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Ophélie Claude-Boxberger, une saison en ombres et lumières

La saison d’Ophélie Claude-Boxberger a été difficile, et elle n’a pu réussir le minima olympique qu’elle espérait tant pour poursuivre dans la continuité de son père, Jacky, trois fois sélectionné aux JO. La spécialiste de steeple a multiplié les contre-performances avant de réussir deux belles courses, gommant en Finlande son record personnel. Pour son entraîneur, Laurent Fleury, ces résultats contrastés trouveraient leur origine dans le mental d’Ophélie, et il réfute l’idée d’un entraînement mal construit. Et le duo conserve l’espoir d’un futur record de France, dont Ophélie rêve depuis plusieurs années…

Ophélie Claude-Boxberger

Ophélie Claude-Boxberger

Le scénario écrit n’était vraiment pas celui-là. Loin et même très loin. Ophélie Claude-Boxberger et Laurent Fleury, son entraîneur, avaient écrit une toute autre partition pour ce mois de juin, bâtie autour de deux temps forts, le meeting de Montbéliard, et le Championnat de France d’Angers, avec en ligne de mire le minima olympique de 9’34’’. Mais Ophélie n’a été que l’ombre d’elle-même début juin à Montbéliard pour boucler son steeple en 10’17’’. Et mi-juin, elle a déclaré forfait à Angers.

La lumière est venue de deux autres rendez-vous, ajoutés à la hâte sur son programme. Madrid qu’elle finit en 2ème position, en 9’43’’46. Turku, qu’elle remporte en 9’34’’96. Ses chronos ont repris des couleurs, mais les minimas européen et olympique lui échappent tout de même, même s’il demeure encore à la jeune athlète un tout petit espoir avec le meeting de Courtrais en Belgique ce samedi 9 juillet.

Une compétition de la dernière chance, face à laquelle Laurent Fleury oscille entre deux sentiments, le réalisme « ce sera très compliqué, on ne peut pas trouver d’adversité pendant le Championnat d’Europe », et l’espoir d’une réussite : « Ophélie est capable de tout, elle peut se libérer, elle fonctionne beaucoup à l’affectif, on l’a bien vu à Montbéliard. »

Montbéliard, un cauchemar

Montbéliard qui a rimé avec cauchemar. Ophélie évolue sur ses terres, presse et télé locales lui ont réservé des sujets, et le public de fans se réjouit de la booster vers la grosse performance qu’elle escompte pour se qualifier pour les Jeux Olympiques, son seul objectif de la saison 2016, dans laquelle elle n’a pas voulu prendre en compte le Championnat d’Europe.

montbeliard meeting 41aDepuis l’hiver dernier, Ophélie a modelé toute sa vie autour de Rio 2016, a stoppé son travail d’enseignante de sport pour donner priorité à de longs stages en altitude. Le Portugal en novembre 2015. L’Afrique du Sud en janvier 2016. Le Kenya en février-mars. Le Maroc en avril.

Un travail intense qui a convaincu le duo qu’Ophélie réussira très gros cette saison. La première sortie à Rabat n’est pourtant pas concluante avec 9’58’’. Mais la contre-performance se voit vite gommée pour se relancer vers Montbéliard, et un chrono que l’entraîneur pronostique autour de 9’30’’, ce serait plus de 5 secondes de moins que son record de l’année 2015.

Pourtant sur la piste du stade Boxberger, on comprend vite qu’Ophélie se situe très loin de telles références. La course se transforme en une longue agonie, que ni le coach, ni l’athlète ne savent interpréter.

Ophélie, une artiste de l’athlétisme

Laurent Fleury ne dissimule pas une certaine perplexité face à cette situation étrange, qu’il décrit en détails : «Aujourd’hui, au bout de 50 mètres, je la vois courir, je sais qu’elle ne fera rien.  C’est pareil à l’entraînement. Elle est capable de faire n’importe quoi un jour, de se ressaisir, le lendemain. C’est une artiste de l’athlétisme. Elle a des qualités, parfois, elle les utilise, parfois non. Tout se joue sur le mental. Il faut que le mental revienne. »

Et d’invoquer d’abord pour justifier de telles variations du mental, le choix inapproprié selon lui de se consacrer à 100% à l’athlétisme en cette période pré-olympique : « Plus elle met les choses en place, plus elle se met la pression», avant de confier son sentiment profond : « Chaque personne est unique, elle, il y a toute l’histoire avec son père. C’est un héritage à porter. On essaie de lui faire oublier. Elle se met une pression qu’elle ne devrait pas. Elle est athlète pour elle, mais elle n’y croit pas. Elle a un devoir de faire des perfs. Mais ce n’est que du sport. Il y a le plaisir avant tout. »

Après avoir partagé la vie de son athlète pendant plusieurs années, le jeune homme connaît bien ses rouages psychologiques et la fragilité qu’a suscitée une situation complexe à gérer pour Ophélie. La fille de Jacky Boxberger, née de la deuxième compagne de l’athlète, a longtemps utilisé le seul patronyme de sa mère, Sylvie Claude, avant d’y accoler le nom de Boxberger, après le décès tragique de son père. Une situation mal vécue par Flora Boxberger, 3ème épouse et veuve de Jacky, et son fils, Jérémy, plus âgé de 15 mois d’Ophélie. Au point qu’une action en justice a été lancée l’    hiver dernier par Flora Boxberger pour obtenir que la jeune athlète renonce à ce patronyme de Boxberger…

Jérémy, un autre surdoué de la piste et aussi des études

Au matin du meeting de Montbéliard, dans sa maison de Presentvillers, Flora Boxberger nous avait longuement expliqué les raisons de cette hostilité, l’amertume ressentie par son fils Jérémy, découvrant tardivement l’existence de sa demi-sœur, et la voyant ensuite adopter ce nom dans les semaines suivant la mort de son père, les moments difficiles traversés au moment de l’accident tragique survenu en 2001, au Kenya, où Jacky se fait piétiner par un éléphant sous les yeux de son épouse et de son fils, que dans la précipitation de cette tragédie d’un athlète si renommé, certains journaux confondent avec sa fille…

L’adolescent s’avère être lui aussi un athlète doué, à 19 ans, il dispute un match international, et il va le démontrer en 2009 avec un 1’48’’66 à 22 ans. Un succès qu’il doit à Michel Delaby, ancien coureur d’élite et ami intime de Jacky Boxberger, qui a accepté de l’entraîner pour une année et qui explique le cheminement particulier du jeune homme : «En fait, Jacky ne voulait pas qu’il fasse de l’athlétisme. Il savait que c’était trop de sacrifices. Après la mort de son père, Jérémy m’a demandé de l’aider à battre un record de son père. Il a réussi. Mais pour continuer, il aurait fallu qu’il soit pro. Or, il était très doué dans les études. » Un cursus d’ingénieur qui a amené Jérémy à un très beau job en Angleterre, où il s’est installé.

J’en ai gros sur le coeur

Les rancoeurs de 30 ans de cette histoire familiale délicate trouvent fatalement un écho particulier dans un stade qui porte justement le nom de Boxberger, et Ophélie Claude-Boxberger n’élude pas ces problèmes : « Pour moi, le débat n’a pas lieu d’être. C’est malsain. Même par rapport à mon papa. Je crois qu’il me verrait, il serait fier de moi, il serait à mes côtés. C’est mon regret. J’aurais tellement aimé qu’il soit là. Je pense aussi que c’est ça qui me bloque. Au fond, j’aimerais qu’il voie ça. J’y pense souvent. J’en ai gros sur le cœur. »

Mais la jeune femme admet aussi se sentir tout simplement incapable de gérer la pression découlant de ses ambitions olympiques.  Elle se montre aussi très soucieuse de ses manquements techniques, avec sa foulée qui s’écrase en réception à chaque barrière. Elle insiste : « Avec mon coach, il faut qu’on arrive à discuter, qu’on voit d’où vient le problème. » Ce sera du côté médical qu’elle le trouve, avec la détection d’une petite carence en fer, qui serait apparue suite à l’arrêt de sa supplémentation habituellement adoptée durant tous ses stages en altitude.

montbeliard meeting 36a

Un diagnostic qui tombe comme une délivrance pour Ophélie, apportant ainsi une raison objective à cette contre-performance. Laurent Fleury admet : « Cela l’a libérée. » La confiance se renforce encore avec cinq jours plus tard, un test très particulier à l’entraînement : 1000 m en 3’-2000 steeple en 6’20’’-3 fois 400 m. Et le coach de traduire : 6’20’’ sur 2000 steeple, cela donne 9’30’’ sur 3000 steeple. Pile poil ce qu’il avait pronostiqué…

C’est boostée par cette séance qu’Ophélie repositionne son planning de compétitions. Lucerne prévu pour le 14 juin est maintenu, mais elle y abandonne : elle souffre du froid, et l’allure trop lente ne  correspond pas à ses attentes. Elle programme alors Madrid, puis Turku. Elle gomme le Championnat de France, prévu le lendemain de Madrid, arguant d’un retard d’avion et d’un problème avec un pied après une mauvaise réception à Madrid. En Espagne, comme en Finlande, les chronos descendent, 9’43’’-9’34’’96. Mais ce n’est pas suffisant pour Rio et c’est trop tard pour Amsterdam.  Comme cela avait été le cas en 2015, où elle avait déjà empoché hors délai le minima pour le Mondial de Pékin.

Laurent Fleury, certain de son entraînement

Alors, la programmation de Laurent Fleury est-elle à revoir ? Non, soutient le jeune entraîneur qui explique : « En 2015, la forme était arrivée trop tard. J’en avais parlé avec Philippe Dupont. On avait vu que les grosses séances étaient placées trop tard dans la saison.  Cette année, la dernière grosse séance remonte à fin avril. Depuis fin avril, elle ne fait que du jus. La bêtise a été d’arrêter le supplément en fer. Je n’ai aucun doute sur l’entraînement.»

Et il réfute aussi l’idée d’un excès de volume kilométrique, même si Ophélie avale 120 à 160 km durant les stages et 70 à 80 km en période de compétitions : « Il lui faut des kilomètres pour passer. Si elle fait moins de kilomètres, ça ne répond pas. Au Kenya, elle a enchaîné 4 semaines consécutives à 160 km. Quand elle récupère de ça, elle peut perfer. Je fais en fonction de son profil. Quand elle courait sur 800 m, elle faisait les mêmes séances que maintenant, mais elle ne pouvait pas maintenir une allure.  J’ai aussi modifié les récupérations, je les raccourcis. Par exemple, l’hiver elle fait 10 fois 1000 m avec moyenne de 3’20’’ et une récup de 30 secondes. Si je mets des récup plus longues, elle rentre dans le lactique. Et aujourd’hui, on ne travaille plus le lactique, car elle l’a beaucoup exploité quand elle était jeune. »

Le record de France, un vrai objectif

Une méthode sur mesure qu’il a bâtie seul. Là encore, il s’insurge sur les rumeurs d’un autre entraîneur « caché » : « Je suis tout seul. Je discute juste avec d’autres entraîneurs. » L’ancien coureur de 400 haies l’admet, il est un pur autodidacte sur le demi-fond, et il se justifie : « «Ma méthode est faillible. Elle sort de ma tête. Je l’ai construite à l’observation d’Ophélie. »

C’est ainsi en l’observant et en analysant ses performances que Laurent Fleury, prenant la suite d’Alain Flaccus en 2007, a poussé la jeune femme à délaisser le 400 m pour le 800 m, puis pour le steeple, où selon lui, elle est l’une des meilleures techniciennes sur les barrières. C’est forte de cette certitude qu’Ophélie s’est lancée dans cette discipline, avec de très grandes ambitions qu’explicite le coach : « Il y a déjà plusieurs années qu’elle a annoncé à Philippe Dupont qu’elle pouvait battre le record de France de 9’25’’. »

Un record qu’il avoue même avoir envisagé cette année, même s’il admet : « Cela peut paraître bizarre par rapport à ses performances de début de saison. » Entre doutes, certitudes et performances, il y a toujours une rivière à sauter.

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand