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L’anti-dopage à la peine à quelques jours des JO d’hiver

Le Tribunal Arbitral du Sport a infligé un désaveu cinglant au CIO en annulant les suspensions à vie de sportifs russes, mis en cause pour des faits de dopage. Un coup dur pour la lutte anti-dopage, en difficulté sérieuse aussi par les révélations sur le manque de fiabilité des flacons destinés à recueillir les échantillons des sportifs présents aux JO de Pyeongchang.

 

DOPAGE C

« The mess ». L’expression apparaît moins vulgaire en anglais qu’en français. Ces deux mots à traduire par « Le bordel » résument bien la situation dans l’anti-dopage, et à quelques jours seulement du début des Jeux Olympiques d’hiver.

Les mauvaises nouvelles se sont succédées cette semaine. Le lundi 29, une première alerte retentit. A la manœuvre, Hajo Seppelt, et son nouveau documentaire « La comédie olympique ». Le journaliste allemand y démontre que les flacons Berlinger, utilisées pour recueillir les échantillons des sportifs présents aux JO, s’ouvrent et se referment très aisément, et que la manipulation ne laisse aucune trace visible. La confirmation en deux temps et trois mouvements, et devant les caméras, que les manipulations reprochées aux Russes peuvent être aisément répétées.

L’Agence Mondiale Anti-Dopage ne s’attendait pas à ce mauvais coup, même si cette information sur le manque de fiabilité des flacons lui avait été en réalité rapportée dès la mi-janvier par le laboratoire de Cologne. La panique est totale, et le mercredi 31 janvier, l’AMA invite l’organisation des Jeux Olympiques de Corée à ressortir les flacons de 2016… Une bonne idée ? Pas si l’on en croit Hajo Seppelt et son équipe, qui a démontré que les manipulations invisibles sont aussi faciles à effectuer sur les bouteilles Berlinger utilisées lors des JO de Rio, que sur celles qui devaient l’être pour les JO de Pyeongchang…

Le TAS hostile au CIO et à l’AMA

A peine cette secousse encaissée que débarque un tremblement de terre puissance 10.  Le jugement du Tribunal Arbitral du Sport tombe ce jeudi 1er février. A l’avantage de 28 sportifs russes que le CIO avait interdit de compétition à vie. Le TAS annule purement et simplement cette suspension et la suppression de leurs médailles conquises lors des JO de Sotchi. Le motif invoqué par le Tribunal de Lausanne ? L’absence de preuves du dopage des différents sportifs, qui avaient été sanctionnés en raison du dopage « institutionnalisé » de la Russie.

La surprise est totale, tant il apparaissait peu crédible que le Tribunal Arbitral du Sport s’oppose ainsi au CIO et à l’AMA. Jusqu’alors, l’instance avait toujours semblé « à la botte » de ces deux structures. Sa volonté d’indépendance se produit au plus mauvais moment, à seulement 8 jours du début des Jeux Olympiques. Les réactions négatives se succèdent chez tous les acteurs de l’anti-dopage, alors qu’à Moscou, la jubilation est immense de ce bon tour joué. Vitali Moutko, vice-premier ministre chargé des sports, mis en cause dans ce système étatique de dopage, se réjouit de conclure que les « accusations du rapport McLaren ont été démenties ». Là encore sous l’œil des caméras, le Conseil des Ministres étant retransmis en direct par la télévision russe…

Un appel devant le Tribunal Fédéral Suisse

Le choc apparaît énorme jusqu’au CIO. La première réaction est celle de répéter que ces sportifs ainsi « blanchis », n’ont pas pour autant un droit automatique de participer aux JO de Pyeongchang, puisque les 168 Russes évoluant sous maillot neutre en Corée ont été spécialement choisis par le CIO. Mais les propos belliqueux des officiels russes laissent augurer de poursuites devant les Tribunaux pour obtenir une sélection spéciale des 28 sportifs concernés. Dès le vendredi 2 février, le CIO annonce contester cette décision devant le Tribunal Fédéral Suisse, l’ultime instance susceptible de trancher dans ces cas.

La consternation ne peut qu’être totale à imaginer que ces sportifs ont reçu une médaille à Sotchi en 2014, l’ont perdue en ce mois de décembre 2017, puis la retrouvent en février 2018. Leurs concurrents, déjà spoliés en 2014, ont cru durant quelques semaines que la justice sportive existait. Mais les juges du Tribunal Arbitral du Sport ont fait pencher la balance. Dans un état d’esprit étonnant, qu’explicite Matthieu Reeb, le secrétaire général : « Cela ne veut pas dire que les 28 athlètes sont déclarés innocents. Mais les preuves étaient insuffisantes… » Une injure faite au travail des membres des commissions Oswald et McLaren, et à tous les acteurs de l’anti-dopage…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : D.R.