Le Tribunal Correctionnel de Paris accueillera à partir de ce lundi 13 janvier le procès à l’encontre de Lamine Diack, Papa Massata Diack, Habib Cissé, le docteur Gabriel Dollé, et les Russes Valentin Balakhnitchev et Alexei Melnikov, pour corruption et blanchiment. Les éléments de défense présentés par Lamine Diack et Gabriel Dollé réfutent toute responsabilité dans cette énorme affaire qui a entaché l’IAAF et la Russie. En face d’eux, plusieurs parties civiles présentent des demandes de dédommagement. L’IAAF a ainsi chiffré son préjudice à 40 millions d’euros. Christelle Daunay à 140.000 euros.
Les chiffres donnent le vertige, et seuls des experts confirmés peuvent les analyser. L’ordonnance de renvoi rédigé en juin 2019 par le juge Van Ruymbeke et son cabinet les disséquait pendant 88 pages, pour révéler l’ampleur financière des faits de dopage et blanchiment aggravé reprochés à Lamine Diack, Papa Massata Diack, son fils, Habib Cissé, son avocat, le docteur Gabriel Dollé, et les Russes Valentin Balakhnitchev et Alexei Melnikov.
C’est à partir de ce lundi 13 janvier que le Tribunal Correctionnel de Paris s’attaquera à ce procès, le seul intenté dans le cadre de l’énorme affaire de corruption qui a souillé l’IAAF et la Russie. Trois protagonistes seront totalement absents des débats, Papa Massata Diack, qui a toujours refusé de quitter le Sénégal pour répondre aux questions du juge, les deux Russes Valentin Balakhnitchev (ancien trésorier de l’IAAF ) et Alexei Melnikov.
Pour Lamine Diack et le Docteur Gabriel Dollé, leurs avocats ont choisi la même ligne de défense : nier les faits reprochés, et demander la relaxe.
En réalité, l’ancien président de l’IAAF accepte de reconnaître avoir couvert les cas de dopage de 23 athlètes russes, mais il s’agit selon lui d’un « retard relatif » dans les sanctions, décidé afin d’obtenir les financements de sponsors russes indispensables au financement de l’IAAF. Ce serait donc dans l’intérêt exclusif de l’IAAF qu’il aurait agi, en dehors de toute idée de corruption.
Lamine Diack demande la relaxe
Tous les autres éléments reprochés à Lamine Diack obéissent à la même idée, celle de l’innocence de l’ancien président de l’IAAF, qui ne se serait pas enrichi à titre personnel et qui affirme aussi avoir été mis à l’écart des faits de corruption menés par son fils Papa Massata Diack (qui ne sera pas présent à l’audience) et par son avocat Habib Cissé. Selon l’enquête du Pôle Financier, c’est une somme de 3,4 millions d’euros que le duo aurait extorquée à des athlètes en échange de l’annulation de leurs contrôles positifs.
Le docteur Gabriel Dollé n’admet, lui aussi, aucun des éléments mis à sa charge. Tout au plus avoue-t-il avoir cédé aux demandes de Lamine Diack pour que les sanctions soient différées, dans l’optique d’obtenir des budgets d’entreprises russes. Et ce serait également par sens du « devoir collectif » qu’il aurait accepté de garder sous le coude ces cas positifs, avec un engagement (finalement non tenu) de la part de Lamine Diack que les athlètes concernés ne seraient pas acceptés aux JO de Londres. Mais comme Lamine Diack, il réfute aussi tout enrichissement dans cette affaire. Même s’il accepte de reconnaître avoir reçu une enveloppe de 50.000 euros de la part de Papa Massata Diack, il estime qu’il s’agit d’une « indemnité légitime en échange de trahison vécue du fait du non-respect de la promesse de Lamine Diack de voir les athlètes sanctionnés avant les JO 2012 ». La somme de 140.000 euros touchée, également en espèces, lors de son licenciement de l’IAAF, brusquement décidé en septembre 2014 par Lamine Diack, correspond, selon lui, à son indemnité de licenciement après 23 ans d’activité au sein de l’IAAF.
Lamine Diack innocent ? Le docteur Dollé innocent ? Et idem pour Papa Massata Diack, Habib Cissé et les Russes Valentin Balakhnitchev, Alexei Melnikov ?? Qui répondra alors des accusations formulées par le Procureur ? Et des demandes présentées par les cinq parties civiles ??? Côté institutions, l’Agence Mondiale Anti-Dopage, le Comité International Olympique, l’IAAF se présentent face à ces cinq prévenus. Côté athlètes, deux seulement ont demandé à être reconnues comme victime, les Françaises Christelle Daunay et Hind Dehiba, alors que ce sont en réalité plusieurs centaines d’athlètes à travers le monde qui ont pâti des agissements sans scrupules de dirigeants avides d’enrichissements.
Un préjudice financier de plus de 25 millions, pour un total de 40
D’ores et déjà, l’IAAF a placé la barre très haute pour sa demande d’indemnisation du préjudice que cette affaire lui aurait provoqué. Avec un total dépassant les 40 millions d’euros qu’elle réclame aux prévenus.
Pourquoi une telle somme ? Essentiellement pour la dédommager du préjudice financier subi à la suite de sommes indûment perçues par les divers acteurs de cette affaire, avec ce montant de 24.6 millions d’euros de recettes de sponsoring et droits télévision qui auraient dû revenir à l’IAAF, et ont été détournés par Lamine Diack, Papa Massata Diack, Valentin Balakhnitchev, et Habib Cissé.
Il s’y ajoute aussi 2 millions d’euros pour l’atteinte à l’image et à la réputation de l’IAAF, et également 1 million d’euros pour l’atteinte à la régularité des compétitions organisées par l’IAAF.
Or justement, cette irrégularité dans les compétitions a largement nui aux athlètes eux-mêmes, contraints d’évoluer aux côtés d’athlètes russes et turcs dopés mais non suspendus par le fait du prince.
Christelle Daunay pointe sa solitude dans ce combat
C’est en ce sens que Christelle Daunay et Hind Dehiba se sont constituées partie civile, pour obtenir la reconnaissance d’un préjudice certain. La marathonienne s’est trouvée particulièrement spoliée par la protection de Liliya Shobukhova, qui avait remporté le marathon de Chicago en 2011, alors que Christelle Daunay terminait 5ème, avant d’être reclassée 4ème par la suite. Avec par ricochet, des contrats plus faibles de la part de son équipementier, et aussi des primes d’engagement négociées sur la base de cette 5ème place.
Mais Christelle Daunay pointe aussi du doigt un élément très fort, celui de la « perte de confiance dans les institutions qui gèrent l’athlétisme au niveau national et international ». C’est ainsi qu’elle souligne qu’elle se voit « obligée d’expliquer, seule, et avec ses propres moyens, qu’elle est effectivement une victime de ces délits, et de déterminer le préjudice qu’elle a subi alors même qu’elle devrait être soutenue et assistée de « World Athletics (ex-IAAF) et de la FFA »
Un point de vue très pertinent, tant les premiers spoliés dans cette affaire sont évidemment les athlètes, obligé.es d’affronter des dopés protégés au nom de contraintes mercantiles nauséabondes.
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.