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L’express Benfares, le dopage et les mensonges

C’est une histoire très glauque que celle de Sara Benfarès et sa sœur Sofia. Les deux jeunes athlètes se retrouvent contrôlées positives. Leur père et coach, Samir, invente l’excuse d’un cancer de Sara et de produits prescrits pour le soigner. Finalement il s’avère que ce sont 5 produits, et pas des moindres qu’utilisait Sara, et peut-être sa sœur. Et que ce cancer serait en réalité une maladie des os. Mais aussi que Samir Benfares manie l’art du mensonge avec une grande dextérité, et depuis plusieurs années. Des irrégularités financières auraient été découvertes au sein du CA Montreuil qu’il a présidé jusqu’en janvier 2024.

Samir Benfares et ses filles Sofia et Sara en août 2021

« L’express Benfares ». C’est la « baseline » choisie par les trois filles Benfares dans leur communication sur les réseaux sociaux. Une formule retenue aussi par la presse allemande dans leurs articles sur ce trio licencié dans l’important club LC Rehlingen, devenu leur club depuis qu’elles avaient décidé de représenter au niveau international l’Allemagne, pays de leur mère, en rejetant la France, au motif d’un manque d’aides financières et autres. Un choix que Samir Benfares prétendait avoir reçu avec beaucoup de déception, comme il le confiait en août 21 dans les colonnes de Ouest France, même si moult personnes soutiennent qu’il était en réalité le vrai décisionnaire de ce changement radical.

Car même si les photos distillées dans les médias allemands présentaient l’image sympathique de Selma, Sara, Sofia et de leur mère Béatrice Röh, ancien athlète de haut niveau pour l’Allemagne (4’20’’ sur 1500 mètres), le conducteur de l’Express se nommait bien Samir Benfares. Et tous les témoignages recueillis confirment que Sara comme Sofia évoluaient aux ordres de l’ancien athlète arborant la double casquette de père et entraîneur, très très précis dans toutes ses directives.

Les trois filles Benfares et leur mère, Béatrice

Trois contrôles positifs et cinq produits interdits !

Une relation qu’on pourrait qualifier de sous « emprise », et selon nos informations, cette omniprésence de Samir jusque dans tous les aspects liés au suivi biologique avait été signalée par l’AFLD à l’agence allemande anti-dopage au moment du transfert. Cette alerte, s’ajoutant probablement à d’autres éléments non révélés jusqu’à maintenant, pourrait expliquer les contrôles anti-dopage hors compétition que Sara Benfares a connu ces derniers mois.

Car comme l’a révélé Leichatletik, la Fédération Allemande d’Athlétisme, ce sont TROIS contrôles positifs qui lui sont imputés, entre fin septembre 2023 et mi-janvier 2024 ! Un chiffre énorme, auquel il s’ajoute celui de CINQ produits interdits détectés, EPO, testostérone, clenbutérol, ostarine, SR9009. C’est du très lourd, pour une jeune femme de 22 ans seulement. Avec cette question, qu’en sera-t-il pour sa sœur Sofia ??

Un cancer, une chimio, de l’EPO, de la testo, une drôle de logique

Des éléments très graves que Samir Benfares avait soigneusement dissimulés lorsque j’avais échangé une première fois avec lui fin janvier. Nous sommes le mardi 30 janvier. L’annonce d’une suspension provisoire de Sara vient de tomber. Samir répond immédiatement à mon appel, et me déroule une explication effarante : sa fille souffre d’un cancer des os – le diagnostic a été posé en août 2023 – Sara avait enchaîné une succession de 10 fractures de fatigue – le traitement du cancer a été décidé en urgence – de la testostérone pour renforcer les os touchés par la maladie – de l’EPO pour palier à la forte baisse de ton taux d’hématocrite.

Car Samir Benfares me soutient alors que la chimiothérapie a provoqué chez Sara une forte baisse de son taux d’hématocrite, descendu à 27. A l’appui de ses dires, il me transmet même le compte rendu d’une analyse de sang qui le confirme. 

Samir Benfares pleure pour évoquer le cancer de sa fille

Je suis tellement choquée par cette histoire d’une jeune femme de 22 ans en proie à un cancer que j’en oublie ma méfiance habituelle, rôdée après neuf ans à travailler dans le domaine de l’anti-dopage…. Certes, j’ai bien vu qu’il manque en réalité le nom de la patiente sur ce compte rendu, mais je ne m’y attarde pas !

Je ne m’interroge guère plus sur le déroulé matériel des faits : un cancer en août – un diagnostic en septembre – un traitement à l’EPO en septembre qui fait suite à une chimiothérapie ?, c’est du très rapide – un traitement décidé en urgence sans dépôt de dossier d’AUT aux instances anti-dopage allemandes ?, c’était le seul moyen pour protéger la carrière de sa fille, et c’est un loupé étonnant pour un ancien athlète international et patron d’un grand club d’athlétisme – un contrôle anti-dopage en septembre juste au moment de ces injections d’EPO ?, c’est vraiment surprenant de contrôler hors compétition une athlète qui n’a pratiquement pas couru de la saison. Mais Samir Benfarès est apparu tellement meurtri par la situation, la voix brouillée par les pleurs à plusieurs reprises que je ne peux imaginer qu’il y ait quelques inexactitudes !

6ème à la Course de l’Escalade, en pleine chimio ???

A peine l’article publié que plusieurs personnes prennent contact avec moi, pour me faire part de leur incrédulité sur cette affaire. Le point le plus important concerne celui de la date du diagnostic du cancer. Samir Benfares me parle du mois d’août 2023, et à d’autres, il a mentionné janvier 2024… Et également l’incohérence entre les images diffusées sur leurs réseaux sociaux par Sara Benfares et sa sœur Sofia, avec de longs entraînements effectués entre octobre et décembre 2023, qui collent peu avec un cancer et un lourd traitement de chimiothérapie, et également une participation à la Course de l’Escalade en Suisse début décembre, avec la 6ème place. Il m’affirme d’ailleurs qu’elle a disputé cette course juste après une lourde chimio qui lui a provoqué la chute des cheveux, et qu’il n’a accepté qu’elle participe à sa demande insistante et pour lui permettre de soigner un moral atteint par la maladie et les soins…

Deux autres échanges avec Samir Benfares, le 1ER février et le 5 février, m’amènent à beaucoup de doutes sur la véritable histoire. D’abord ses explications sur la proximité de sa fille avec l’entraîneur roumain Carol Santa. C’est typiquement le genre de personne qu’un papa soucieux de la carrière de sa fille garde à distance. Un peu surprenant d’imaginer que l’ancien athlète, passionné d’athlétisme, patron du plus grand club français d’athlétisme ne connaisse pas la réputation très sulfureuse de ce coach, qui a sévi aussi en Turquie.

Sara Benfares avec Carol et Daniel Santa au Championnat d’Europe de Munich

Une fausse demande à un médecin français

Et puis, pour appuyer encore plus sur la gravité de la maladie de Sara, Samir Benfares insiste sur son traitement médical : il m’explique que le spécialiste allemand qui la suit a prescrit un médicament qu’il n’a pas pu trouver en France en novembre lors du séjour de la famille Benfares à Font Romeu. Il me soutient alors avoir sollicité l’aide d’un médecin de Font Romeu, pour lui parler du cancer de sa fille. Celui-ci l’aurait informé que ce médicament n’est pas disponible en France sur ordonnance, mais seulement en milieu hospitalier. Sauf que selon mes informations, ce médecin n’a nullement été informé d’un problème de cancer, et qu’il a même découvert le cas de cancer de Sara début février, après l’annonce du contrôle positif…

Sur le point de la distorsion entre photos d’entraînement et maladie, Samir Benfares a bien rôdé sa réponse : ce sont des photos des années précédentes, que Sara relaie pour respecter son contrat avec Nike. Et cet argument sera ensuite repris par son avocat allemand, Dubravko Mandic, dans une réponse faite en avril 2024 au journaliste Christian von Stülpnagel pour la radio allemande deutschlandfunk.de : « les photos datent de 2021 ».

Les photos datent de 2021 ? Le modèle Nike porté est sorti en 2023 !!

Sauf qu’il suffit de consulter quelques experts en chaussures pour leur demander de dater le modèle porté par Sara et Sofia lors de leur entraînement posté le 29 octobre 2023 sur leur compte Facebook. Et le verdict est sans appel : ce modèle Nike VaporFly3 n’est sorti qu’en mars 2023, ou au mieux, a été livré à quelques athlètes élite, en janvier 2023.

Autant d’éléments qui confirment que Samir Benfares a multiplié les approximations, pour faire face à cette situation complexe. A l’annonce du contrôle positif de sa deuxième fille, Sofia, il opte pour un nouveau mensonge, celui qu’elle n’a pas reçu sa notification, et me soutient qu’il s’agit de diffamation de la part de la presse allemande… Pourtant dès le lendemain matin, la Fédération d’Athlétisme Allemande confirme la suspension provisoire de Sofia.

L’avocat de Sara connu pour ses opinions d’extrême droite

Justement, pour la défense de Sara, après avoir destitué le premier avocat, Rainer Cherkeh, il recrute Dubravko Mandic, un avocat particulièrement craint des médias allemands. Car également connu comme homme politique d’extrême droite, membre de l’AFD, et n’hésitant pas à multiplier les actions hostiles contre la presse. Son communiqué du 8 mars annonçant sa collaboration avec la famille Benfares, sonne comme une sommation pour la presse. En Allemagne, l’affaire Benfares a fait grand bruit, tant le thème du dopage résonne avec le terrible passif de l’Allemagne de l’Est, et tous les grands médias ont évoqué Sara, puis Sofia. Surtout que Sara apparaissait comme l’un des grands espoirs olympiques pour son pays.

A tort. Car avec un record à 15’20’’ sur 5000 mètres, c’est tout au plus une finale olympique qu’elle pouvait espérer à Paris. Et cela n’était visiblement pas du goût du père Benfares qui avait bâti plusieurs années en amont, une sorte de « romance » : celle de ses trois filles qualifiées pour les Jeux Olympiques 2024. Est-ce cette ambition délirante qui a amené l’Express Benfares vers la dérive dopante ??? Une chose est certaine, selon nos informations, Samir Benfares avait renoué contact il y a environ deux ans avec une personne bien informée sur le dopage pour l’interroger sur d’éventuels contacts dans ce domaine…

L’avocat soutient que Sara souffre d’une maladie des os, pas d’un cancer

Mais sa position officielle est d’un tout autre acabit, comme l’a livré l’avocat de Sara à allemande deutschlandfunk.de : « les parents n’étaient pas au courant de la prise de médicaments ». Un point de vue en opposition complète aux observations de tant de personnes du milieu de l’athlétisme, qui lors de stages ou compétitions, ne pouvaient que constater la totale dépendance des filles par rapport à leur père, et qu’on voit mal mettre en place un tel protocole de dopage à son insu.

L’avocat Dubravko Mandic s’attaque également à la remise en cause du terme de cancer utilisé en janvier par Samir Benfares, et parle maintenant d’une « maladie diffuse des os ». Il soutient également que Samir aurait utilisé à tort le mot de cancer, car sous le choc de la maladie de sa fille. Un mensonge de plus, car je peux confirmer, comme je l’ai fait dans la presse allemande, qu’il n’a pas hésité à le répéter à plusieurs reprises, à parler aussi de chimiothérapie, de pertes de cheveux, de cancérologues. Et c’est bien le terme de cancer qu’il utilise le 30 janvier dans sa lettre de démission de son poste de président du CA Montreuil.

Un contexte financier douteux au CA Montreuil

Or justement, très vite, l’affaire dopage se double d’une autre affaire, celle du club. Après avoir effectué toute sa carrière au CA Montreuil, Samir Benfares était le président depuis 2020. Il démissionne le 30 janvier 2024, le jour même de l’annonce du contrôle positif de Sara. Il justifie sa décision brutale par la nécessité de se concentrer sur les soins à apporter à Sara dans sa lutte contre le cancer.

Message adressé par Samir Benfares le 30 janvier 2024 à midi au club CA Montreuil

Début mars, autre surprise, Jean Claude Vollmer, entraîneur de Morhad Amdouni, un très proche de Samir Benfares, qui l’a recruté à l’automne 2023, est nommé comme nouveau président. Un examen des comptes est alors lancé et très vite, apparaissent des interrogations sur les données financières. Selon des informations concordantes, des irrégularités importantes auraient été découvertes, avec en filigrane, l’éventualité d’une plainte au pénal.

Des accès de colère, des mensonges sur ses investissements

Le voile se lève alors sur toute une face plus sombre de Samir Benfares, souvent sujet à des accès de colère, tantôt contre des entraîneurs du Club, tantôt contre un manager, ou toute personne qui le contredit. Cet homme d’apparence si sympathique et chaleureuse apparaît alors sous un autre jour. Et très rapidement, au fil des contacts et recherches, il s’y ajoute aussi des éléments dérangeants sur sa véritable qualification professionnelle, ses sociétés, ses investissements. Exemple avec le centre d’entraînement d’Iten au Kenya, où il affirme à certains avoir investi plusieurs millions d’euros pour prendre la suite de Bob Tahri, en 2020, alors même qu’il n’était pas propriétaire et que les éléments matériels confirment qu’il a omis de régler les loyers exigés pour la gérance, qui sera ensuite confiée à Julian Ranc de Run’Ix.

Samir Benfares, une tumeur vite guérie en 1996 !

Au fur et à mesure des échanges avec les uns et les autres, ses errements se multiplient. Un vieil article datant de juin 1996 refait ainsi surface. Il est signé par Jean Claude Derniaux, le spécialiste athlétisme de l’époque dans le journal « le Parisien ». A la veille du deuxième tour des interclubs, le journaliste relate l’étonnante histoire de Samir Benfares, fer de lance de l’époque au CA Montreuil, sélectionné l’année d’avant au Championnat du Monde d’athlétisme. Celui-ci explique avoir été empêché d’entraînement pendant plusieurs mois à l’hiver 95-96 en raison d’un problème au mollet. Après des mois de tests médicaux, où il est question d’inflammation ou de fracture de fatigue, le verdict tombait alors : il s’agissait d’une tumeur. Et après une opération, et malgré le pronostic pessimiste des médecins, Samir Benfares aurait retrouvé très vite la forme, et fin juin 96, au meeting de Paris, avec 3’36’’, il se rapproche de son record personnel datant de 1994.

Mais d’où vient ce sentiment de malaise à lire cet article ??? ….

Analyse : Odile Baudrier

Photos : D.R.