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Neuf Brisach, Ingrid Schoving la première dame du marathon

Le départ du marathon de Neuf Brisach, on reconnait au centre Noel Tamini avec sa casquette et ses lunettes

En 1971 est créé le Marathon de Neuf Brisach en Alsace. L’année suivante, Jean Ritzenthaler, en organisateur visionnaire, ouvre son épreuve aux féminines, une grande première en France. Trois seront au départ dont Ingrid Schoving que l’on peut considérer comme la grande pionnière de l’ère moderne du marathon.

 

Dans le numéro 4 de la revue Spiridon créée au printemps 1972, Noël Tamini, son rédacteur, aborde un sujet sensible qui dans les clubs et dans les instances fédérales, déclenche débat et parlotes enflammées : peut-on accepter les féminines au départ du marathon ? Avec pour titre…« Les clandestines »…pour désigner ces « coquines » qui osent, au-delà des préjugés et des interdictions, l’aventure du marathon.

Il cite des noms, Michelle Baudein l’intrépide de Sedan – Charleville, Ingrid Schoving, l’amazone de Neuf Brisach et bien entendu Kathy Switzer la franc-tireuse de Boston, cette étudiante en journalisme qui en 1967 fait la une du Boston Globe. Depuis, l’image a été gravée dans toutes les encyclopédies dédiées à l’histoire du marathon, deux hommes habillés de noir, rouge de colère, ils sont organisateurs de l’épreuve, molestant la jeune femme camouflée dans un grand survêtement de coton, en vociférant  « Get out of my race ».

Ingrid et Jean Schoving, du 800 au marathon

En 1970, Jean Schoving dispute son premier marathon aux portes de Baden Baden en Allemagne. Lorsqu’il évoque cette époque glorieuse, il n’hésite pas à dire en appuyant sur les consonnes : « J’avais le feu sacré pour les longues distances ». Coureur de 8, il délaisse le double tour pour de longues escapades dans le vignoble alsacien en suivant les préceptes de l’Allemand Ersnt van Aaken connu pour avoir été l’entraîneur de Harald Norpoth, médaillé d’argent sur 5000 m aux J.O. de 1964. Un hygiéniste avant-gardiste qui se bataille pour faire admettre que la course à pied peut contribuer à devenir centenaire. Son livre « Comment vivre jusqu’à 100 ans », est un best seller et lui vaut d’être surnommé « Running Doctor » d’autant plus qu’il mène un autre combat. Convaincu que les femmes ont plus de facilités que les hommes à courir longtemps, il multiplie les expériences pour que les verrous cèdent et que le marathon ne soit plus sectaire et s’ouvre enfin aux féminines.

Jean Schoving qui entretient une correspondance avec le physiologiste allemand, est donc tout naturellement au départ du premier marathon de Neuf Brisach créé en 1971, qu’il termine à la quatrième place. L’année suivante, c’est en compagnie de son épouse, Ingrid qu’il se range aux côtés des 140 autres coureurs. L’effectif a presque triplé. La grande « marche » est lancée. Jean Ritzenthaler, l’organisateur est bien un visionnaire, d’autant plus qu’il ouvre son épreuve aux féminines, une grande première en France. « Les clandestines » sans voile, ni crainte, montent pour la première fois sur le marche-pied. La micheline du marathon est en marche.

Au départ, « c’est l’attraction » se souvient Jean Schoving qui a réussi à convaincre son épouse de s’aligner sur une telle distance. Ingrid Schoving a un petit nom dans l’univers du demi-fond français, 10’29’’0 sur 3000 m, neuvième temps français sur cette distance en 1972, une cinquième place au France de cross disputé à Vittel la même année, un podium au Figaro en 1971 et de nombreux titres régionaux.

Ensemble, le jeune couple s’entraîne. Priorité au long, c’est la méthode Van Aaken, avec 370 km par mois, des sorties hivernales de 20 km terminées par des intervalles rapides et un test six semaines avant le marathon sur 30 km bouclé en 2h 12’. « A cette époque, on parlait déjà du mur » explique cet Alsacien passionné d’entraînement et de littérature, il est l’auteur de deux ouvrages auto-biographiques dont « Itinéraire d’un fils d’indigne ».

1972, Ingrid Schoving, Kathy Switzer et Elfried Rapp au départ du marathon

Ce 29 octobre 1972, au pied du stade de Neuf Brisach, elles ne sont finalement que trois féminines au départ, l’allemande Elfried Rapp, Ingrid Schoving et l’américaine Kathy Switzer, l’intruse, « l’impie » de Boston, la grande pionnière de l’ère moderne du marathon, glorifiée en 1967 par cet acte de résistance. C’est d’ailleurs elle qui mène le combat les cinq années suivantes pour que les femmes soient enfin admises au départ du marathon de Boston. Une décision qui ne sera prise officiellement qu’en 1972.

Qui pourrait contester la victoire à Kathy Switzer ? A 25 ans, elle est déjà doyenne sur une distance pour laquelle tout est à découvrir, à écrire. Ingrid Schoving accompagnée de Jean, se tient donc à bonne distance. Le public est maigre mais on n’a d’yeux que pour ces « florides » qui se fraient un chemin sur ces petites routes de la plaine du Ried. Le rythme est soutenu mais régulier, 4’15’’ au kilomètre, 43’ pour les dix premiers kilomètres, 1h 32’30’’ à mi-course. Dans le peloton, Yves Seigneuric et ses grandes bacchantes n’est pas loin, ainsi que Noël Tamini le rédacteur de Spiridon, et Jean Ritzenthaler, l’organisateur qui a des fourmis dans les jambes, chef de bande d’une petite communauté de néo-marathoniens qui a convergé vers la cité alsacienne. Près de quarante coureurs sont sur les bases des moins de 3 heures. Le parcours a déjà sa petite réputation, c’est plat comme une limande. De Belgique, d’Allemagne, de Suisse, du Luxembourg, on s’est passé le mot.

Ingrid Schoving affiche quant à elle, une forme de sérénité sans mesurer la symbolique d’une victoire probable dès lors lorsqu’elle prend la tête de la course. Au trentième, elle frappe le mur. Les jambes se durcissent, mais le moral tient bon. On ne se parle plus, on se ferme, on n’entend plus rien, pas même les quelques encouragements des bidasses accoudés aux fenêtres de la caserne. Mais à l’approche des derniers hectomètres, l’exaltation chasse les douleurs, comme une ivresse qui submerge l’esprit lorsqu’elle franchit la ligne victorieuse en 3h 16’13’’,  première performance féminine officiellement enregistrée sur marathon en France. Quant à la victoire de Jean Pierre Masseret (le futur secrétaire d’Etat du gouvernement Jospin) dans un temps de 2h 27’16’’, elle passe inaperçue.

De ce marathon symbolique, Ingrid Schoving ne dit rien. Pour cette enseignante de sport à la retraite, ce n’est qu’un très lointain souvenir. A 27 ans, elle se retire précocement de la course à pied. Kathy Switzer devient quant à elle ambassadrice universelle pour le marathon et le plaisir de courir. Aujourd’hui, grâce à ces « demoiselles » espiègles du marathon, les préjugés ont valsé, les masques sont tombés, le grand bal pouvait débuter.

Texte Gilles Bertrand

L’entraînement d’Ingrid Schoving en décembre 1971 (archives Jean Schoving)

. 1/12 : Footing de 15 km en forêt (l h 19′)

. 2/12 : Footing de 10,6 km en forêt : 4,4 km en 21′ (100 m vite – 100 m lent)

. 3/12 : Matin : 6 km – Soir : 10 km

. 4/12 : Footing de 19,5 km en forêt (l h 55′)

. 5/12 : Repos

. 6/12 : Footing de 21 km en forêt (l h 42′) – 3 x 50 m

. 7/12 : Echauffement + récupération en forêt : 12,2 km

5 x 400 m : 1’18 » (R : 3’30 ») – 5 x 300 m : 56″ (R : 2’30 »)

. 8/12 : Footing de 15,5 km en forêt (l h 22′)

. 9/12 : Footing de 14,4 km en forêt – 3 séries de 4 x 100 m en côte (4%) : 22″

Soir : footing de 4 km

. 10/12 : Repos

. 11/12 : Footing léger de 7 km

. 12/12 : Cross à Forbach – échauffement + récupération : 10 km ; 2 km (1ère) : 6’38 »

. 13/12 : Footing de 15,5 km en forêt (lh 12’30 »)

. 14/12 : Echauffement + récup. en forêt : 13,2 km ; 3 séries de 4 x 200 m : 39″ (R : 1’30 »)

. 15/12 : Footing de 12,5 km en forêt – 3 x 60 m

. 16/12 : Footing de 10,5 km en forêt – 2,8 km (100 m vite – 100 m lent)

. 17/12 : Repos

. 18/12 : Footing léger de 7,5 km

. 19/12 : Cross du Figaro – échauffement + récupération: 11 km ; 3,5 km (2e) 12’58″8

. 20/12 : Footing de 15,5 km en forêt (l h 13′)

. 21/12 : Footing de 15,5 km en forêt (l h 16′)

. 22/12 : Footing de 15,5 km en forêt (l h 17′)

. 23/12 au 25/12 : Repos

. 26/12 : Footing de 20 km en forêt (l h 40′) – 2 x 50 m

. 27/12 : Repos

. 28/12 : Repos

. 29/12 : Footing de 20 km en forêt (l h 40′) – 3 x 55 m

. 30/12 : Repos

. 31/12 : Footing de 20 km en forêt – 3 x 55 m

. Kilométrage Total Décembre 1971 : 340 km