasteur Sanofi a indéniablement inculqué un esprit entrepreneurial dans cette vieille institution qu’avant lui, le pétulant Philippe Lamblin avait déjà tenté de dépoussiérer. Il précise : «La société impose d’être pragmatique et moi je suis un socialiste pragmatique. La fédération était trop conservatrice, toujours tournée vers le passé. Aujourd’hui, la FFA, c’est une entreprise.». Venons-en donc aux ramifications politiques ? Il ne faut pas tourner dans la cour carrée du temple, Bernard Amsalem est un politique, un animal politique, il a reçu des coups, il en a donnés, pour se donner de l’épaisseur, la couenne nécessaire pour supporter les boulets de canon, les charges émotionnelles, pour dépasser le passionnel et rester dans le concret, au risque de faire mal autour de soi. Il y a toujours des dégâts, des laissés pour compte, de l’amertume qui ne s’éponge pas si facilement dans les arrière-cours d’une démocratie…participative. Dans nos basses provinces, nombreux se sentent isolés, peu écoutés voire incompris du stade Charléty, des bénévoles dirigeants et entraîneurs de l’ombre, dans l’ombre. Si table il y avait, Bernard Amsalem aurait pu taper avec le plat de la main pour accompagner ce propos « c’est faux de dire que l’info remonte mal de la base ». On en revient donc à la question de la gouvernance, à cette capacité à écouter, être créatif, à mener un projet d’équipe. Ah cette sacrée rhétorique des mots ! Gouvernance, un mot que l’on presse comme un citron trop mûr et qui viendra encore une fois assaisonner les débats de l’après Amsalem.
Il prend le balai comme une arme et dit « Non, je suis là pour apprendre un métier »
Bernard Amsalem s’est construit un personnage politique. Il l’affirme comme une cicatrice à montrer en soulevant un pan de chemise « L’école n’a pas voulu de moi ». Mai 68, il n’a que 16 ans, il s’agite, il est viré du lycée. Avec 300 francs en poche, il part huit mois pour un tour d’Europe. A son retour, lorsqu’il revient au bercail familial, le routard embrasse sa mère, il lui dit : « La France, ce n’est pas si mal ». Il se cherche, il hésite, finalement, il rentre à la pharmacie Constantin à Darnetal pour obtenir un CAP de préparateur en pharmacie. Au quinzième jour, on lui demande de laver le sol et de faire les carreaux. Il prend le balai comme une arme et dit « Non, je suis là pour apprendre un métier ». Le Bernard Amsalem engagé est né. De suite, il vire rose, intègre le syndicat FO et crée la revue Apozem (ndlr : tisane en vieux français). Il quitte la famille Constantin et rejoint l’officine de Pierre Quintard, également maire de Bois Guillaume, la banlieue BCBG de Rouen. Politiquement, ils ne partagent pas les mêmes idées, mais le jeune apothicaire écoute la politique qui se fait et se défait en sourdine, souvent mesquine, perfide « j’ai découvert la mairie ». Mais là encore, il se barre, le Bernard veut ouvrir des portes. Ce n’est pas une question de destin, le jeune homme a de la carrure, il ne veut pas tirer sur les manches, une vie uniquement en blouse blanche. S’en suivent néanmoins cinq ans à la pharmacie de l’hôpital psy de Sotteville « je suis parti, je m’ennuyais et j’ai tapé à la porte de Pasteur pour un poste d’agent de maîtrise. Mais j’y ai posé mes conditions. Tous les deux – trois ans, je veux changer de service. Finalement, toute ma vie, je l’ai passée ainsi ». A grimper des marches, celle de la Mairie de Val de Reuil qui finalement sera sa rampe de lancement, sa main courante d’une carrière d’élu « J’ai été le premier à habiter Val de Reuil, c’était un F4. J’y ai créé l’association des résidents de cette ville nouvelle, puis la section PS en 1976 ». En 1981, on l’appelle Monsieur le Maire. Il n’a que 30 ans. Un avenir se découpe, il affirme « vous voyez, ce n’est pas la peine d’être énarque ».
A Val de Reuil, Bernard Amsalem est donc le dos au mur, la cité sent le plâtre, il y a tout à faire et il aime ça, coller des pansements, administrer des placebos s’il le faut, construire des atèles, des ponts, des trottoirs, selon un plan d’urbanisme en damier, pour que ce petit monde marche ensemble, se croise sans s’éviter «on innove toujours dans une ville nouvelle. Nous avions 68 nationalités, 75% de logements sociaux, mon modèle ce fut Philippe Seguin le maire d’Epinal ». Il n’a pas à effeuiller les vieilles affiches électorales qui sentent encore la colle pour se souvenir d’un chapelet de slogans. Ils sonnent encore justes car tout ou…rien ne sera jamais réglé « défendre l’humain » « l’humain plutôt que l’urbain » et puis « le sport d’abord ».
« Ca coûtait un franc, moi, parfois je volais discrètement les feuilles »
Car Bernard Amsalem, sous le col amidonné, est un fondu de sport et d’athlé. Depuis gamin, il aligne dans des petits cahiers des listes de noms « je cultive les chiffres », tous les sprinters sous les 10’’60, ils ont leurs noms dans ses cahiers d’écoliers « à la fin de la saison, je faisais des bilans ». Aujourd’hui encore, il gratte prénom, nom et performances chiffrées d’une fine plume « c’est mon plaisir personnel, ça me repose, ça m’enrichit, je ne pense plus à rien ». Lorsqu’il dit « je suis un solitaire » c’est à ces moments qu’il pense quand, voûté sur la page blanche il met un point final à chaque ligne droite. Il ajoute l’anecdote qui à elle seule, peut remplir une page autobiographique « à l’époque, une page de résultats dans un championnat, ça coûtait un franc, moi, parfois je volais discrètement les feuilles ».
Le nouvel élu, louveteau du PS local, veut donc une ville sportive « on ne peut pas faire autrement lorsque vous avez une moyenne d’âge de 18 ans ». Alors dans cette cité fraîchement viabilisée, il lui veut un stade, il l’aura. Il lui veut des championnats, il les aura dès 1995, les combinards y sont les bienvenus. Il veut une salle couverte, la Région signe le chèque avec dans la corbeille son lot de championnats hivernaux. Il veut du sport à l’école, Bernard Amsalem, jeune élu, brasse à tout va et use des coudières dans un marathon de réunions. Ca grince avec le recteur mais les idées font leur chemin bien avant la réforme des cycles scolaires. C’est le discours du politique qui prend le dessus pour dire « il faut du vivre ensemble pour se respecter. Chez nous, le FN ne s’est pas implanté (ndlr, aux dernières municipale en 2014 le FN était absent, aux dernières présidentielles en 2012, le FN réalise 18%). Val de Reuil avec ses 8000 habitants se fait un nom, Bernard Amsalem aussi. Cette forte carrure se dessine, s’épaissit, les mandats s’accumulent. Cela le propulse dans les instances fédérales, la route Normandie – Charléty s’ouvre à lui pour conquérir ce poste de président qu’il occupe depuis 2001. Bernard Amsalem en chef de gare, Paris Charléty, sans répit, c’était pour lui.
Trois Olympiades, 12 ans de pouvoir, c’est un homme de pouvoir, avec un… mandat de trop ? Il ne peut l’avouer. Il se voyait sans doute un autre destin. Il se réfugie habilement dans une phrase toute faite « les athlètes, c’est ma satisfaction ». Puis il l’enrichit d’un exemple « regardez ce benjamin à 10’’96 sur 100 mètres ! ». Des détracteurs ? Oui, c’est inévitable, deaucoup dans les provinces, la France des Interclubs se sentira toujours exclue, trop peu dans l’hémicycle, Daniel Arcuset en 2012, Marcel Ferrari aujourd’hui, le président n’en fait pas un secret, sur le Lyonnais il affirme « il est toujours dans la critique permanente ». Bernard Amsalem ne doute pas. Tout au moins, il le dissimule bien, règle première d’un politique. Restons-en donc aux chiffres, son bilan pèse lourd. Le reste, les critiques, ça glisse comme un mauvais crachin sur un feutre déperlant. On en revient toujours au point de départ lorsqu’il affirme « la politique, c’est la meilleure formation, je suis un pragmatique. Je n’aime pas lorsque l’on dit « dans le sport, on ne fait pas de politique ». Mais c’est un acte politique. Lorsque l’on dit cela, on affaiblit le sport ».
Des problèmes de budget ? Une fédération trop dépensière, vivant deux crans de ceinture au-dessus de ses moyens alors que la base souffre d’un manque chronique d’argent, il balaye la question comme on souffle sur une miette de pain sur une toile cirée. Il n’a pas révisé ses fiches pour dire : « nous avions six millions de contrat avec Areva, en 2017 nous allons démarrer avec sept millions ». La route pour sauver l’athlé ? Sa réponse « nous, on sait parfaitement organiser ce qui coûte, c’est-à-dire l’athlé, notre background. Maintenant, on va chercher à organiser ce qui rapporte ». Le plan a été baptisé « j’aime courir » avec l’espoir à l’horizon des 5 ans, être propriétaire de 200 épreuves, soit 400 000 à 500 000 coureurs et des ressources potentielles estimées à plus de deux millions d’euros.
Il s’est battu contre le dopage, pas assez pour certains, des ombres planent encore au tableau noir de la triche. Il a tendu la main à certains, d’autres ont été oubliés, il s’est pris des coups de règle « Oui Teddy Tamgho, je ne l’ai pas laissé tomber. Je m’en fous des critiques. Vous savez qu’il vient de Sevran, d’un quartier difficile, moi j’y crois au sport comme facteur d’ascension social. Je ne veux pas d’un athlétisme kleenex. ». Il faut parfois savoir ramasser les vieux mouchoirs.
Vient enfin la question de sa succession, il répond dans le coup de pistolet par un « non, je n’y ai pas pensé ». Ca, on ne peut le croire. Un bref silence pour lire dans vos pensées, il dévoile aussitôt « André Giraud, c’est le candidat naturel, on a tout partagé ensemble, c’est un homme d’ouverture ». La campagne a débuté.
Il déteste le mot Pied noir « moi, je suis juif d’origine berbère
C’est donc un homme du privé, un homme de réseaux, un politique habile, un écorché de la vie qui a gouverné 15 ans la grande maison, il glisse « c’est mon parcours qui m’a construit ». Il ajoute « je suis un migrant ». La blessure est donc là, ouverte en juin 1962 lorsqu’il quitte Saïda et le Sud Orani où le grand père tient un magasin de jouets. Les bagages se bouclent dans l’urgence, le grand-père lui admoneste « tu ne choisis qu’une chose ». Il ferme le poing sur un soldat de plomb, le métal est toujours froid, ce sera l’objet fétiche d’un exil, à Toulouse puis à Rouen dans un centre d’accueil. Il déteste le mot Pied noir « moi, je suis juif d’origine berbère. Nous étions là il y a 1500 ans. Nous sommes devenus Français par décret ».
L’an passé, plus de 40 ans après avoir quitté son Algérie natale, Bernard Amsalem est retourné à Oran. En cheminant dans les ruelles du quartier juif, des mots d’arabe lui sont revenus. Dans un discours, c’est un homme de discours, posé, à la Mauroy, il martèle « on m’a renvoyé de mon pays. En France, on m’a mal reçu, j’étais considéré comme un arabe ». Devant les jeunes sprinters impétueux, curieux, parfois fougueux, il joue l’instituteur d’autrefois, le grand-père d’aujourd’hui, connecté, encarté, il leur lâche : « Nous Juifs, nous sommes noirs de l’intérieur. C’est peut-être pour cela qu’on se comprend mieux ? ». La question est entière.
> Texte et photos Gilles Bertrand