Le cas d’Anouar Assila a inspiré le montage de la défense de Clémence Calvin. L’athlète du Mans avait été relaxé après avoir été accusé de soustraction à un contrôle en 2016, avant d’être finalement suspendu pour irrégularités de son passeport biologique début 2018. Les avocats de la jeune femme veulent faire le parallèle entre les deux affaires, que beaucoup d’éléments différencient pourtant. Et cet angle sera particulièrement difficile à conserver après la découverte d’ordonnances vierges au domicile du couple Calvin-Dahmani…
Un cas Assila Bis. C’est l’idée sous-jacente à la défense construite par l’avocat de Clémence Calvin. Pour la bâtir, ses collaborateurs se sont rapprochés d’Adrien Bouvet, qui avait été l’avocat d’Anouar Assila en 2016. Pas du tout par hasard, admet-il en expliquant qu’Anouar Assila et Samir Dahmani se connaissent, et qu’Anouar Assila a pris contact dès que l’affaire du contrôle de Clémence Calvin a été connue : « Anouar a trouvé qu’il y avait des similitudes avec son cas.».
Et des similitudes, il y en a quelques-unes que l’Adrien Bouvet énumère. D’abord le motif de l’action engagée, celui d’une soustraction à un contrôle anti-dopage. Ensuite les acteurs, avec dans les deux cas, Damien Ressiot et Olivier Grondin. Enfin, la théorie d’une usurpation d’identité par Damien Ressiot, le directeur des contrôles de l’AFLD. Avec comme conclusion, une demande de relaxe pour non respect de la procédure.
Adrien Bouvet a ainsi fourni tous les détails aux collaborateurs de Maître Péricard sur sa manière de bâtir la défense de son protégé, sur les éléments justificatifs fournis par Anouar Assila pour contrecarrer l’accusation de soustraction. Avec à la clef pour le coureur du Mans, une première relaxe par la FFA en avril 2016, puis par l’AFLD en février 2017. Pour finalement se voir suspendu pour quatre ans au début 2018 pour des irrégularités à son passeport biologique qui remontait à 2014 !
Une affaire Assila très compliquée
Les plus « anciens » se rappellent de cette affaire Assila, très compliquée par son contexte. Un préleveur AFLD, Olivier Grondin, s’était présenté le matin chez Anouar Assila, sans pouvoir le rencontrer, son épouse affirmant qu’il était absent du domicile. Le soir même, un autre préleveur AFLD, M. Roelly, avait intercepté Anouar Assila à sa sortie de voiture pour lui signifier son contrôle, avant qu’il ne s’enfuie vers sa maison. D’où l’accusation de soustraction. Mais Anouar Assila allait affirmer qu’il n’était pas l’homme interpellé par le contrôleur, qu’il s’agissait en réalité de son ami, Nourredine Ariri, et que lui-même était absent, à l’étranger, ce jour-là.
L’affaire basculait par la faute de deux éléments. Le premier, le fait que pour savoir si Anouar Assila était bien chez lui, Damien Ressiot avait eu la mauvaise idée de se faire passer pour un photographe auprès de Philippe Simier, le Président du Club d’Assila. Le deuxième, la parution dans la presse d’une interview de Michel Marle, le patron de la commission anti-dopage de la FFA, qui présentait Anouar Assila comme coupable alors même qu’il n’avait pas encore été jugé. C’est à la faveur de cette embrouille qu’Anouar Assila bénéficiait de la relaxe.
C’est évidemment l’idée de cette usurpation d’identité qui sous-tend l’argumentaire de Clémence Calvin, affirmant que les préleveurs AFLD s’étaient présentés à elle à Marrakech, comme des policiers français. Avec en accusés, Damien Ressiot et Olivier Grondin…. Mais au Mans en 2016, Olivier Grondin n’était pas le préleveur clef, celui qui avait affirmé avoir vu Anouar Assila fuir devant lui. Et le dérapage de Damien Ressiot sur son identité n’était pas de l’envergure d’usurper une fonction policière.
Mais surtout, en final, l’élément décisif dans cette affaire avait été celui de la prise de parole publique de Michel Marle, qui avait conduit à l’annulation de son témoignage, qui expliquait qu’Anouar Assila était bien chez lui, comme le lui avait avoué Philippe Simier, mais qu’il avait refusé d’ouvrir pour avoir absorbé des corticoïdes….
Les fausses ordonnances, le cas Desaulty
Les divergences avec le cas Assila apparaissent ainsi fort nombreuses. A Marrakech, ce n’est pas un seul préleveur qui s’est présenté, mais trois personnes. Un trio qui avait beaucoup à perdre à utiliser la fausse fonction de policiers, surtout à l’étranger. Comme Mathieu Teoran, le secrétaire de l’AFLD, l’a expliqué au micro de France Télévisions : « Quel était l’intérêt pour les préleveurs de se présenter comme des policiers avec le risque de rendre irrégulière la procédure ? »
La prise de parole médiatique de l’AFLD a été très peu prolixe, à l’opposé de celle de Clémence Calvin. Une stratégie voulue pour éviter de dévoiler des éléments à la défense de la jeune femme. La règle n’est pas différente à l’Athletics Integrity Unit, où l’un de ses experts me souffle : « C’est mieux de ne pas parler. On ne montre pas son jeu à la partie adverse ».
Et un sacré atout est apparu en ce lundi 29 avril, avec la révélation par l’Equipe, que la perquisition conduite dans la maison du couple Calvin-Dahmani le vendredi 13 avril, a mené à la découverte de médicaments susceptibles d’évoquer la prise de produits dopants, mais surtout d’ordonnances vierges… Un élément évidemment très à charge, par la facilité de se procurer ainsi tout produit illicite.w
Ce volet ramène sur le devant de la scène une autre affaire, celle de Stéphane Desaulty, qui avait été accusé d’avoir utilisé de fausses ordonnances, fabriquées avec l’aide d’un imprimeur, et qu’il avait ensuite utilisées pour se procurer de l’EPO dans plusieurs pharmacies. Le steepler, qui n’a en fait jamais été contrôlé positif, avait été suspendu deux ans de compétition, et condamné par la justice à quatre mois de prison avec sursis pour faux et usage de faux.
Stéphane Desaulty a été l’un des rares athlètes français suspendus à avoir accepté de reconnaître leur pratique dopante, et il n’a pas hésité depuis quelques années à témoigner de sa dérive passée et de ses conséquences sur sa vie pour mettre en garde les jeunes athlètes. Tout récemment, il s’était engagé à Marseille dans un généreux projet de réinsertion par le sport de SDF, avec l’ambition de ramener dans la course à pied ces hommes, qui vivent au quotidien dans la rue, dorment dans des cages d’escalier, ou à l’Armée du Salut.
Stéphane Desaulty était justement présent à l’arrivée du Marathon de Paris. Il n’avait pas dissimulé sa colère à voir Clémence Calvin disputer le marathon, et il avouait qu’il aurait souhaité que la FFA prenne une mesure conservatoire à la fois pour protéger la présomption d’innocence de l’athlète, et l’image et l’éthique du sport. Et il avait aussi insisté sur le fait que si Clémence Calvin n’avait rien à se reprocher au sujet du contrôle raté, elle aurait dû dès le lendemain se rendre aux autorités anti-dopage pour effectuer des prélèvements. Autant d’éléments propices à alimenter certains doutes…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : Gilles Bertrand