Carl Lewis a retrouvé l’athlétisme, en devenant assistant coach à l’Université de Houston, la ville où il avait débuté sa prolixe carrière l’amenant à neuf titres olympiques.
Dans les mémoires, les images de Carl Lewis se bousculent, tant il a marqué l’athlétisme de son empreinte à travers une carrière riche de neuf titres olympiques, et d’une durée exceptionnelle, s’écoulant entre 1984 et 1996.
Le visage de Carl Lewis aux sélections américaines en 1992 demeure un souvenir encore fort dans ma mémoire. On est en juin 1992, à la Nouvelle Orléans, il n’a terminé que 4ème sur le 200 mètres, et vient de perdre toute chance de sélection dans l’équipe américaine sur le sprint. Même s’il y figure pour la longueur, le camouflet est immense pour le champion du monde et champion olympique en titre. Dans la zone mixte installée sous les gradins du stade Tad Gormley, les journalistes se détournent vite de ce « vaincu », et Carl Lewis se retrouve solitaire à ressasser sa déception et son incompréhension.
Un autre souvenir surgit, il demeure un moment d’anthologie des six Jeux Olympiques auxquels j’ai eu le privilège d’assister. Carl Lewis vient de remporter son 9ème titre olympique, au concours de longueur, et une telle réussite à 35 ans apparaît d’exception et d’une emphase particulière à s’être réalisé sous les yeux de ses compatriotes. La conférence de presse qu’il donne juste après sa victoire demeure l’une des plus intenses vécues, hormis celle d’Usain Bolt lors des Jeux de Londres.
Un rêve éveillé à Atlanta
A Atlanta, l’espace est petit, et vampirisé par la presse du monde entier, excitée par l’exploit de ce « revenant » qu’on n’aurait cru capable d’atteindre un tel niveau, et que Michael Johnson avait ainsi cru bon d’inviter à « passer le témoin ». Carl Lewis lui-même est tellement émerveillé que les sanglots montent dans sa gorge, quand il confie « J’ai l’impression de ne pas m’être réveillé ce matin, d’être encore en plein rêve. »
A cette époque, le cadre des JO est bien moins codifié qu’il ne l’est devenu dans ces deux dernières décades, la presse papier n’est pas encore vampirisée par les télévisions et Carl Lewis va se livrer à cœur ouvert pour une interview fleuve qui durera probablement près d’une heure, dans une ambiance surchauffée par la chaleur régnant dans la salle et par l’ambiance d’exaltation résultant de la sensation de « toucher » du doigt une légende de l’athlétisme. L’Américain a rejoint dans l’histoire de l’olympisme Paavo Nurmi, également détenteur de neuf breloques d’or, et il s’avoue fier de se situer dans la lignée du Finlandais et aussi de Jesse Owens.
L’athlétisme sort de sa vie en 1997
Un bref moment, ce soir-là, dans l’euphorie, Carl Lewis s’imagine même poursuivre encore sa carrière, pour atteindre les JO de l’an 2000, mais ce concours sera finalement son dernier, ce n’est que sur 200 m indoor et 100 mètres qu’on le reverra en 1997, et ces deux compétitions marqueront sa sortie définitive de la piste.
Et même de l’athlétisme, car Carl Lewis se consacre ensuite à de tout autres projets, ambassadeur des Nations Unies à Haïti, danseur pour la version italienne de « Danse avec les stars », candidat malheureux à un poste de Sénateur pour le New Jersey. Son sport de prédilection ne revient dans sa vie qu’au moment des Jeux Olympiques de Londres, où il vit comme un affront le faible niveau l’équipe US, sanctionné par une seule médaille en sprint et longueur. Peu après, Leroy Burrell, avec lequel il a souvent partagé les relais, le sollicite pour qu’il accepte de devenir entraîneur à l’Université d’Houston.
Le retour à Houston pour entraîner des étudiants
Carl Lewis n’hésite pas longtemps, d’abord assistant bénévole en 2013, depuis l’automne 2014, il assume un poste de coach à temps plein, toujours bénévolement, pour un groupe d’étudiants parmi lesquels le fils de Leroy Burrell. Ce choix marque une modification radicale de sa vie. Il a retrouvé l’Université où il a étudié, recruté après son enfance à Philadelphie, la ville où il a passé plusieurs années sous la houlette de son coach réputé, Tom Tellez, et il a ainsi tourné le dos à la Californie où il s’était installé pour évoluer au sein du fameux Santa Monica Track Club, et qu’il avait quittée ensuite pour le New Jersey.
Comme il l’avoue à David Barron, le journaliste de « Houston Chronicle » : « Ce n’était pas prévu sur l’agenda ! » A 53 ans, Carl Lewis renoue avec un entraînement très basique, loin du haut niveau qu’il a adoré… Ce come-back surprenant n’a pas manqué de relancer l’intérêt médiatique autour de cet homme n’hésitant pas à adopter des prises de position radicales.
Carl Lewis dopé en 1988, mais innocenté
Ainsi avait-il semé la discorde en août 2012, utilisant sa position de commentateur sur NBC pour insinuer qu’Usain Bolt se dopait. Ces propos ont beaucoup irrité le Jamaïcain, se révélant volontiers persifleur à l’égard de Carl Lewis, mais elles n’ont pas pris l’ampleur à laquelle on aurait pu s’attendre compte tenu du passé de l’Américain. Car finalement, bien longtemps après l’arrêt de sa carrière, il a été avéré qu’il avait bien été contrôlé positif en juillet 1988, lors des sélections américaines pour les JO de Séoul.
Des révélations à l’initiative de Wade Exum : en 2003, l’ancien directeur du département anti-dopage du Comité Olympique Américain déterre quelques dossiers pour annoncer une centaine de cas de dopage dissimulés par les Etats-Unis entre 1998 et 2000. Parmi eux, le nom de Carl Lewis cité à trois reprises. Celui-ci ne nie pas mais insiste sur le fait que l’éphédrine et peusdoépéphédrine retrouvées dans ses urines n’étaient pas des dopants, et provenaient d’un complément alimentaire, et donc que leur utilisation n’avait été fait que par « inadvertance ».
Le fils surprise de Carl Lewis
Ces informations explosant au grand jour 15 ans plus tard n’ont guère eu d’impact, chez un Carl Lewis alors très éloigné de l’athlétisme. Son retour dans ce monde-là changera-t-il la donne ? Probablement pas, tant ces faits sont lointains.
Pourtant, à nouveau sur le devant de la scène, sa vie se voit une fois de plus passée au crible, et c’est ainsi que mi-février, le grand public découvre son fils, Bakim Lewis, à l’occasion de sa nomination dans le régiment de la 13ème infanterie révélée par le site de l’armée américaine. La stupeur est totale, l’existence de Bakim était demeurée dissimulée jusqu’alors, le nom de sa mère reste inconnu.
Mais fidèle à ses habitudes, Carl Lewis organise de main de maître la communication autour de son fils, et le dédouane de belle manière pour son choix d’une vie de militaire et non pas d’athlète : « La famille Lewis a fait suffisamment pour l’athlétisme. Je lui ai dit de représenter l’Amérique d’une autre manière… »
Texte : Odile Baudrier
Photos : Gilles Bertrand