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Mary Keitany, New York, le marathon de la vérité

Mary Keitany veut conquérir à New York sa troisième victoire consécutive. Après sa contre-performance de Londres ce printemps, son résultat new yorkais pèsera lourd sur la suite de sa carrière, comme nous l’explique Gianni De Madonna, son manager, qui lève le voile sur les coulisses des négociations des grands marathons mondiaux.

Mary Keitany, à nouveau victorieuse

Mary Keitany, espère une 3ème victoire à New York

Mary arrive ici avec deux victoires à son actif. Est-ce qu’elle espère une 3ème victoire ?

Oui, je crois. Elle a fait une bonne préparation. A Londres, elle a eu des problèmes de santé. Deux jours avant, elle a eu des problèmes avec la nourriture, elle a eu une indigestion, elle a vomi. Le jour de la compétition, elle n’était pas bien. Ce n’était pas Mary Keitany, ces 2h29’. Je pense qu’elle est encore capable de courir 2h21’. L’entraînement s’est bien passé. Nous espérons qu’elle aura une bonne journée, et peut-être c’est extraordinaire qu’elle gagnera pour la 3ème fois le marathon de New York. La seule à avoir gagné 3 fois consécutivement est Grete Waitz. Paula Radcliffe a aussi gagné 3 fois, mais pas de suite.

Pour elle, est-ce que cette 3ème victoire représente une motivation supplémentaire ?

Oui. Si elle est ici, c’est pour gagner. Elle a été vraiment fâchée après le marathon de Londres, elle a aussi perdu la possibilité de courir les Jeux Olympiques. Les Kenyans ont préféré choisir une autre athlète, qui avait gagné Paris en 2h25’, alors qu’il y avait 2 athlètes devant, Mary Keitany et Florence Kiplagat. Pour Mary, le marathon de Londres a été la plus mauvaise performance de sa carrière. Ici, elle est bien motivée, elle s’est bien entraînée, elle a gagné deux courses cet été en Amérique, Bix 7 Miler et Beach to Beacon, avec les deux records des épreuves. Après, elle est rentrée au Kenya, elle a fait deux semaines de repos, et elle a commencé à préparer New York, sans compétition. Elle ne voulait pas faire de semi-marathon, elle voulait se concentrer sur New York. Son mari a fait le lièvre pour elle. Gabriele, son coach, a quitté le Kenya en juillet, car la situation au Kenya était très difficile pour les coachs, les managers, tous les blancs. Car tout le monde dit que les étrangers donnent le doping aux athlètes kenyans. Alors, Gabriele a préféré partir pour ne pas être dans la galère, car on a eu des situations terribles. Gabriele n’a pas vu la préparation de Mary, il a donné les programmes d’entraînement, il a parlé avec son mari pour qu’il lui fasse le rapport. Elle a fait un record à l’entraînement, 30 km en 1h46’30’’. C’est vraiment un très bon chrono au Kenya, c’est 3’30’’ au kilomètre, à Iten, à 2000 mètres d’altitude, cela correspond à 2h27’ sur marathon. On va voir dimanche.

Le fait d’avoir été entraînée à distance l’a-t-elle déstabilisée ou bien a-t-elle géré sereinement ?

Non, je crois qu’elle a fait l’entraînement pour le marathon de New York pour essayer de gagner pour la 3ème fois. Avec Gabriele, c’est différent, car il peut voir ce qu’elle fait, comment elle le fait. On va voir dimanche si l’entraînement a été vraiment de l’entraînement, ou bien une compétition. Car si tous les jours, tu fais une compétition, tu arrives au marathon fatigué. On va voir si elle a fait un bon entraînement, sans Gabriele. C’est la première fois qu’il n’est pas là-bas quand elle s’entraîne. Mais Charles, son mari, est un coureur, il connaît l’entraînement. Il s’est entraîné avant Londres 2012, il fait toujours le lièvre pour elle, et cette fois, il a fait le lièvre et l’entraîneur.

A-t-elle aussi envie de démontrer à la Fédération du Kenya qu’ils ont eu tort de ne pas la sélectionner pour les JO ?

Cela ne changera rien. Elle peut démontrer. Comme Florence Kiplagat a gagné Chicago. Visiline Jepkesho a terminé 86ème aux JO, Helah Kiprop n’a pas terminé. Mais Helah Kiprop avait remporté Tokyo, c’est vrai qu’elle devait être appelée dans l’équipe. Mais pas la 3ème. La 3ème aurait dû être Florence Kiplagat ou Mary Keitany. C’est bon de gagner New York, mais ce n’est pour démontrer rien à personne : c’est pour elle, pour sa carrière, pour sa vie. Pour faire la démonstration qu’elle est toujours Mary Keitany, que je suis encore là. Dimanche, ce sera un jour de démontrer. Pas à la fédération. A elle-même. Qu’elle est encore capable de courir 2h18’. Si elle gagne dimanche, elle montrera qu’elle peut encore être une athlète de haut niveau. Elle a 34 ans, mais je crois qu’une femme peut être à haut niveau jusqu’à 36-37. Elle n’a pas couru 15 ans sans interruption, elle a eu deux bébés, elle s’est relaxée. Je crois qu’elle peut arriver à 36-37 ans comme Edna Kiplagat qui court encore bien. Pour les femmes, la carrière peut être plus longue. On voit aussi des athlètes comme Bekele, Kipchoge, qui montrent que tu peux durer si tu as fait une vie correcte, sans de mauvaises choses, comme l’alcool, que parfois les athlètes kenyans utilisent.

Gianni Di Madonna, le manager de Mary Keitany

Gianni De Madonna, le manager de Mary Keitany

Depuis quand la connais-tu ?

Depuis qu’elle a commencé sa carrière en 2005. Son premier bébé est né en 2008. Cela fait environ 10 ans que nous travaillons ensemble.

Comment l’as-tu rencontrée ?

Je l’ai rencontrée par une personne au Kenya, qui m’a donnée la petite. Elle n’a pas couru sur la piste, elle a  été directement sur le semi-marathon. Pour son 1er semi, à Séville, elle a fait 69’ : il y a 10 ou 12 ans, c’était un temps extraordinaire, tu étais dans les 3-4 meilleures mondiales. Maintenant, tu es dans le top 30. Après, elle a pris beaucoup de temps à courir le marathon car elle avait peur. Elle a commencé en 2010, et en 2012, elle a fait 2h18’37’’, avec une 2ème partie en 68’. Ce jour-là, s’il y avait eu des lièvres pour pousser jusqu’au 30ème kilomètre, elle aurait couru en 2h17’50’’-2h17’40’’, elle aurait fait le record du monde only women. Après, elle a couru les JO, mais en fait, à Londres, elle était déjà enceinte de 3 mois. Elle a terminé 4ème, on trouvait qu’elle n’était pas elle-même. Un mois plus tard, elle a nous a annoncé qu’elle était enceinte ! Elle a fait son retour à New York en 2014, elle a gagné dans les derniers 200 mètres. Le seul marathon qu’elle a couru mal est Londres 2016. Ce marathon de New York est le marathon de la vérité. Soit elle est encore une athlète de haut niveau. Ou bien son corps est vieux. Mais je ne crois pas, je crois qu’elle va bien courir dimanche !

Tu la connais depuis qu’elle est jeune, elle paraît timide. Sait-elle ce qu’elle veut ou bien dois-tu lui donner des conseils ?

Après le marathon de Londres, j’ai cherché à donner des conseils d’avoir la motivation. Car elle est très riche. Elle gagné le World challenge, plus des marathons comme Londres et New York. Je pense qu’elle a gagné plus de 2 millions de dollars. Au Kenya, c’est beaucoup d’argent. Alors, il faut essayer de trouver la motivation pour courir, faire du kilométrage. Mais elle m’a dit, j’ai deux bébés pour la vie, je veux continuer… L’entraînement s’est bien passé, Charles m’a dit qu’elle est prête, qu’il est confiant.

Pour le choix de ses compétitions, est-ce quelqu’un avec qui il faut beaucoup dialoguer ?

Non, car elle ne fait pas beaucoup de compétitions. Avec Gabriele, elle n’a jamais voulu faire beaucoup de compétitions. C’est pour cela que je suis surpris si à 34 ans, elle est à la fin de sa carrière. Je ne le crois, je crois qu’il y a un problème de motivation pour pousser très dur. Car quand tu as deux enfants, tu vas faire la maman, plus que l’athlète. C’est ce qui s’est passé avant Londres. Aussi, car l’année dernière, elle avait gagné New York très facilement en 2h25’, avec 1 minute d’avance. Quand tu gagnes comme ça, tu penses que même si tu ne t’entraînes pas beaucoup, tu es capable de gagner. Le marathon de Londres a été une leçon. Je crois qu’elle est de retour. On verra. Le marathon est une course difficile. Tu dois être à 100%, à l’entraînement et aussi avec la tête.

Est-ce que sa contreperformance de Londres a pesé sur les négociations financières de ce marathon ?

Pour ce marathon, non, car elle a gagné l’année dernière, et ils voulaient avoir le « Defending Champion ». Mais pour le marathon de Londres, oui, car elle n’est pas encore invitée, cela dépend de dimanche. C’est comme jouer à la roulette russe ! Si elle gagne, toutes les rues sont ouvertes. Si elle ne gagne pas, ce sera très difficile.

Ou alors, il faudra diminuer la somme demandée ?

Non, car à Londres, ils ont invité 5 Ethiopiennes, 5 Kenyanes, les meilleures au monde. Ils ont déjà les 4 meilleures, et il ne reste qu’une place. On va voir. Si dimanche, Joyce Chepkirui ou Sally Kipyego, courent plus vite qu’elle, ce sera dommage.

Pour NYC, quel est le montant de sa prime d’engagement ?

Je ne peux pas dire. Désolé, mais c’est une private affaire. Mais c’est la meilleure prime qu’elle ait reçue pour sa participation à New York. Quand elle est rentrée ici, en 2014, l’organisateur ne voulait pas l’inviter, j’ai dû pousser, les prier. On me répondait « Oui, elle a fait 2’18’, mais il y a 2 ans. Depuis, elle a fait la maman. » Mary m’en parlait tout à l’heure en mangeant, tu te rappelles la somme payée en 2014. Oui, je me rappelle, mais nous sommes venus, car l’argent, c’est à la fin de la course, pas au début. Si elle gagne dimanche, c’est 100.000 dollars, il y a des bonus pour les chronos, des bonus personnels. Tu peux sortir d’ici avec 300.000 dollars si tu cours vite. Il y a 30% de taxes en Amérique, mais tu peux terminer avec 200.000 dollars nets, c’est bien ! En 2014, elle a accepté de venir pour peu d’argent, et elle est rentrée au Kenya avec 200.000 dollars. Mais l’argent n’est pas une chose  à prendre en compte quand tu cours : tu dois penser à courir vite, et l’argent vient après. Si tu penses à gagner l’argent dès le départ, tu as terminé ta carrière. Tous les athlètes que j’ai connus qui ont fait ça ont terminé leur carrière. Tu dois toujours être motivé pour courir vite ! Car l’argent arrive à la fin de la course. La chose aussi est que les organisateurs oublient très vite, qui est l’athlète, ses chronos. C’est vraiment dur pour l’athlète de haut niveau s’il perd 6 ou 7 mois pour des blessures, ou les maternités pour les femmes. Les organisateurs oublient très vite que l’athlète n’est pas vieux, qu’il est encore fort. C’est ce qui me surprend un petit peu. Même si je comprends que l’organisateur a beaucoup de femmes et d’hommes à choisir, surtout sur le marathon, où ils veulent seulement 3 ou 4 Kenyans. Ici, il y a 3 Kenyanes et 1 Ethiopienne, c’est tout. Je ne sais pas ce que veut faire New York cette année, ils ont invité 5 femmes et 5 hommes. A Londres, il va inviter 5 Kenyanes, 5 Ethiopiennes. Ici, ils veulent favoriser les Américains. Mais c’est un World Marathon. Tout de même, tu dois donner la possibilité à tout le monde de courir. Ou alors tu sors du World Major, tu fais le marathon de New York.

Les négociations sont-elles souvent difficiles à mener pour toi ?

Très difficile avec New York. Très difficile. New York et Chicago sont les deux marathons les plus difficiles à négocier. Ils ont des idées américaines. Boston n’est pas comme ça, ils vont mélanger. A Chicago, il n’y a pas beaucoup d’athlètes étrangers. Quand on dit étrangers, on parle d’athlètes africains, car il n’y a pas d’autres athlètes très forts. Malheureusement. Nous allons avoir une situation très difficile dans le marathon mondial. Il y a des Kenyans, et des Ethiopiens. Un blanc, c’est comme un cheveu sur la soupe. Le marché du marathon est important. En Asie, il y a 30 ou 40 marathons. Toutes les grandes villes dans le monde ont des marathons. Si tu veux avoir la télé, tu dois avoir une course rapide à montrer. Sinon, tu n’as rien à montrer, tu vas gagner de l’argent, c’est tout.

Crois-tu que la décision de New York soit liée aux problèmes de dopage enregistrés au Kenya ?

Non. Je crois plus que Chicago a été fâché par Rita Jeptoo. Ils ne voulaient pas inviter de Kenyans. Après, ils ont accepté d’en inviter.  Mais tous les Kenyans ne sont pas dopés. Il y a 2000 coureurs de haut niveau au Kenya, il y a eu 40 cas positifs, cela fait 2%. En France ou en Italie, nous avons aussi les 2%. Les Kenyans sont nombreux : si on regarde les listes de marathon, semi, 10000 m, 5000 m, il n’y a que des Kenyans, 70% des meilleurs athlètes mondiaux, du 800 m au marathon, sont Kenyans. Bien sûr, je ne veux pas dire que c’est correct ce qu’ils font au Kenya. Mais quand il y a beaucoup de compétiteurs, que tu ne gagnes pas ta vie, tu vas chercher un raccourci. Je ne veux pas justifier, mais je comprends que quand tu as faim, que tu cherches ta voie, que tu peux aussi être conseillé par des gens qui veulent gagner de l’argent, des docteurs, pas des managers, qui demandent 10% des gains en échange de l’EPO. Comme Rita Jeptoo. Elle a donné son corps et son esprit au docteur, qui lui a donné de l’EPO, comme au Diable.

Est-ce que ce sont des sujets que tu abordes avec Mary Keitany ?

Non, pas beaucoup. Elle a eu un contrôle ce matin. Mary est souvent testée, elle n’a jamais eu une seule erreur. Jamais. Quand tu es clean, tu ne vas pas avoir peur. Mary a toujours couru avec sa force. Si elle devient vielle, elle est vielle. Une carrière d’une athlète est une carrière, elle se termine un jour, il faut l’accepter.

Interview réalisée à New York par Odile Baudrier

Photo : Gilles Bertrand