Iten au Kenya est devenu une destination culte pour l’entraînement en altitude au contact des meilleurs coureurs du monde.
L’histoire des camps d’entraînement…cela remonte à près de 50 ans. Peu avant les Jeux Olympiques de Mexico, on parquait déjà dans quelques baraquements sommaires quelques trouffions, futurs portes drapeaux. Les objectifs étaient clairement définis par la haute hiérarchie d’un Etat seulement indépendant depuis décembre 1963 : vous êtes des soldats, vous êtes nos ambassadeurs, vous devez vaincre.
La formule moderne des camps d’entraînement remonte quant à elle au milieu des années 90. Les premiers sponsors sont déjà là, les premiers managers aussi, la plupart des idéalistes dont l’anglais Kim Mc Donald qui fut un visionnaire. Enfin les premiers coureurs européens osent ce grand voyage. Ce sont des baroudeurs, des aventuriers. Ils ne craignent pas cette route montagneuse et ses embûches pour rejoindre Nyahururu où est implanté le camp de Moses Kiptanui. Ils ne redoutent pas de dormir à la dure dans de modestes hôtels où les repas sont frugaux à base d’ugali et de chapatis. Portés par le désir de comprendre, d’interpréter, d’analyser ce bien rare qu’est la haute endurance.
Des centres d’entraînement de ce genre, des dizaines se sont formés, Eldama Ravine, Kabarnet, Kapsabet, Ngong, Eldoret, Iten, tous pour la plupart créés par des athlètes retraités ou non, investissant dans le dur, sorte de motels à la kenyane, plus ou moins rustiques, pour accueillir ces travailleurs immigrés du monde rural en quête eux aussi d’endurance et d’un hypothétique passeport pour le succès. Quelques shillings pouvaient suffire, pension complète ou non. Alors que pour les plus démunis, arrivant la misère au ventre, il s’agissait de trouver refuge chez une parenté pour se greffer sur un groupe. Les points de ralliement y étaient simples : le matin au chant du coq, en matinée sur la cendrée défoncée pour la séance lactique, le soir aux abords de la ville pour un footing au train sur ces longues allées brodées d’eucalyptus.
C’est échanger une simple poignée de main, plus encore c’est désirer partager un verre de thé si sucrée
Aujourd’hui, la place forte de l’entraînement d’altitude au Kenya, c’est Iten. Là aussi, un premier centre fut installé début des années 2000. Rien de plus qu’un hôtel où l’eau chaude coule au robinet et où la salade de crudités peut se manger sans risque de tourista. Ce gros bourg situé à 20 kilomètres d’Eldoret en direction de la grande cassure formée par la Rift Valley, abrite également la célèbre école où Brother Colms a déniché et formé tant et tant de coureurs dont le plus doué d’entre eux n’est autre que David Rudisha, le recordman du monde du 800 mètres.
Ainsi Iten est devenu, à 2400 mètres d’altitude, un Boulder à l’africaine. Des hôtels ont complété l’offre de séjour, des coureurs y ont investi une partie de leur gain, une économie de la course à pied s’y est développée, le dernier gros investissement le prouvant, le centre de Lornah Kiplagat, championne du monde de cross en 2007, le maillot hollandais sur les épaules, un vrai centre aux normes occidentales avec piste en tartan, le HATC, où tout est organisé pour que coureurs et triathlètes puissent s’entraîner et séjourner en toute sécurité.
Même si des centaines de coureurs du monde entier y séjournent, entreprendre un tel voyage reste une aventure. Car c’est un choc de franchir la grande arche qui barre la route d’Eldoret et qui vous souhaite le welcome. Voyage initiatique pour nombreux d’entre eux, séjour presque monastique pour certains, un stage à Iten, c’est espérer trouver l’inspiration. Tout a été dit, tout a été écrit, tout a été filmé mais rien ne remplace ce contact charnel avec la terre, avec ces hommes et femmes que l’on croise dans le froid des petits matins. Les mêmes que l’on retrouve assis à discuter, à tuer le temps, souvent timides, secrets, réservés. Les mêmes encore que l’on peut admirer sur la vieille piste d’Iten à enchaîner des séries meurtrières. David Rudisha, Asbel Kiprop, certains de ceux capables d’approcher les 2h 02’. C’est oser mettre un pied dans leur ombre, à l’école de l’endurance et du fartleck. C’est échanger une simple poignée de main, plus encore c’est désirer partager un verre de thé si sucré que les coureurs kenyans affectionnent tant.
Alors d’Iten on en revient meilleur ? Pas toujours. Mais qu’importe, il faut en retenir l’essentiel, l’ouverture sur les autres. Pour mieux se comprendre et mieux s’accepter.
> Texte et photo : Gilles Bertrand