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Rencontre avec Yoann Kowal

yoann kowal 21 vignetteDe retour de stage, rencontre avec Yoann Kowal, sacré champion d’Europe du 3000 mètres steeple à Zurich l’an passé. Dans le calme de son Périgord natal, il évoque sa saison en salle, son retour sur 15 et ses espérances sur le steeple.

 
Une maison neuve perdue dans les bois ? Je venais de laisser à droite la petite route conduisant à Bussac, un gros bourg de 450 habitants, le buste penché sur le volant à surveiller l’embranchement suivant. La Rousselerie Haute, c’était là, un hameau perché sur une colline, une caravane posée en plein champ, une maison de maître et des paons faisant la roue et un anglais perché sur son échelle : « La maison de Yoann Kowal s’il vous plaît ». « Au château d’eau, vous tournez à gauche. Euh…non, non, vous tournez à droite ». Je l’ai remercié en anglais et j’ai mis le clignotant pour descendre en contre bas, dans un coin de forêt claire.

Le grand portail gris s’est ouvert lentement, en silence. Gaya la chienne ne s’est pas précipitée sur moi pour me renifler les chevilles. La niche était vide. La porte d’entrée était déjà entrouverte. Yoann m’attendait. J’ai essuyé mes pieds, je suis entré.

Yoann en parlait depuis plusieurs années de ce grand chez soi. Visite guidée. Vaste salon lumineux où la médaille des Europe est encore accrochée au mur. Belle cuisine de bois et de marbre. Des pièces claires, quelques plantes soigneusement posées, quelques cadres au mur comme des touches de couleur printanières, un panneau symbolique ramené de Rio de Janeiro Nutz et Twinutz. Au fond du couloir, la salle de massage, au mur, le drapeau des J.O. de Londres et ses mille signatures.

Yoann habite ce beau pavillon depuis avril 2014. Un petit nid et son toit gris bien caché. Les arbres grimpent hauts. La pelouse est verte, les murs sont blancs. Parfois les paons s’invitent et grimpent sur les voitures, le chien jappe après. Ca trompe le silence. C’est tout juste si la mamie qui habite en face met le nez à la fenêtre.

Il est 14 heures, on s’assoie au bar, les sms tombent, on se boit deux cafés, Yoann propose des chocolats, des biscuits à croquer. Il les regarde, il ne craque pas. On parle de cette vie au fin fond du Périgord, d’un jeune homme, d’un jeune couple qui parfois attire la lumière, tous les regards et les poignets de mains humides. Il me coupe : « Ouh là, je ne suis pas Jet 7 pour un sou ». On rigole, il referme la parenthèse en lâchant : « Je suis bien dans ma saison ». Il ajoute comme pour borner son territoire personnel : « Moi, j’ai une sœur coiffeuse et j’ai ma mère qui conduit un camion benne, alors… ». Message reçu. Alors il savoure. C’est son bonheur, loin des honneurs et des verres qui pétillent d’un mauvais champagne. C’est son plaisir de courir, avec son chien, Marianne sa compagne, le beau-père et la belle-mère qui se sont mis au trail et qui habitent à deux pas, deux foulées. D’organiser sa vie, ainsi, lui le militaire de carrière qui dépend désormais de l’armée des champions de Fontainebleau. Plus méticuleux, plus ordonné qu’auparavant : « Je suis plus structuré, plus mature. Je suis plus serein dans l’approche, je n’ai plus peur de m’affirmer, je visualise plus sur le long terme ». Il se voit déjà marathonien à 36 ans aux J.O. de Paris. « Pourquoi pas ? » Il s’amuse, il dit : « Je veux battre les 2h 12’ de Benja ». A 40 ans, il se voit au volant d’un camping car à réaliser le tour des Etats-Unis, la marmaille qui piaille à l’arrière dans le van. Pour cela, il a ouvert un compte bancaire et chaque mois, il met trois sous pour s’offrir ce rêve. Au-delà des 40 ans, non, c’est trop loin ! Il ajoute : « je voudrais une carrière accomplie ». Ses exemples, Bernard Lagat et Bouadbellah Tahri. « En jouant sur le sommeil, la diététique, la récupération, c’est possible ».

En étant plus proche de Mahiedine, il n’aurait peut-être pas enlevé son maillot

Yoann Kowal est un voyageur. Il quitte son chien, il embrasse sa copine, il descend la colline, il rassure le coach qui reste au bercail et fait tamponner son passeport. Destination le Kenya, l’Afrique du Sud, les Etats-Unis, le Portugal, il voulait essayer le Pérou mais il a eu peur de la haute altitude. Cette année, il est reparti en Afrique du Sud, en avril il sera à Colorado Springs et en mai à Mammoth Lake au centre de Deena Castor en Californie. Et Marianne sera là. Le mariage, ce sera plus tard, pour la fin septembre. Il a déjà prévenu : « Moi je ne m’occupe de rien ». Juste, il achètera la bague. Je commets une bourde en l’interrogeant « Mais tu l’as déjà achetée ?». Il me répond : »Non, c’était la bague de fiançailles ». Celle qu’il offre à genou, sur le bord de la piste de Zurich, sous le prisme d’une caméra de France 2 réalisant sans préméditation un petit instant de reality show. « Je t’assure que rien n’avait été prévu. Mais l’association des deux, la médaille et ça… ». Seules sa maman et sa sophrologue étaient dans le secret des dieux. Il s’était rendu chez le bijoutier en demandant : « Je voudrais une bague pas trop chère et pas trop lourde. Je me suis bien gardé de lui dire que je voulais courir avec. Elle m’aurait pris pour un fou ». Dans la chambre d’appel, il noua à double tour le petit anneau avec le galon de son short. Son secret, un fétiche. Puis il ne pensa à rien d’autre que de courir. Les souvenirs remontent, c’est presque du direct, il raconte à nouveau avec gourmandise : »Je n’y ai jamais pensé, je n’étais focalisé que sur Mahiedine . Pour une fois, je réfléchissais, je visualisais tout. Je vois même le Polonais à 220 mètres, il piétine, il dodeline de la tête. J’étais focalisé sur l’objectif. C’était du direct. Je n’ai qu’un seul regret, je suis peut-être parti de trop loin. En étant plus proche de Mahiedine, il n’aurait peut-être pas enlevé son maillot. Bon, le résultat est là ».

Il est 15 heures, Yoann saute de son tabouret pour ramasser ses affaires. Il fait le tour de toutes les pièces deux fois. Non, il n’a rien oublié. On prend la route sinueuse redescendant à travers bois vers Périgueux. On traverse le joli village de Bussac, on tourne à droite, on parle de la vie de tous les jours, le chien qui s’est coupé une patte, les chemins qu’il lui tarde de découvrir en courant dans ces douces collines où le maïs pousse en fond de vallée. En arrivant au stade, il me parle du 1500 de Karlsruhe, une bonne rentrée en 3’39»22 : « Sur 15, il faut tout, il faut le moral et le physique. Il faut un peu de folie, de l’audace. Et je n’avais plus rien. Plus envie ». Une médaille, un titre pour l’éternité, des réceptions, des petits fours, des grands posters, des photos à l’Elysée, la lettre du Ministre des Armées et l’envie, le désir sont revenus pour nager dans ce paradoxe, se faire mal, aimer à se faire mal, se laisser envahir par le lactique. Et relancer, relancer pour sentir son corps, la pression, le cœur au bord de la rupture. Il résume cela en un seul mot, le plaisir.

Moi, j’y étais, j’étais dans l’histoire, j’étais dans le stade, ça m’a fait mal

Footing rapide, 14 kilomètres/heure. Le soleil ose quelques percées, le vent se lève légèrement. Yoann garde gants et bonnets. Le coach arrive en scooter. Comme pour chaque séance, Patrick Petitbreuil quitte le boulot avant l’heure après avoir rangé les outils dans l’atelier SNCF où il travaille. Un rituel. Il est à l’heure, ponctuel. Yoann est chaud, Patrick donne son avis sur Karlsruhe. La séance débute, le coach emmitouflé dans son anorak rouge, sort le chrono de sa poche : 8 fois 500 en deux blocs pour préparer le 3000 de Mondeville. Un 3000 monté pour le champion d’Europe du steeple. Un honneur. Le temps à réaliser, 1’17’’- 1’18’, pas mieux en cet hiver déjà chargé, studieux et sérieux après un stage de trois semaines passé sous l’été austral de Potchefstroom en Afrique du Sud. « Oui il avait perdu de la vitesse. Il devait retrouver des sensations de vitesse ». L’équation est simple : aller vite sur 15, au passage battre son record pour aller vite au-dessus de la rivière. Un temps annoncé : « 8’12 » ce serait bien ». Patrick ne se trompe pas de chemin pour préciser sans qu’aucune question ne lui soit posée sur Zurich : « Moi, je veux qu’il passe la ligne devant. Moi, j’y étais, j’étais dans l’histoire, j’étais dans le stade, ça m’a fait mal ».

Les hommes sont complices. Ils se disent tout ? Presque tout car chacun garde par pudeur ou superstition ses secrets, des rêves. Ils se connaissent assez, l’un et l’autre pour mesurer la portée d’un mot, d’un regard, d’un geste de la main. Patrick précise : « Je le connais par cœur. Je peux dire qu’il fait beaucoup moins de bêtises qu’avant, il sait qu’il doit respecter son corps. Il fait le métier ».

« Tu vois que je ne suis pas Jet 7 »

Sur la piste, Yoann fait le métier. Les sensations sont moyennes. Normal, il a beaucoup bossé. Notamment en stage aux côtés de Florian Carvalho devenu complice, ami ? C’est l’avenir qui le dira.
L’avenir, on en reparle lorsque Yoann s’allonge sur la table de massage. A 17 heures, Jean François est arrivé. C’est le kiné. Une bonne bouille rassurante. Nous sommes dans les vestiaires du stade de Périgueux. La table de massage est déchiquetée, une poubelle est au milieu du passage, Yoann me lance : « Tu vois que je ne suis pas Jet 7 ». Le kiné plonge ces doigts dans les muscles luisants de crème. Yoann s’abandonne. On parle argent, Yoann ne roule pas sur l’or. Une solde à 1350 euros mais pas de sponsor dans le running. Une vraie blessure de ne pas être reconnu pour ce que l’on est : « J’ai failli signer avec une marque mais au dernier moment, c’est un trail qui a été choisi. Oui, c’est vrai que je remercie toujours l’armée. D’abord je me sens militaire mais en plus c’est tout de même grâce à eux que je suis à ce niveau. Imagine qu’à Barcelone en 2010, un titre pouvait se négocier à 40 000 euros et aujourd’hui… ».

Les entraîneurs, les coureurs ont tous des obsessions, des points d’encrage pour se rassurer, pour être certains que la corde ne cèdera pas. A chercher des similitudes. Des calques translucides pour dupliquer et retracer des équilibres si fragiles, Patrick Petitbreuil est d’une génération qui a vu gagner Joseph Mahmoud à Los Angeles. Cette image est gravée, iconique. A chacune de nos rencontres, il en parle, il en reparle. Yoann Kowal est de la même génération que Matt Centrowitz. Par deux fois, il a vu l’Américain mettre l’épaule dans une brèche et filer vers le podium, le bronze à Daegu, l’argent à Moscou. Il en parle, il en reparle. Un exemple, une espérance. Yoann toujours allongé, la lumière des vestiaires dans les yeux, le corps relâché d’ajouter : « Il faut être ambitieux. C’est pour cela que je me lève tous les matins. C’est pour cela que j’ai des rêves ».

> Reportage réalisé à Périgueux par Gilles Bertrand