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Le déficit de la FFA, le dérapage de l’enthousiasme

L’Assemblée Générale de la FFA de fin avril a créé sensation en refusant de voter le budget 2016, et un nouveau vote est programmé début juillet. Cette situation inédite survient alors que le budget 2015 affichait un déficit de plus de 1 million d’euros, et que l’équilibre du budget 2016 reposait sur une augmentation importante des cotisations des licenciés. Christian Roggemans, trésorier de la FFA depuis près de 20 ans, analyse en détails ce dérapage et les perspectives 2016.

France Europe 19

Quelle est votre analyse sur le déficit du budget 2015 ? Vous paraît-il important compte tenu du budget global ? Comment a-t-il pu apparaître ?

Le déficit est d’un peu plus de 1.1 million d’euros, sur un montant de dépenses de 23.6 millions. C’est tout à fait relatif. Il aurait mieux valu que nous n’ayons pas ce déficit. Mais je considère que nous sommes dans un plan de développement qui multiplie les actions, ce qui fait que par envie, on engage des dépenses pour voir des rendus positifs. Il n’en demeure pas moins que cette année a été marquée par un certain nombre de difficultés, au niveau de l’équilibre du championnat d’Europe de cross, avec un gros déficit, tout de même inférieur à celui qui aurait été connu si l’organisation avait été maintenue à Paray le Monial. Le déficit a été réduit de 200.000 euros, mais il reste encore 200.000 de déficit. On a le Décanation qu’on n’a pas pu placer ailleurs qu’à Paris, où on a un manque de réactivité des collectivités locales, qui nous aident par ailleurs, mais sur le Décanation, ce n’est pas possible, et aussi sur Charlety, on constate une désaffection du public, le stade n’est rempli qu’à 50%. Nous avons eu aussi des problèmes inhérents aux sélections de Pékin, avec plus de dépenses que prévu. Et nous avons aussi un dépassement de la masse salariale.

Concernant les évènements, avez-vous votre mot à dire ? Par exemple sur le Décanation, le trésorier a-t-il un peu de poids pour interroger sur le maintien d’une opération aussi déficitaire ?

A priori, on fait toujours attention. Je travaille avec les équipes événementielles de la Fédération. L’année précédente, on avait eu des dépassements de dépenses très raisonnables de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros. Là, on a dépassé de beaucoup. Mais quand c’est lancé, c’est lancé ! Pour le Décanation, on a des conventions avec des pays étrangers, et ça la fiche mal de devoir renoncer. Sur le Championnat d’Europe, c’était lancé, on a réussi à trouver une solution derrière Paray Le Monial qui n’a pas été sans poser de problèmes, auprès des bénévoles qui s’étaient investis, et pour retrouver auprès du CD du Var les subventions nécessaires.

Estimez-vous que les procédures de contrôles en cours d’année sont suffisantes ? Est-ce que le déficit n’aurait pas dû être anticipé ?

Au mois de juin, on avait vu qu’on était en route pour déraper. On s’est focalisés pour se recentrer sur les points mentionnés. Pour chaque action, c’est petit, mais l’accumulation des petits dépassements amène ce déficit. Il faut aussi noter qu’au niveau des recettes, on n’a réalisé que 400.000 euros de moins. On avait basé nos recettes sur les excellents résultats de Zurich, on était au bord de les réaliser et on n’a pas réussi.

En tant que trésorier, êtes-vous frustré d’une telle situation ?

Je serai frustré si j’estimais avoir une responsabilité première. Mais là, je ne pense pas. Si j’analyse bien, c’est un réemploi de réserves. On est toujours dans une situation positive au niveau du report à nouveau. La Fédération est propriétaire de son immeuble à Charléty, elle ne doit plus rien, il y a 1200 mètres carrés de bureaux, cela vaut quelque chose !

Vous avez été trésorier pendant 4 mandats. Ce mandat a-t-il été le plus difficile ?

Ce mandat a été difficile. J’en avais connu un autre, en 2011, avec deux organisations internationales, les Championnats d’Europe à Bercy, et les Championnats du Monde cadets à Lille, où on avait fait un déficit de 550.000 euros. Par contre, l’année suivante, on avait récupéré un excédent de 600.000 euros.

Lors de l’assemblée générale, le budget 2015 a été voté, avec ce gros déficit. Et le point d’achoppement est venu sur le budget 2016. Comment l’expliquez-vous ?

Juridiquement, c’est la situation. Ma présentation du budget 2016 au Bureau n’a fait l’objet d’aucune question. Les gens se sont focalisés sur l’augmentation de la cotisation 2016, qui fait partie des recettes de la Fédération, mais que je n’avais pas présenté, puisqu’il s’agit d’une compétence du Comité Directeur. C’est à l’occasion de ma présentation que quelqu’un est intervenu sur l’augmentation des cotisations, et c’est là-dessus que ça s’est bloqué.

Quels sont vos outils de suivis au quotidien ?

On a un logiciel comptable, on a une procédure d’engagement des dépenses, et en principe, chaque responsable de secteur doit suivre son budget.

Quelles sont vos relations avec le Ministère des Sports ?

On travaille essentiellement par internet. Je rencontre le Directeur des Sports au moment de la convention. Ils posent des questions, on y va avec le DTN, le Président, le Secrétaire. C’est parfois hard !

Vous battez-vous souvent avec vos collègues du Comité Directeur sur les choix budgétaires ?

Très rarement.

Même si vous savez que leurs choix vont peser sur votre budget ?

Très souvent dans cette maison, on constate des opérations qui sont réalisées et dont j’ai connaissance après…. C’est un problème !

Quels types d’opérations ?

Cela concerne tous les secteurs. La communication. L’événementiel. Les stages au niveau de la DTN. Les compétitions internationales. A partir du moment où c’est lancé et où on arrive sur quelque chose de médiatiquement présentable et qui ne souffre pas de critiques hormis l’aspect budgétaire, cela donne une image de marque qui nous semble positive au niveau de ce qui est constaté dans la presse. Mais l’aspect médiatique n’est pas comptablement pris en compte.

Avez-vous été en désaccord avec certains choix qui vous ont pesé ensuite ?

A 97-98%, je suis d’accord avec les choix, et les 2% , j’ai une opinion personnelle.

Le budget 2016 qui sera présenté début juillet est-il vraiment recalé ?

Le budget présenté en avril était de 22.2 millions. Compte tenu de la modification des cotisations, le budget est maintenant de 22.07 millions. On a déjà 1 million de moins. A noter que pour l’année 2016, on a la disparition d’un partenaire principal, pour 1.5 millions.

L’année 2016 est déjà bien engagée, et le budget n’a toujours pas été voté. Comment pouvez-vous fonctionner ?

Ca fonctionne sur les 12èmes par rapport à l’année précédente. Comme on avait réduit de façon drastique les dépenses 2016, on suit en fait le budget qui avait été présenté pour que ça ne dérape pas. Le danger maintenant sera le trimestre à venir, avec les compétitions internationales…  Pour le moment, je n’ai pas constaté de dérapages. Mais nous aurons les JO, les championnats d’Europe, les championnats du monde juniors, les championnats d’Europe cadets, le Décanation à Marseille, et le meeting de Paris.

C’est donc le trimestre de tous les dangers ?

C’est le trimestre où tout peut arriver. On s’est mis en branle.

Cela veut dire que vous avez lancé des avertissements à tout le monde ?

Tout le monde est bien averti de la situation. Je constate que le suivi est plus sérieux cette année que l’année dernière.

Le dérapage sur les salaires (dépassement de 225.000 euros) apparaît surprenant car en principe, les embauches se font si un financement existe ?

Ce n’est pas un problème d’embauche. C’est un problème de débauchage. Un des cadres de la Fédération (*) nous a quittés, dans le cadre d’une rupture conventionnelle, ce qui a un coût. Il y a eu quelques petites embauches au niveau du plan de développement.

Et le dérapage sur les frais généraux, (128.000 euros) comme sur les frais de téléphone, comment s’explique-t-il ?

A priori, c’est maîtrisé. On parle du train de vie de la fédération. Si on regarde le coût du fonctionnement du Comité Directeur, des assemblées générales, de toutes les commissions, c’est environ 450.000 euros. Pour environ 200 personnes mobilisées. Je n’estime pas que c’est un train de vie énorme. 450.000 euros sur un budget de 22 millions, c’est peanuts. Ceux qui parlent de ça, ce sont des gens qui n’y connaissent rien.

Pour vous, le point déterminant dans ce déficit vient donc des compétitions internationales ?

Il vient de tous les secteurs de la fédération. On arrive à des dépassements, car il y a un enthousiasme des équipes à réaliser des opérations.

On pointe aussi du doigt dans ce budget les stages car les dépenses sont majeures (883.000 euros). Quel est votre point de vue ?

On ne peut pas dire que ce soit majeur. La fédération est là pour faire faire du sport. L’image de marque de la Fédération vient des Equipes de France. Il faut absolument qu’on cultive l’entraînement des athlètes et le collectif. Puisqu’on peut remarquer que depuis Barcelone, les résultats des équipes de France, de cadets à seniors, s’appuient sur un collectif solidaire. Il faut bien qu’à un moment donné, qu’on fasse des stages.

Estimez-vous que les aides individuelles sont à la hauteur du budget global ?

Elles reposent essentiellement sur les aides du Ministère qui passent par le CNOSF. C’est géré par la DTN, et cela n’apparaît pas dans le budget. La ligne aides individuelles qui figure dans le budget (750.000 euros) correspond aux sommes versées à la ligue Pro. On a aussi un peu de suivi social.

Finalement, pour l’équilibre de ce budget 2016, quel est votre souhait ? Qu’il y ait beaucoup de qualifiés aux évènements internationaux ou peu ?

J’ai fait une intervention hier au Comité Directeur en disant que le 3ème trimestre sera celui de tous les dangers, et qu’il est hors de question dans ma vision des choses qu’on réduise des sélections pour des raisons financières. On n’est pas là pour maltraiter les athlètes.

Que savez-vous des perspectives au niveau des partenariats ?

Il y a des choses qui se profilent pour 2017. En fait en 2016, on se retrouve à la fin de contrats. Pour le 2ème partenaire important de la fédération, c’est reconduit jusqu’en 2020. Et il semblerait qu’une majorité des partenaires actuels envisage de reconduire leur engagement sur  la prochaine olympiade.

Entretenez-vous un relationnel avec les autres membres du Comité Directeur pour les inciter à calmer le jeu sur le plan financier ?

Je travaille dans la transparence la plus totale. Mais ce ne sont pas les membres du Comité Directeur ou des Commissions qui me posent problème. A 450.000 euros par an, ce n’est pas là qu’on va faire des économies !

Et les cadres techniques ? Est-ce compliqué de leur expliquer qu’il ne faut pas trop dépenser ?

Non. Après une période d’enthousiasme l’an dernier, ils sont rentrés avec beaucoup plus de sérieux. Ils ont compris qu’on ne va pas mettre en danger leur activité.

Le nouveau budget 2016 sera représenté la semaine prochaine. Quelles sont les modifications apportées ?

Il y a des modifications, puisque le montant des cotisations diminue. Cela impacte sur environ 200.000 euros. On les a trouvés sur deux postes, l’activité de la DTN après les JO, pour 100.000 euros, et sur le conventionnement des Ligues pour développer la politique fédérale. On a décidé d’arrêter cette opération en l’état, pour les ligues n’ayant pas encore adhéré, ce sera pour l’année prochaine. Cela donne encore 100.000 euros. Et on ajoute aussi les frais du comité directeur et de cette assemblée générale supplémentaire, qui sont d’environ 40.000 euros.

Cela signifie que les cotisations des licenciés ne vont plus augmenter ?

Elles augmentent de 26.78 à 28 euros si cela est accepté par l’Assemblée Générale. Et on verra ensuite.

Pensez-vous que ce budget sera accepté sans difficulté cette fois ?

Pour moi, j’ai bon espoir. Je pense que les délégués à l’AG qui ont eu une réaction saine au niveau des cotisations ne peuvent pas bloquer la fédération, car ce serait la marque que ceux qui bloquent n’en ont finalement rien à faire de la fédération et qu’ils agissent par intérêt personnel.

Vous estimez tout de même que ce refus du budget était pour donner un petit coup de semonce ou bien que c’était déplacé ?

Moi, je m’attendais au rejet. Ce n’est pas ma position qui avait été adoptée. Je n’ai pas été surpris. J’ai toujours dit qu’on irait dans le mur avec l’augmentation de la cotisation. On m’avait expliqué en long en large et en travers que ce n’était pas vrai. On arrive maintenant à une proposition pour les cotisations qui correspond à celle que j’avais faite en janvier.

Vous estimiez que l’augmentation demandée aux licenciés était trop importante ?

Oui. Même si on m’a expliqué que cela fait moins d’un centime par jour….

> Interview réalisée par Odile Baudrier

> Photo : Gilles Bertrand

(*) Jean Gracia, le secrétaire général de la FFA, qu’il a quitté pour l’IAAF

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