Les hackers russes de « Fancy Bears » ont accédé aux informations confidentielles détenues par le WADA, et ont commencé à divulguer des éléments sur les AUT, ces autorisations d’usages à des fins thérapeutiques, destinées à permettre aux sportifs de se soigner en utilisant des produits interdits. La méthode est brutale, mais elle lève le voile sur une pratique très répandue et condamnée par les acteurs de la lutte anti-dopage, comme Pierre Sallet, responsable de « Athletes for Transparency », avec une position très claire : « Un AUT est la porte d’entrée la plus facile pour se doper de manière autorisée. »
Y a-t-il tendance à un recours important aux AUT chez les athlètes d’élite ?
Les AUT sont bien évidemment nécessaires : il y a une obligation de soins avec des molécules qui sont intéressantes. Mais j’ai un souci avec les mécanismes d’obtention de ces AUT… Avant d’aller se doper, un sportif utilisera d’abord toutes les substances qui devraient être sur la liste des interdictions, mais qui ne le sont pas. Deuxième point : du côté du dopeur, le meilleur moyen pour être efficace est de détourner les AUT. Et seulement à ce moment-là, il peut commencer à se doper…
Quelles sont les substances qu’il est possible d’obtenir par une AUT et qu’il apparaît plausible d’utiliser pour un sportif de haut niveau qui est normalement en bonne santé ?
Toutes les substances présentes sur la liste des interdictions. Bien évidemment, pour justifier d’une AUT pour certaines substances type EPO, ce sera assez complexe. Un dossier médical complet est à présenter. Mais c’est très facile d’organiser une AUT de figuration, de façon à pouvoir bénéficier du traitement. Les deux classes principales de substance utilisées par les AUT concernent les corticoïdes et les médicaments contre l’asthme, et aussi les produits pour la thyroïde.
Peut-on imaginer une AUT pour la Testostérone ?
Plus on va vers des molécules qui ont vraiment un usage thérapeutique limité, plus il sera difficile d’obtenir une AUT de complaisance. Notamment pour l’Epo, en-dehors d’une pathologie rénale ou cancer, ce serait difficile de le justifier. Là-dessus le système est bien fait.
Quelles sont les doses qui peuvent agir sur la performance ?
Une AUT permet de bénéficier de médicaments qui ont un effet ergogénique sur la performance. Normalement, quand le sportif est malade, l’AUT existe pour lui permettre de se soigner. L’idée est que ça n’apporte pas un gain substantiel par rapport à l’état normal. C’est cela qui est très important : le principe est de prendre une substance qui, au mieux, ramène le sportif à son état normal. Mais l’idée de l’AUT n’est pas de fournir un produit pour améliorer la performance ! Par contre, dans le cas d’une AUT de complaisance, tu es au-delà de ton état normal, et cela a un effet sur la performance.
Le système n’est-il pas assez verrouillé pour éviter les excès ?
Dans la lutte anti-dopage, la difficulté provient toujours de la même chose : du lien entre promotion du sport et lutte anti-dopage. Un athlète international soumet sa demande d’AUT à sa fédération internationale : cela pose des problèmes. Ce sont des problèmes d’indépendance. Il faudrait une structure complètement indépendante qui gère les demandes d’AUT.
Un médecin complaisant, une fausse pathologie
Le système comporte tout de même un examen par une commission pour juger de la validité de la demande.
Oui, il faut fournir un dossier complet. Mais comme pour tout, il existe des moyens de contournement très simples : un médecin complaisant, les données fournies ne sont pas les bonnes, une fausse pathologie est déclarée. Il est aussi possible d’obtenir une AUT pour une substance qui se retrouve dans d’autres médicaments que tu te retrouves ainsi autorisé à utiliser. En fait, le problème majeur vient de l’absence d’indépendance. Ce sont des athlètes qui rapportent des médailles à leur fédération, et cette fédération doit juger de leur aptitude à bénéficier ou pas de cette demande. Dans le passe, on s’aperçoit que des sportifs avaient un nombre élevé d’AUT et les pathologies ont disparu quand ils ont arrêté leur carrière… Si à 11 ans, tu es déjà traité pour un asthme identifié, c’est un élément clef pour qu’à l’âge adulte, tu puisses bénéficier d’une AUT. Si tu as un asthme qui se déclare à 24 ans et 6 mois avant les JO, cela pose question. On ne peut pas dire que ce n’est pas possible médicalement, mais ça pose des difficultés. Surtout, c’est la première porte d’entrée pour améliorer les performances car avant de se doper, on utilise les AUT.
Constates-tu beaucoup de cas ?
Oui, je connais beaucoup de cas. Evidemment. Tu utilises en premier les médicaments qui ne sont pas sur les listes. En deux, tu détournes l’AUT, avec une AUT de complaisance. En trois, tu rentres vraiment dans le dopage avec utilisation des substances qui sont sur la liste.
Pendant les JO, as-tu pu observer chez certains sportifs que leur physique révèle une utilisation de corticoïdes ?
C’est clair et net que dans certaines disciplines, on voit qu’il y a une utilisation. On connaît les effets métaboliques des corticoïdes pris à haute dose, cela amène un morphotype. On voit des gens qui ont toutes les caractéristiques d’un traitement à dose élevée de corticoïdes. Il faut essayer de comprendre la nature de ces traitements, quand tu vois ces gens-là devenir champion olympique. J’ai des exemples très concrets de pathologies asthmatiformes, qui se sont souvent déclarées très jeune, avant que leur carrière de sportif de haut niveau existe. Ces personnes ont des AUT, depuis très longtemps. Le problème est l’utilisation faite par les athlètes des AUT. On pourrait optimiser le système pour limiter les AUT de complaisance.
Peut-on aussi estimer que certaines blessures évoquées par des athlètes sont en réalité un prétexte pour se voir prescrire des médicaments qui seront finalement intéressants pour la performance ?
Il faut avoir à l’esprit que toutes les stratégies sont possibles. Si je prends telle substance, il faut que je me fasse porter pâle. J’utilise les méthodes de contournement qu’on connaît bien, et difficilement contestables car s’agissant d’un médicament, cela est très difficile à prouver. Il y a la complaisance du système, de médecins…
On entend souvent les athlètes expliquer qu’ils utilisent un traitement parce qu’ils sont plus réactifs au pollen ou la pollution, étant souvent dehors pour leurs entraînements. Qu’en penses-tu ?
Si on se base sur les publications scientifiques, il y a des potentialités d’avoir des réactions allergogènes ou des pathologies asthmatiformes. Mais si on regarde le pourcentage dans les études et le chiffre réel, il y a des interrogations. Si dans une population, il y a un certain pourcentage, et qu’on le retrouve chez les sportifs, pas de souci. Mais s’il est multiplié par 5, cela pose question. On n’est plus dans la logique scientifique. Mais les arguments scientifiques ne doivent pas être utilisés pour détourner. C’est encore le manque d’indépendance. Il y a toujours des cas extrêmes, mais il faut raisonner sur la masse, et garder l’idée de cas particuliers Moi, je vois clairement des carences dans le système. Les limites sont vite atteintes….
- Interview réalisée par Odile Baudrier
- Photo : D.R.