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Yamna Oubouhou, l’oiseau rare

Yamna Oubouhou sur marathon au Mondial de Berlin en 2009

Yamna Oubouhou sur marathon au Mondial de Berlin en 2009

En 1999, sur la lancée d’un beau Mondial en salle, Yamna Oubouhou remporte l’argent au Mondial de cross court et conduit la France sur la plus haute marche du podium. En 2001, elle devient la seconde Française à remporter les Europe de cross disputés cette année là à Thun en Suisse. On la désigne alors comme l’un des symboles d’une banlieue qui se cherche des modèles d’intégration. 

 

Enani Ouahabi disait toujours : « Je veux trouver mon oiseau rare ». Au pied d’une tour de la cité Pierre Collinet à Meaux, l’oisillon tombé du nid, ce fut Yamna Oubouhou.

Enani Ouahabi était un ancien boxeur, éducateur dans un foyer de grands délinquants à Meaux. Le père de Yamna arrivé en France après avoir remporté un concours de bûcheron pour devenir poseur de voie ferrée, lui avait dit : « Je te confie ma fille ».

A 9 ans, Yamna, c’était une petite gaminette au physique potelé que l’éducateur remarque lors d’un cross tracé dans le quartier. Il avait l’œil. Yamna se souvient : « Aujourd’hui à 40 ans, c’est toujours lui qui revient dans mes souvenirs lorsque j’évoque ma carrière ». L’homme qui lui fait oublier une intégration difficile, l’éducateur de rue qui lui trace un chemin sans voile : « Le sport, ce fut mon échappatoire car j’étais arrivée en France avec cette sensation de mal être. En fait, moi, je voulais rester au Maroc. J’étais bien au village avec mes grands parents. Je voyais mon père une fois par an, il faisait le papa poule. Le jour où il nous annonce que nous partons vivre en France, je me suis cachée. Avec le sport, j’ai trouvé ma place. Je me suis sentie enfin apaisée. Je me souviens, j’ai même souri à ma mère ».

Meaux, l’ancienne capitale de la Brie, une cité qui dans les années soixante accueille une population laborieuse venue en partie du Maghreb. Des barres comme des remparts, la cité Beauval, le quartier Collinet, il y a une vraie pointe de tristesse et de mélancolie lorsque Yamna revisite les lieux de son enfance. Le sucré l’emporte malgré tout sur l’amertume : « A l’époque, c’était du bonheur. Nous n’avions jamais les portes fermées. On vivait en communauté. Je me souviens du marchand de glace, on courait tous derrière lui. Aujourd’hui, tout a disparu ».

Peintre éphémère de lignes de vie pour ces jeunes filles en quête d’identité et de liberté

Enani Ouahabi est entraîneur sans l’être. A l’instinct, sans diplôme, juste observateur. En quête d’équilibre pour lui-même, entre esquives et coups bas lorsqu’il croise sur son chemin ces petits malfrats de banlieue,  peintre éphémère de lignes de vie pour ces jeunes filles en quête d’identité et de liberté. Avec des mots, de la rigueur, de la droiture : « Il parlait du sport comme personne. Il avait une vraie philosophie du sport. Il voulait que les filles fassent du sport ».

L’homme d’origine algérienne a un œil sur la petite Yamna, cueillie aux pieds des tours. L’éducateur ne peut trahir la confiance que les parents de Yamna lui ont accordée : « Il venait me chercher en bas des tours. J’avais un côté garçon manqué. Mes parents lui avaient donné la permission de s’occuper de moi. Alors il me surveillait. Il m’a fait travailler sans que je me pose des questions. Tous les coachs auraient aimé avoir un athlète comme moi. Plus il m’en donnait et plus je bossais. Il était calme, discret, peu envahissant. Il laissait l’athlète à sa place. On avait toujours un dialogue ».

Nous sommes en 1990. Le gouvernement Rocard crée le Ministère de la Ville. On parle d’égalité des chances, de mixité et de cohésion sociale. Les plans se succèdent et vacillent comme des piles d’assiettes. Une abréviation en chasse une autre pour replâtrer la misère de ces banlieues en souffrance. Yamna Oubouhou est une enfant de ces Zones Urbaines Sensibles : « Il fallait que je m’en sorte ».

Yamna Oubouhou en 2001 lorsqu'elle remporte le titre de championne d'Europe de cross devant Annemari Sandell

Yamna Oubouhou en 1999 lorsqu’elle remporte la médaille d’argent au Mondial de cross devant Annemari Sandell

Première échappée belle, son titre de championne de France cadette sur 1500 en 1990. Seconde envolée, l’année suivante, elle double, le titre sur 15 et le record de France sur 3000. Les années juniors, c’est le trou noir, les années espoirs, c’est le retour avec deux titres hiver – été, coup double toujours sur 15.  Nous sommes en 1994, fin des années Sergent, début des années Fatès et Bitzner. La petite Yamna s’affine et s’affirme, elle précise : « Ma première sélection en cross, ce fut une révélation ». Pour se sentir française, intégrée, acceptée, elle qui jusqu’au collège est placée dans une section pour enfants en difficulté : « Mon seul handicap, je maîtrisais mal le français ».

Elle connaît ainsi sa feuille de route, début décembre les Europe, fin mars, le Mondial.  «L’athlé devient ma première famille. J’étais dans une spirale, toujours la valise devant la porte ». Yamna Oubouhou s’affranchit, les trois syllabes d’un patronyme mélodieux se scandent dans les champs de cross. Aux Europe, de 1996 à 1998, elle joue une place dans les 10 et la plus haute marche par équipe. Au Mondial 99, Richard Descoux alors DTN tente un coup de poker avec celle qui a pris pour mari, Henri Belkacem et qui reçoit désormais les conseils de Patrick Bouccard. Il réussit à lui faire admettre que ses chances sont sur le Court dans la foulée d’un Mondial en salle disputé à Maebashi au Japon où elle se classe quatrième, 8’41’’63, nouveau record de France. Stratégie payante puisque la France remporte pour la première fois un Mondial, détroussant au passage le Kenya et le Maroc, une équipe conduite avec autorité par une Yamna médaillée d’argent. A peine descendue du podium par équipe, elle soufflera : « Ce jour là, en écoutant la Marseillaise, j’ai ressenti quelque chose d’inconnu ». Une Marseillaise qui l’enveloppe à nouveau lorsqu’elle remporte les Europe de cross à Thun en Suisse en décembre 2001, d’une courte tête devant la russe Olga Romanova.

Ce Mondial de Belfast et ce titre européen marquent un tournant dans la carrière de la banlieusarde que l’on cite volontiers comme modèle d’intégration. Récupération politique ? Jean François Copé, le maire de Meaux étiqueté à droite, l’invite à rejoindre son équipe municipale. De cette incartade dans la vie publique locale, elle en parle, malgré les écueils, avec mansuétude et regrets : « J’ai accepté d’être conseillère municipale pour faire plaisir à Jean François. Mais je ne m’étais pas posée la question du pourquoi de ce rôle. Je n’étais pas du tout faite pour la politique. J’étais faite pour le sport.  Je ne pouvais pas apporter ce que les gens me demandaient ». Dans sa cité, cet engagement est contre nature, on la montre du doigt : « J’ai été mal comprise par ma communauté ».

« Je voulais leur donner un toit comme tout enfant issu de l’immigration »

Ce titre européen, Yamna Belkacem, le savoure comme une pastille qui fond bien trop vite sous la langue. Le goût est éphémère. Car très vite, l’horizon s’assombrit. Un divorce fracassant, un contrôle fiscal  qui l’étrangle, Yamna perd l’équilibre, prise dans la tourmente. Elle est ruinée : « J’avais des projets pour mes parents. Je voulais leur donner un toit comme tout enfant issu de l’immigration ». S’en suivront quatre années d’une longue dépression. Richard Descoux qui a quitté son siège de DTN, lui tend la main. Elle s’installe un temps au Creps de Montpellier, dans un petit studio, comme une étudiante attardée. Mais deux fers aux pieds la plongent dans une profonde déprime : «La dépression, c’est une maladie, c’est pour cela que je n’ai pas honte d’en parler. Ca détruit la tête et le physique. Je pensais être bien entourée mais en fait non. Je pensais : « Mais je suis forte moi, pourquoi moi ? Il faut des années pour revenir comme femme, pour retrouver sa place dans la société ».

Yamna, qui a repris son nom de jeune fille, ne retrouvera jamais sa vraie place. A 27 ans, elle pouvait espérer mieux et plus. Notamment sur la route du marathon, mais lorsqu’elle se décide enfin, il est sans doute trop tard. Il ne reste que des strapontins. 2h 31’56’’ à Paris en 2008 en suivant une préparation dictée àla lettre par Benoît Z, c’est insuffisant pour les J.O.

Aujourd’hui, Yamna vit dans le calme verdoyant d’une banlieue paisible. Une petite fille de cinq ans sur les genoux, un mari qui a réussi dans le business du sport.  En haut dans le grenier, les médailles égarées dans un carton mais les coupes soigneusement rangées au cordeau. Chaque mercredi, elle traverse Paris et sa banlieue Ouest pour entraîner au Stade de Vanves : « J’y prends du plaisir ». Pour y trouver l’oiseau rare ? Elle répond : « Mais j’en ai déjà trouvé une. C’est peut-être une future Viviane Dorsile (*). Mais je ne sais pas si je vais réussir à la convaincre ».

En ce mois de novembre endeuillé par les attentats de Paris, la France s’est drapée dans le bleu blanc rouge du drapeau français. Yamna de s’interroger : « J’ai l’impression d’un énorme gâchis. J’ai couru 36 fois pour la France mais mon expérience n’est pas utilisée. Nous sommes nombreux dans ce cas. On se sent abandonnés». Les élus peuvent-ils entendre cette fille de la République ?

> Texte et photo : Gilles Bertrand

. * Viviane Dorsile : championne de France du 400 en 1991 et du 800 en 1992 (MPP : 1’59’’52). Médaillée d’or aux Europe à Helsinki avec le relais 4 x 400 m. Sélectionnée olympique en 1996.

. Yamna Oubouhou :

. 8’38’’13 sur 3000 m (1999)

. 14’47’’79 sur 5000 m (2000)

. 32’05’’98 sur 10 000 m (2001)

. 32’00’’ sur 10 km route (2001)

. 1h 14’09’’ sur semi marathon (2011)

. 2h 31’56’’ sur marathon (2008)

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