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VENUSTE NIYONGABO, MA MEDAILLE EST ARRIVEE TROP VITE

A Atlanta, Vénuste Niyongabo, coureur de 15 en parfaite maîtrise du 5000 m

A Atlanta, Vénuste Niyongabo, coureur de 15 en parfaite maîtrise du 5000 m

La carrière de Vénuste Niyongabo fut éphémère. Vainqueur sur 5000 mètres du titre olympique en 1996, il quitte la scène athlétique à 26 ans, miné par les blessures. Aujourd’hui, le Burundais est un homme courtisé de part son poste chez Nike Europe mais c’est surtout comme citoyen engagé pour la paix dans un pays toujours en proie à la rébellion.

 

Un après midi de meeting, j’ai arraché Vénuste Niyongabo à son métier. J’ai attendu la fin d’un repas « d’affaires». Ce fut long. Je l’ai surveillé du coin de l’œil, le dos au mur. Il faut savoir attendre. Enfin, nous nous sommes installés en mezzanine, à l’écart de ce brouhaha qui enveloppe les cuisines d’un meeting. Ces longs après midis où presse, managers, athlètes battent la semelle en s’observant dans une vraie fausse camaraderie.

Avec Vénuste, nous nous croisons depuis plus de vingt ans. On se dit toujours deux mots, quelques mots, le plus souvent dans les travées d’un stade. On échange des nouvelles du pays, des noms en commun qui ont croisé notre chemin comme Adolphe, aujourd’hui ministre des sports au Burundi et qui fut dans le passé le coach de Vénuste. Parfois il me dit : «Tu es toujours à France 2 ?». « Non, tu sais… ». On lui tape si souvent sur l’épaule.

Dans un tel tourbillon, il faut un peu de temps pour échanger plus que deux mots. S’asseoir enfin autour d’une table et se faire face. Car Vénuste Niyongabo est un homme courtisé, bavard aussi, qui aime se sentir entouré pour parler. On l’entoure facilement. Car son métier, c’est connaître, rencontrer, découvrir, parler, de ce phrasé si charmant, si précieux, si courtois que nous lui connaissons.  C’est sans doute le cadre de cette rencontre dans le fourneau brûlant de ce meeting qui lui fait dire à peine les deux coudes posés sur une table ronde : « Très franchement, lorsque j’ai arrêté ma carrière, je ne pensais pas rester dans mon milieu. Je suis très orgueilleux d’avoir la facilité de travailler chaque matin avec ceux qui aiment mon sport. Un sport qui, lorsque j’étais athlète, m’a beaucoup enrichi ».

L’aventure, c’est savoir comment les gens vivent, et découvrir ce que les gens aiment

Je vous l’ai dit, Vénuste, l’ancien champion olympique du 5000, sacré à Atlanta en 1996, parle savoureusement bien. venuste 3 aComme lorsque l’on s’assoie au pied d’un arbre séculaire pour faire bruisser le son d’une histoire. D’hier ou d’aujourd’hui. De souvenir et de réalité. Subtil ou futile. Vénuste est dans son temps, dans son époque. Il ajoute : « Aujourd’hui, la base c’est toujours la performance mais tu dois trouver un athlète qui communique bien et qui se rapproche des gens qui aiment ce sport. La société change, l’athlétisme doit aussi changer pour répondre à ceux qui aiment voir l’athlétisme». Renaud Lavillenie traîne au lobby sous nos pieds. Au rebond, il ajoute : «Renaud, sa performance, sa personnalité, il est proche du public. De mon époque, les champions étaient loin. Ils venaient au stade et c’est tout. Aujourd’hui, Renaud avec la diversité de choses qu’il fait, cela nous aide pour nous rapprocher de tout ce monde ».

Basé en Italie, son pays d’accueil, Vénuste Niyongabo, à 40 ans passé, rayonne désormais en Europe, une virgule sur l’épaule gauche comme l’un des responsables marketing chez Nike. « C’est un travail de relations, des relations qui te donnent plus de possibilités pour connaître les autres. Pour trouver des personnes justes. Ils doivent croire et comprendre la mission de la compagnie ». Lors d’une première rencontre à Sienne,en 1995, à l‘ombre de la Via Scarletti, non loin de la Plazzia Del Campo, il avait tout juste 21 ans, ce qu’il disait de lui-même fait encore écho aux propos d’aujourd’hui : « L’aventure, ce n’est pas seulement de courir. L’aventure, c’est savoir comment les gens vivent, et découvrir ce que les gens aiment ».

Champion olympique à 22 ans, l’aventure, ce fut trop tôt. Il le reconnaît. La parenthèse Nike est vite fermée, il plonge droit dans son passé pour une brassée de souvenirs   : « Ce n’est pas moi qui ait voulu arrêter. C’est mon corps. Un arrêt forcé. A 26 ans, je n’étais pas prêt à arrêter». Vénuste pensait pouvoir encore gagner, enchaîner meetings et championnats, les saisons, été, hiver, sur 1500, 5000, descendre sous les 13’, le 10 000 ? Oui ! Pourquoi pas avec l’âge venu. Il traverse alors une crise de trois années : « J’ai mal géré les difficultés. Je n’ai pas été patient pour me reconstruire. J’étais habitué à gagner facilement, et devant la défaite, j’ai perdu l’envie ».

Je savais que dans mon mal, je pouvais réussir car je ne vivais pas de manière négative l’éloignement avec ma famille

A 19 ans, Vénuste Niyongabo s’arrache à sa famille, la famille africaine, des gamins en pagaille, sept bouches à nourrir, une mère enseignante et un père infirmier vétérinaire. Ils habitent le Sud, à Vugizo, une zone heureusement peu touchée par les tensions ethniques entre Hutus et Tutsis. Mais lorsque l’opportunité lui est proposée de quitter ce pays en guerre fratricide pour rejoindre l’Italie, Vénuste se laisse convaincre : « Ce fut difficile la première année car je n’étais pas un sportif affirmé. Je ne savais pas si cela serait ma profession. J’étais un gamin, je n’avais que 19 ans. Mais je savais que dans mon mal, je pouvais réussir car je ne vivais pas de manière négative l’éloignement avec ma famille ».

Vénuste Niyongabo est un talent précoce révélé au Burundi en se frottant aux militaires à qui le jeune cadet met des branlées. En Europe aux côtés d’un entraîneur, Angelo Bellanova et d’un manager, Enrico Dionisi, manager à l’ancienne, à l’italienne, il déroule cette élégante et longue foulée. Second au Mondial junior sur 1500 en 1992 à Séoul, demi finaliste à Stuttgart en 1993, à Göteborg en 1995, on le présente déjà comme le seul à pouvoir glisser une épaule dans le duel opposant Morcelli et El Guerrouj. Seulement médaillé de bronze, il doit encore attendre son tour.

Il aura peu à tourner en rond. Atlanta est déjà dans tous ses états. Il raconte : « J’en rigole toujours en écoutant les commentaires sportifs. Ils essaient de tâtonner mais ils ne savent pas vraiment ce qui ce passe. Pour éviter la pression, je n’ai jamais rien raconté à personne, mon entraîneur savait, mon manager aussi. Mais personne ne savait quel serait mon choix, même mon sponsor ne savait pas. En meeting, je courais sur 1500, je perdais. Mais en fait, je m’entraînais pour le 5000 ».

C’est le seul jour où la rébellion n’a pas fait la guerre

Vénuste Niyongabo court ainsi la finale des J.O., comme un coureur de 15. Planqué, enveloppé dans un peloton compact alors qu’un Nyariki puis un Kennedy font le mariole en tête de course. Avant dernier tour en 60’’08, le Burundais se porte méthodiquement en tête aux 500 mètres puis s’envole vers une victoire historique. Flash back : « Si je regarde en arrière, lorsque je gagne les J.O.,  pour moi, tout était au même niveau, j’ai affronté de la même façon un meeting et les J.O. ». Le lendemain de sa victoire, il prend la vraie mesure de celle-ci, son poids, sa portée symbolique : « Je venais de comprendre que j’avais gagné pour mon pays. Le coup d’Etat avait eu lieu le 25 juillet et je gagne le 3 août. Il avait la négativité du coup d’état et la positivité de ma médaille. En rentrant au Burundi, j’ai rencontré des gens de la rébellion. Ils m’ont expliqué que le jour où je gagne cette médaille, c’est le seul jour où la rébellion n’a pas fait la guerre. J’ai compris l’impact d’une médaille pour un pays et comment cela peut jouer pour la réunification ou la solidarité ou la cohésion sociale ».

20 ans plus tard, le Burundi est toujours en proie aux mêmes troubles, aux mêmes démons. En ce mois de novembre, à Cibitoke, c’est une patrouille policière qui subit le feu de rebelles. A Bujumbura, c’est la résidence du Maire qui est attaquée à l’arme lourde. A Kinanira, c’est l’armée qui est visée. A Bwiza, c’est le chaos dans un bar alors que plusieurs grenades éclatent. Vénuste Niyongabo, homme de paix, engagé depuis plusieurs années en soutien à des actions de réconciliation nationale, s’exprime ainsi : « Je me sens honteux Car la guerre n’a pas servi à la population burundaise. Mais comment peuvent-ils rester aussi égoïstes ? Pourquoi n’y-a-t-il personne dans ce pays pour penser au bien être de ce pays ? C’est la destruction des jeunes. L’école ne marche pas, les hôpitaux ne marchent pas. Le sport est utilisé pour la communication des autorités et non pas pour le développement des jeunes ».

Une simple médaille ne peut suffire à guérir toutes les plaies dans une société fragmentée, fragilisée par les attaques récurrentes comme celles qui endeuillent le pays au quotidien. Vénuste ajoute : «Là où je suis, je n’ai pas besoin d’avoir des ennemis, de brutaliser les personnes à vouloir changer les choses. Finalement, ma médaille est arrivée peut-être trop vite».

 

> Texte et photos : Gilles Bertrand

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