La nouvelle loi anti-dopage française est-elle valable ? La question s’est posée suite à sa non ratification par le Parlement. Avec en filigrane, l’idée d’une porte de sortie ouverte à Clémence Calvin, dans l’attente de sa sanction suite à son refus de contrôle. L’AFLD conteste complètement cette analyse, et la jeune marathonienne verra prochainement son sort statuer par la commission des sanctions.
Texte : Odile BAUDRIER
Les arguments juridiques demeurent l’arme la plus redoutable pour échapper à une accusation de dopage. Les exemples foisonnent. L’affaire « Calvin » offre une nouvelle démonstration du nombre important de failles susceptibles d’amener à une remise en cause d’une future sanction suite à son refus de contrôle, et il est certain que cette affaire apparaît comme l’une des plus singulières de la lutte anti-dopage.
Par le contexte de ce contrôle, effectué au Maroc, par l’AFLD elle-même, tout nouvellement autorisée à se déplacer à l’étranger. Par la version très outrancière présentée par la jeune femme, affirmant avoir été brutalisée et trompée par des agents se présentant comme des policiers. Par son extrême maestria médiatique, l’amenant sur les plateaux télé, offensive et pleine d’assurance. Par la décision très inédite du Conseil d’Etat, l’autorisant à prendre le départ du marathon de Paris, au motif qu’elle n’avait pu présenter le moindre argument de défense face à la suspension provisoire prononcée par l’AFLD. Par sa réussite durant cette épreuve, qu’elle abordait avec une pugnacité intacte, l’amenant à l’arrivée avec un nouveau record de France (*). Par sa nouvelle requête devant le Conseil d’Etat, pour obtenir une nouvelle levée de sa suspension provisoire, pour des raisons financières, et cette fois rejetée.
Et le feuilleton n’en finit pas de se dérouler sous nos yeux ébahis de tant de rebondissements. Avec maintenant un épisode très étonnant, celui de la remise en cause de la légitimité de la nouvelle loi qui régit en France le code du sport, et en particulier des aspects liés à l’anti-dopage.
Une porte de sortie pour Clémence Calvin ? Non
Une rumeur courait depuis la fin juillet autour d’un problème d’homologation de cette loi, mais les aspects techniques propres au droit public s’avéraient si complexes à appréhender dans leur globalité qu’il apparaissait délicat de faire état de cette situation, avec en filigrane, la possibilité d’offrir une porte de sortie à Clémence Calvin.
C’est finalement Libération qui a choisi en ce 11 août de faire état de certains manquements dans le cadre juridique de la réforme du code du sport. Avec en ouverture cette question dérangeante : « Et si l’affaire Clémence Calvin s’effondrait pour vice de procédure ? » Et le lendemain, même credo du côté de l’Equipe, où le titre est carrément plus outrancier : « La procédure anti-dopage contre Clémence Calvin bientôt annulée ? ».
En cause l’imbroglio que connaîtrait la ratification de l’ordonnance du 19 décembre 2018, qui transpose donc le code mondial anti-dopage pour la France. Et c’est cette ordonnance qui n’aurait pas été ratifiée dans les délais par le Parlement. D’où le risque supposé d’une remise en cause de la procédure lancée contre Clémence Calvin.
L’ordonnance est bien valide, explicite l’AFLD
Mais pour l’AFLD, qui a réagi par un communiqué de presse ce 14 août, les choses sont parfaitement en ordre : l’ordonnance a été habilitée le 19 décembre 2018, dans le délai prévu par la loi du 26 mars 2018, soit 9 mois, et le projet de loi de ratification a été déposé dans les 3 mois suivant la publication de l’ordonnance, soit le 6 mars 2019. Il reste maintenant effectivement à obtenir la ratification de l’ordonnance par le Parlement, ce qui apparaît une simple formalité compte tenu de la majorité présidentielle actuelle. Et selon l’AFLD, la seule contestation possible serait celle de remettre en cause la constitutionnalité de l’ordonnance, ce qui exigerait un sérieux argumentaire auprès du Conseil d’Etat.
Or, selon nos informations, l’avocat de Clémence Calvin aurait déjà inventorié cette possibilité de légitimité de l’ordonnance auprès du Conseil d’Etat, mais l’instance ne l’aurait en fait pas examinée avant de la suspendre.
En tout état de cause, la procédure aurait pu être, au pire, « retoquée » pour qu’elle respecte l’ancienne méthode, à savoir une sanction prononcée par la FFA, comme c’était le cas dans le passé. Et c’est d’ailleurs la réponse formulée par Maître Péricard auprès de l’Equipe, au moment où sa cliente s’est installée pour quelques semaines à Font Romeu, très occupée à y meubler les deux appartements que le couple Calvin-Dahmni y possède.
Manoeuvre politicienne ou anti-AFLD ?
Alors, beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? Très certainement, même si les interprétations juridiques diffèrent d’un expert à l’autre. Ouf, souffleront les partisans de l’anti-dopage, qui s’interrogent aussi sur ces interrogations très déstabilisantes. Alors, manœuvre politicienne ou anti-AFLD ? Les opinions divergent. Avec une seule certitude : cette affaire multiplie les mini-séismes et durcit le contexte de travail pour l’AFLD.
Il était acquis en début d’année que les réformes entreprises par l’Agence française comportaient une indéniable part de risque, avec surtout le changement radical d’organisation des contrôles, effectuée maintenant par sport et non plus par interrégion. La disparition des CIRAD, la contestation des préleveurs, les problèmes autour du déménagement du laboratoire de Châtenay Malabry, apparaissaient de grands obstacles à maîtriser pour que la lutte anti-dopage ne soit pas pénalisée.
Mais finalement, c’est l’affaire Calvin qui a largement malmené l’agence par ses rebondissements incessants et d’une grande ampleur médiatique…
Texte : Odile BAUDRIER – photo Gilles BERTRAND