Après avoir été international sur 1500 mètres et sélectionné olympique en 1988, Rémy Geoffroy est devenu entraîneur à Dijon où il distille la méthode de Georges Gacon, l’emblématique entraîneur du DUC. Pour les Europe de cross, deux de ses coureurs se sont qualifiés, Alexis Miellet et Fabien Palcau. Rencontre entre passé et présent.
Lorsque l’on met un pied sur ce campus universitaire, il n’y a pas à gratter dans les plis du crépis, ni même à essuyer les vitres embuées pour que le nom de Georges Gacon soit aussitôt évoqué. Georges Gacon coule des jours tranquilles, quelque part en Corse. Mais la silhouette de l’entraîneur furette et suinte encore, vingt ans après son départ, dans tous les recoins du DUC. Georges Gacon, l’inspirateur du DUC, genre matheux de l’entraînement, genre astrophysicien de l’entraînement pour placer l’athlète au centre de l’espace infini. Rémy Geoffroy, en orbite céleste, fut l’un de ceux-là. « Georges, lui, pour venir entraîner, il payait une nounou pour garder ses enfants ». Le maître et l’élève pour valider une méthode, la méthode Gacon, instigateur de la PPG, de la proprioception, du travail en intermittence, des tests de terrain. L’entraîneur et l’entraîné sur cette piste de Dijon pour certifier des préceptes qui n’étaient alors que des intuitions.
« Georges Gacon, c’était une bonne personne » Rémy Geoffroy a presque tout dit en cela, comme s’il n’y avait plus rien à ajouter. Fin des années 80, les entraîneurs français ne sont plus dans le complexe du légendaire Frassinelli, de l’honorable Cerruti, de l’énigmatique Conconi. Chacun sur leur campus, ils creusent les bas fonds de l’aérobie, ils fouillent dans l’opaque des lactates. A Dijon, Georges Gacon est de ceux-là après avoir accepté l’offre d’Alain Piron qui menait alors la barque du DUC. Il lui avait dit : « Georges, il faut que tu t’occupes du demi-fond ». Le 45-15, ce sera lui, le SportBeeper, aussi, sorte de gros réveil matin qui sonne par intermittence pour rythmer le tempo d’une séance typée VMA.
Mais au-delà de ces techniques d’entraînement, de la détermination des seuils et des évaluations de la performance, Georges Gacon, c’est l’athlétisme éducatif, c’est l’athlé des profs qui imprègne une génération de coureurs qui par la suite, à de rares exceptions près, deviendront eux-même entraîneurs. L’athlé des techniciens, l’athlé du bénévolat pur et dur, qui aujourd’hui, vingt ans après le départ de Georges Gacon vers les sports pro collectifs et lucratifs, impulsent encore la dynamique du Dijon Université Club.
« Pour être tout à fait honnête, je ne pensais qu’à l’athlé »
58ème au Mondial de cross à Madrid en 1981, c’est la génération Vincent Rousseau, Salvatore Antibo, Francisco Panetta, Abel Anton et Rémy Geoffroy qui pointe le museau. Cette année-là, Mohamed Ezzher n’a pas encore franchi le Détroit de Gibraltar, il court pour le Maroc et le junior Duciste mouille le maillot aux côtés de Hamid Zouhair, Emmanuel Goulin, Jacques Le Floch et de Jacques Tiquet. De cette équipe, le Duciste sera le seul à conduire une carrière internationale. Il résume la motivation qui l’anime alors : « Pour être tout à fait honnête, je ne pensais qu’à l’athlé ».
On lui trouve une « planque », un emploi protégé sur la base aérienne de Dijon. Sa bouée de sécurité. Il se trouve un mentor, ce sera Georges Gacon, l’ancien perchiste qui voit coup sur coup son collectif demi-fond s’enrichir avec l’arrivée de Christophe Miellet, le père d’Alexis, et d’un beau gosse, grand, fin, belle gueule, c’est Philippe Rémond, le David Bowie de la vallée de l’Ouche que le coach arrache à sa campagne bourguignonne. Un trio de choc, Rémy, Christophe et Philippe « qui s’envoient des « séances de tueurs ». C’est Fabrice Dubuisson qui l’exprime ainsi, un intime du club qui observe le coach se faire la main sur ces trois gaillards. « Je me souviens d’une séance, 36 minutes de 30’’-30’’ en « bondis » (comprenez en foulées bondissantes) pour préparer un France de cross. Ca valait douze bornes dans la boue ».
A 24 ans, Rémy Geoffroy se qualifie pour le Mondial de Rome sur 1500. 1987, c’est l’année de son titre de champion de France sur cette même distance : « Je sortais la tête de l’eau après des déboires. J’y vais donc sans pression. Je passe au temps et franchement, je ne m’imaginais pas aller en finale. Je finis 10ème » à deux foulées de Steve Cram. La presse anglaise lui tombe sur le dos : «Mais c’est qui ce Français en tête qui saccage la course de Cram ? ».
L’année suivante, pour les J.O. de Séoul, le souvenir est éclair. Revisite sommaire d’une olympiade marquée par le kidnap des Kenyans sur le demi-fond, Ereng, Rono, Ngugi, Kariuki réalisent un sans faute. Dans cette tourmente, les sans grades n’existent pas, Rémy disparait dès les séries sans avoir vraiment combattu.
« En fait, j’étais un coureur de 3000 qui faisait du 15. J’ai laissé passer mes plus belles années sur le 15. Et lorsque j’ai voulu monter sur 5000, c’était trop tard». En fin de carrière, l’athlète fétiche de Georges Gacon passe ainsi de l’autre côté de l’affiche pour devenir lui-même entraîneur : « A la fin de ma carrière, il me laissait le temps de réfléchir à mon entraînement. Mais finalement, tout ce que l’on enseigne aujourd’hui, c’est ce que lui enseignait. J’ai eu la chance d’arriver dans une structure avec une personne uniquement à mon service, il était normal que je renvoie l’ascenseur».
« Pour moi, l’aboutissement, ça se passe chez les seniors »
Georges Gacon a quitté le DUC, Philippe Rémond aussi, pour un club parisien, mais il reviendra, Rémy Geoffroy, lui, est resté. D’une fidélité revendiquée, presque viscérale, pour ce club tenu par des techniciens dont le projet associatif a peut-être trouvé ses limites. Déjà deux décennies à faire sonner le Beeper sur cette piste du stade Colette Besson. A enseigner la culture du cross et de l’athlé, fait de patience et de rigueur : « Pour moi, l’aboutissement, ça se passe chez les seniors. Le meilleur exemple, c’est Pascal Thiébaut. Il n’excellait pas chez les jeunes mais il s’est affirmé chez les seniors ». Il ajoute : « Du temps de Georges…». Il était peut-être plus simple de faire comprendre, de dialoguer. Mais le passage d’une génération à l’autre ne déforme-il pas la vérité ?
Des comètes sont passées, au DUC comme partout ailleurs, dans ces clubs provinciaux dont la mission est de former et d’éduquer. Parfois, on ne peut retenir, ni freiner les ardeurs. Parfois, convaincre est inutile. L’entraîneur doit se résigner, certains choix ne lui appartiennent pas. Ses plus gros regrets, Rémy Geoffroy se souvient d’Augusto Gomez, dix sélections en équipe de France mais une carrière bien en deçà de son potentiel. Il cite également Franck Barré, international sur 800 m : « Il avait les qualités pour courir sur 15, mais il n’acceptait pas la souffrance».
Aujourd’hui, Rémy Geoffroy entraîne Alexis Miellet et Fabien Palcau. Ils ont mis le feu à bien des espérances. L’histoire se répète. Il y a des similitudes lorsque les trois juniors Rémy, Christophe et Philippe arrivent au DUC, sous la coupe de Georges Gacon. Alors il en espère beaucoup, secrètement. Sans dire plus pour ne pas réveiller le mauvais sort. Il clarifie : « Moi, je suis bénévole. Je suis dans ce que j’aime. Mon salaire, c’est la perf ». Il y a cette tension palpable à marcher ainsi à leurs côtés « sur le fil du rasoir », à brasser les chiffres, à déclencher le Beeper, à se morfondre dans le froid, à taper du pied sur le bord de la lisse, à comparer le passé, le présent, pour quel futur ?
> Texte et photos : Gilles Bertrand
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