Pour la première fois, une femme est passée sous la barrière des 2h10, avec les 2h09’56’’ réalisés par Ruth Chepnegetich au marathon de Chicago ! Une performance hors norme qui a suscité d’énormes interrogations compte tenu de la situation explosive du dopage au Kenya. Les suspensions se poursuivent sans relâche, y compris pour de grands noms de la course sur route, et pourtant, l’agence anti-dopage du Kenya annonce subir une baisse drastique de son budget.
2h09’56. Ruth Chepnegetich a provoqué un séisme dans la planète marathon, et les opinions hostiles sont vite apparues face à cette performance incroyable. Certes, au vu des progressions chronométriques des marathoniennes dans ces toutes dernières années, cette éventualité d’un chrono sous les 2h10’ pour une femme ne pouvait être écartée. Mais peu d’observateurs escomptait qu’il soit réalisé dès cette année 2024.
Tout simplement, parce que le record du monde du marathon féminin a déjà connu de sérieuses turbulences dans les deux dernières années. La marque de Paula Radcliffe, 2h15’25’’, avait tenu 16 ans ! Puis les 2h14’04’’ de Birgid Kosgei restèrent sur les tablettes durant 4 ans, avant d’être gommés par Tigst Assefa en 2h11’53’’ en septembre 2023. Et ce chrono, déjà impressionnant, se voit balayé de plus de deux minutes et seulement un an plus tard. C’est peu de dire que pour les experts du marathon, habitués à des évolutions linéaires, cela détonne…
Les experts mondiaux sont incrédules
Ainsi, tour à tour, le physiologiste Sud Africain Ross Tucker, l’Irlandais Cathal Dennehy de Irish Examiner, les Américains Amby Burfoot, ex Runner’s World, Alex Hutchinson, de Outside, Robert Johnson et Jonathan Gault de Let’s Run, ont livré des commentaires témoignant d’une vraie incrédulité. Avec en réaction, pour la première fois, une réaction officielle de Athletics Kenya prenant la défense de son athlète. Et encore plus surprenant, une protestation de plusieurs députés du Parlement du Kenya, exigeant des excuses de Robert Johnson pour sa question à Ruth Chepnegetich en conférence de presse, qui démontrait son incrédulité !
Bien sûr, dans tous ces écrits, l’impact de la chaussure portée par Ruth Chepnegetich est systématiquement pris en compte pour tenter de justifier cette explosion chrono. D’autant qu’elle portait pour la première fois à Chicago la Nike Alphafly 3, au lieu de la Vaporfly. Mais comme il l’est désormais bien établi, le pourcentage de gain apporté par le port des modèles carbone ne peut être évalué de manière très précise, avec une fourchette large variant entre 2 et 7%.
106 athlètes du Kenya actuellement suspendus
Mais bien évidemment, c’est le contexte autour du dopage au Kenya qui génère l’incrédulité autour du résultat de Chicago de cette Kenyane de 30 ans, championne du monde du marathon en 2019. Au fil des mois, la situation du pays ne semble pas s’assainir. Au contraire. Les listes d’athlètes suspendus s’allongent sans discontinuer, avec actuellement 106 noms. Avec toujours un choc de constater que des athlètes de très haut niveau mondial ont réalisé leurs performances au moyen de produits illicites. Alors comment croire à ces nouveaux chronos complètement « perchés » hors du réel ??
Certes, les moyens considérables déployés par l’Athletics Integrity et l’Agence Anti-dopage du Kenya génèrent des résultats tout à fait exceptionnels. L’on peut même parler d’une véritable traque aux tricheurs, qu’aucun pays au monde n’a jamais connue jusqu’alors. Mais un gros bémol est apparu ces derniers jours avec l’annonce d’une baisse drastique du budget alloué à ADAK, l’agence anti-dopage du Kenya, qui s’est avouée incapable de payer ses loyers depuis cet été, et même sa ligne internet !!
Les questions autour du manager Federico Rosa
Un sérieux couac alors que le Gouvernement du Kenya s’était engagé à dégager de gros moyens financiers pour les 5 années à venir. Le Président du Kenya a-t-il été ulcéré de constater la conclusion sans appel qui découle des faits de ces deux dernières années : le dopage est endémique. Et il le restera certainement tant que les divers intermédiaires impliqués ne sont pas inquiétés, médecins, entraîneurs, pharmaciens, managers.
Justement le lien de Ruth Chepnegetich avec le manager italien Federico Rosa n’a pas manqué d’être largement commenté dans les divers articles, avec la publication de tous les athlètes travaillant avec Federico Rosa qui ont concernés par le dopage (Rita Jeptoo, Jemima Sumgong, Lawrence Cherono, Sarah Chepichirchir, Titus Ekiru, Asbel Kiprop).
Le cas de Federico Rosa semble exemplaire : un temps mis en cause par la justice du Kenya, à l’été 2016, aucune sanction n’a finalement suivi, ni de la part du Kenya, ni de World Athletics. L’équité exige d’admettre qu’un manager étranger en peut évidemment garantir tous les actes de son athlète, et que 10 athlètes confondus pour dopage représentent un petit pourcentage du nombre de personnes managées par le groupe Rosa. Mais tout de même, que penser de ces trajectoires fulgurantes, trop souvent de jeunes femmes, proies faciles pour les uns et les autres ???
Analyse : Odile Baudrier
Photo : D.R.