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Les athlètes adhèrent au programme QUARTZ, pour plus de transparence

Une dizaine d’athlètes, tous de niveau international, et emmenés par un leader de choix, Kévin Mayer, recordman du monde du décathlon ont décidé d’intégrer le Programme QUARTZ, dans l’objectif de donner de la visibilité au public sur leurs données biologiques. Une initiative très intéressante qui démontre que les athlètes aspirent à plus de transparence. Et le mouvement est appelé à encore s’étoffer.

Textes par Odile Baudrier

Kévin Mayer – Melina Robert Michon  – Eloyse Lesueur – Hassan Chahdi – Sophie Duarte – Alexandre Saddedine – Jean Marc Pontvianne – Yoann Kowal – Susan Jeptooo.

Voilà les neuf athlètes précurseurs qui ont choisi d’intégrer le programme QUARTZ, qui repose aujourd’hui sur une méthode très complète mise sur pied dès 2006 par Pierre Sallet, spécialiste anti-dopage au sein de l’Association Athletes for Transparency et qui, non seulement permet un suivi médical, biologique et toxicologique 100% informatisé, mais offre aussi l’option d’une visibilité publique sur les données de ses membres.

Le programme QUARTZ comprend le programme QUARTZ Elite qui s’applique toute l’année aux athlètes sur la base du volontariat et le programme QUARTZ Event qui, comme son nom l’indique, est un choix des organisateurs d’événement d’un suivi raccourci sur les 30 jours avant le départ de leur course mais cette fois-ci obligatoire pour les athlètes inscrits.

Un programme QUARTZ qui existait jusque là quasi exclusivement dans le trail running, puisque le programme QUARTZ Elite est proposé par l’ITRA (International Trail Running Association) aux meilleurs mondiaux de cette discipline et que le programme QUARTZ Event est appliqué sur les plus grosses épreuves de trail-running au monde, comme le circuit UTWT (Ultra Trail World Tour) sur les longues distances et qui intègre notamment l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc), le circuit Golden Trail World Series (GTWS) sur des distances plus courtes et quelques épreuves de notoriété, comme le Grand Trail des Templiers. Soit au total un chiffre de 70 trailers élites et 85 compétitions, y compris le Championnat du Monde de Trail !

Toujours très novateur par bien des aspects, le programme QUARTZ est financé par l’ITRA, les organisateurs d’événements ainsi que des teams de marques (6) comme par exemple SALOMON le premier rentré et ASICS qui vient de les rejoindre cette année. La garantie de cette transparence financière est assurée par la Fondation Ultra Sports Science (USS) qui récolte et redistribue tous les financements. Tous les acteurs du trail running participent ainsi à un effort commun; une première et un exemple unique dans le monde du sport.


Les bilans sanguins des athlètes visibles par le public

Les procédures sont maintenant bien rôdées, et tous les gens qui soutiennent depuis cette initiative sans but lucratif, rêvaient depuis des années de voir des pratiquants d’un sport « olympique » y adhérer. C’est donc chose faite pour cette dizaine d’athlètes qui ont choisi d’innover, ulcérés par les dérapages autour de l’affaire Clémence Calvin qui ont suscité beaucoup de réactions négatives du public, d’où leur envie de pouvoir démontrer leur honnêteté.

La transparence est de toute façon dans l’air du temps. Et c’est à cette attente du public, des partenaires, des journalistes que peut répondre l’intégration dans « QUARTZ », qui oblige le sportif à transmettre ces bilans sanguins régulièrement, à les voir analyser par un collège de médecins et d’experts, et à pouvoir les publier (dans une version édulcorée) sur une zone de la plateforme ouverte au grand public. Une visibilité évidemment propice à la prévention d’un dérapage vers les produits interdits, qui sont ainsi indirectement bien plus faciles à détecter.

Car la situation des athlètes propres est pour le moins complexe. Comme l’explique Pierre Sallet : «Heureusement que les Organisations Nationales Antidopage (AFLD en France) et les contrôles existent mais avec l’aide d’experts, le système peut être contourné ( l’exemple le plus connu étant Lance Armstrong avec plus de 250 contrôles négatifs en 10 ans alors qu’il évoluait en permanence sous EPO, transfusion et Hormone de croissance entre autres). Ainsi à la question « que faites-vous pour la lutte antidopage », cet athlète dopé entouré d’experts « répondra qu’il a eu 20 contrôles cette année, tous négatifs ». Et si vous posez la même question à un athlète non dopé, il vous dira exactement la même chose pour se justifier; « j’ai eu 20 contrôles dans l’année, tous négatifs ». Rien ne fait la différence ! »

Ou plutôt ne faisait, puisque les membres du programme QUARTZ Elite pourront faire état d’une vraie surveillance de leurs analyses, et par une structure indépendante, celle d’AFT. L’interprétation de leurs données est effectuée par des médecins ou experts issus obligatoirement de 3 structures différentes, pour éviter toute possibilité « d’arrangement » avec un.e. athlète. Un principe de base : le partage des données.


Une surveillance des analyses par trois médecins

Ceci marque ainsi une grande différence avec le système actuel du suivi longitudinal exigé par la FFA des athlètes membres de l’Equipe de France. Car tous les témoignages le confirment, ces suivis portaient très mal leur nom, puisque justement rarement suivis de réactions.

Or très globalement, ce point apparaît déterminant à Pierre Sallet, qui explicite : « C’est un problème de santé publique. Les données du passeport biologique sont analysées seulement sous l’angle du dopage. Il n’y a pas d’infos sur le plan de la santé. Un athlète pourrait ainsi souffrir d’un problème grave de santé, que les bilans biologiques dévoilent, mais sans que personne ne l’informe. C’est un non sens. » Et cette idée n’est pas seulement une théorie : l’expérience menée dans le trail depuis 4 ans a ainsi permis de détecter à plusieurs reprises des problèmes de thyroïde ou des pathologies rénales, ignorées par la personne.

Car le programme QUARTZ a d’abord été créé dans l’optique santé, pour justement pouvoir réagir face à l’apparition de données alarmantes. Avec à la clef, la possibilité de décider d’une interruption du sport, ou dans le cas d’une compétition, d’une interdiction de prendre le départ.

Un dispositif comparable à celui du suivi biologique de la Fédération, sur lequel un voile a été jeté suite à diverses informations, révélant l’absence de cadre strict (les analyses ne seraient pas effectuées de manière aléatoire et pas toutes traitées), et laissant planer le doute sur des protections qui auraient pu être accordées à certains athlètes.


Ces athlètes ouvrent la voie pour les autres

Cette dizaine d’athlètes innovants favoriseront-ils la mobilisation d’autres athlètes ? C’est déjà acquis. Riad Ouled, manager de quelques-uns des meilleurs marathoniens et demi-fondeurs français, veut s’engager dans une démarche d’adhésion obligatoire pour tous ses « protégés ». Le manager ne dissimule pas son trouble face à un fléau du dopage qu’il a du mal à appréhender; comme beaucoup d’autres acteurs du monde de l’athlétisme. Mais Riad Ouled ne veut plus se contenter de patienter pour que la situation s’assainisse, et il se veut maintenant volontariste. Son premier souhait serait celui de pouvoir intégrer dans le programme QUARTZ, ses cinq marathoniens : Hassan Chahdi (inscrit à titre individuel), Morad Amdouni, Florian Carvalho, Benjamin Malaty, Emmanuel Roudolff-Levisse (débuts en 2019). Et deuxième étape, l’obligation à toute signature de contrat avec sa structure « Manag-R » d’une entrée dans le programme pour tous les athlètes internationaux (Equipe de France A – participations meetings DL et WC – leader de disciplines).

Une initiative encourageante qui témoigne que le milieu de l’athlétisme est prêt pour les changements.  La Fédération Française d’Athlétisme, informée de la démarche des athlètes, n’a pas, elle, réagi de manière officielle. Seul le DTN, Patrice Gerges a clairement exprimé son attente sur des projets innovants susceptibles d’assainir une situation actuellement très confuse.

Ø  Texte : Odile Baudrier – photos Gilles Bertrand

Sophie Duarte, un projet pour la clarté des performances

« On ne sait plus qui est qui ». La phrase résume l’état d’esprit de Sophie Duarte, face au fléau du dopage, qu’elle a vécu durant sa longue carrière, débutée en 2007, à une époque où les Russes font la loi, comme au Mondial d’Osaka 2007, ou aux JO de Pékin 2008, avec les méthodes qu’on connaît maintenant parfaitement bien.

Et son constat est très simple : les athlètes propres sont victimes d’une double peine, celle de perdre des médailles, des titres, et donc des entrées d’argent, mais également de voir leurs performances mises en doute. Comme elle le dit sans détour : « Aux yeux du public, comment avoir obtenu ces résultats quand nos camarades en Equipe de France sont tombés pour dopage ? Exemple avec Julie Coulaud ou Laila Traby en ce qui me concerne ».

Au fil du temps, la championne d’Europe de cross a bâti sa conviction : la transparence doit être la règle, et en juin 2018, elle saisit l’opportunité de lever le voile sur le nombre de ses contrôles anti-dopage, en répondant la première à mes questions destinées à dresser un état des lieux des contrôles vécus par les meilleurs demi-fondeurs français.

Elle évoque aussi à plusieurs reprises avec moi le programme Quartz qui lui était apparu comme une très belle opportunité lorsqu’elle le découvre dans le cadre de l’UTMB, à l’initiative de la marque Salomon, qui l’invite en 2016 pour une intervention sur les déviances du dopage dans le monde de l’athlétisme.

Son intégration dans le programme Quartz s’inscrit dans cette logique, d’où cette remarque : « On entre dans le programme pour des causes nobles que nous partageons tous ensemble. A la fois pour promotionner ce programme, qui je l’espère, pourra un jour être celui voté par l’AIU, aussi pour lutter contre la naïveté de la triche qui donne la faute au système ».

Car pour elle : « Il n y’a pas de système ! C’est une faute individuelle, une faiblesse de l’homme et de sa confiance »…

Avec Quartz, elle ajoute ainsi un élément validant sa volonté forte de lutte contre le dopage, qu’elle affiche constamment, et qui ne lui vaut pas que des amis… Mais pour elle, l’important est de mettre fin à l’hypocrisie qui règne dans le monde de l’athlétisme, et aux erreurs consécutives au manque de connaissances en matière de performances sportives. 

Susan Jeptooo, un projet contre la suspicion

Susan Kipsang Jeptooo sera la seule athlète étrangère intégrée dans cette première vague du programme Quartz. Au nom d’une amitié de très longue date entre Pierre Sallet, le créateur du programme, et Harzouz Saadi, l’entraîneur de Susan. Les deux hommes ont partagé quelques saisons de triathlon au haut niveau, et les liens noués les ramènent souvent l’un vers l’autre pour des échanges sur le sport. Avec en filigrane, les interrogations autour du dopage, un sujet sur lequel ils affichent la même vision, une hostilité franche à toute dérive.

Harzouz Saadi a ainsi assisté à la création d’Athletes for Transparency, puis du programme Quartz, et très logiquement, sa petite protégée, Susan Kipsang Jeptooo, qu’il épaule depuis 5 ans, s’est vue proposée de profiter de cette méthode, au moment où sa demande de naturalisation française devrait bientôt aboutir, avec le soutien appuyé de la FFA. Et elle pourrait ainsi représenter la France aux JO de Tokyo, elle vaut 2h29’ depuis la mi-avril.

Sa présence dans le programme Quartz lui permettra de démontrer sa volonté de transparence. Car Harzouz Saadi n’élude pas les questions frontales : « Oui, il y a toujours de la suspicion autour des performances des Kenyans ou Kenyanes. Mais moi, pour Susan, je n’ai jamais eu aucun doute. »

Car celui qui s’est formé à l’entraînement, après ses années triathlon et en parallèle de son travail de gérant de sociétés est un véritable obsédé de l’analyse de performances. Il décortique à foison les chronos des unes et des autres, pour détecter les variations erratiques, et au contraire, pour Susan, une progression très linéaire.

A leur début de collaboration, il y a 5 ans, la jeune femme, arrivée à Lyon depuis 2008, affichait un record sur 10 km en 36’10’’, les minutes allaient ensuite descendre tout doucement, pour atteindre 31’59’’ en 2018. Idem sur marathon, où les 2h40’ de ses débuts en 2016 allaient tomber à 2h30, répétés deux fois, en 2017 et 2018, et maintenant à 2h29’ ce printemps.

Jusqu’alors, en tant que Kenyane licenciée en France, Susan Jeptooo évoluait bien sûr hors cadre fédéral, sans obligation Adams ou de suivi longitudinal, mais elle a été soumise à de fréquents contrôles anti-dopage, 13 en 2018 (AFLD et IAAF), y compris un contrôle inopiné en août 2018, et sa demande de naturalisation s’est accompagnée d’un courrier officiel de l’AFLD attestant qu’aucune procédure n’est engagée à son encontre.

Désormais, ses analyses biologiques seront transférées sur Quartz, en toute transparence. Car comme le souligne Harzouz Saadi : « Nous n’avons rien à cacher ! »

Alexandre Saddedine, un projet pour éviter le dopage

« Un lanceur d’alertes ». C’est ainsi que Alexandre Saddedine qualifie le programme Quartz. Une formulation originale pour expliquer son intérêt pour ce projet où il se présente comme le benjamin, avec ses 25 ans. Mais le jeune demi-fondeur rêve d’encore plus, et il aimerait imaginer que la FFA impose à tous les athlètes internationaux de plus de 18 ans d’intégrer ce dispositif, afin que le dopage soit repéré plus rapidement.

Car Alexandre Saddedine est aussi convaincu d’une chose importante : « Pas mal de gens font du sport clairement ». Et une initiative comme Quartz lui apparaît justement primordiale pour les distinguer, convaincu que si les bilans sont faits régulièrement, les différences constatées devront être justifiées par les athlètes

Ce gros talent du 1500 mètres, il vaut 3’37’’36, et cumule les podiums depuis ses années cadets,  avec trois titres de champion de France et trois podiums par équipe aux Europe de cross, se retrouve ainsi aux côtés de grands noms de l’athlétisme. Et pour lui, l’engagement de Kévin Meyer ou de Hassan Chahdi marque un grand pas en avant : « C’est bien qu’ils s’engagent. Ils seront des chefs de file pour les autres athlètes. » Avec en filigrane, le point très important de rassurer les acteurs de l’athlétisme : « Pour nous, les athlètes, c’est intéressant de se dire qu’on court avec des gens qui sont propres. Pour le public, avec ce programme, cela va enlever certains doutes, de savoir si une médaille est propre. Entre ce programme et les contrôles anti-dopage AFLD, le risque de tomber pour dopage augmentera.»

Et la suspicion pourra diminuer. Le sujet est particulièrement sensible pour lui qui avoue tout de go : « Il y a eu beaucoup de suspicion contre moi depuis longtemps. Car j’étais lié à Zouhair Fougali, qui est mal perçu dans le milieu. » C’est ainsi que durant cette période, il a été soumis à de fréquents contrôles anti-dopage, 7 à 8 par an, à chaque compétition, alors qu’en 2018, après son arrivée aux côtés de Jean-Claude Vollmer, il en a connu 3, plus un inopiné en 2019.

Un système de contrôle anti-dopage qu’Alexandre Sadeddine connaît bien pour être intégré dans la localisation ADAMS depuis 3 ou 4 ans. Mais ce système ne lui pèse pas : « Ce n’est pas une contrainte. Je le remplis par trimestre, et ensuite, je change en cas de stage. C’est facile, cela demande 5 minutes ! » En quatre ans, Alexandre a connu un seul No Show, durant sa première année d’arrivée dans le système Adams : « J’avais oublié de changer alors que j’étais resté plus longtemps en week-end chez mes parents à Reims ».

Sur le plan du suivi longitudinal, le jeune athlète y est astreint, selon les années, qu’il figure ou pas sur les listes ministérielles. Mais il ne dissimule pas que ces suivis ne lui semblent servir à rien : « Nous n’avons jamais de retours. Et puis deux prises de sang éloignées de six mois, cela ne me semble pas suffisant. »

Pour lui, une nouvelle ère débute avec l’arrivée de Quartz, et son soulagement est visible à l’idée que sa prochaine progression chronométrique ne sera plus scrutée sous le prisme du doute.

  • Textes : Odile Baudrier – Photos : Gilles Bertrand