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Fouad Chouki, « je n’ai pas de regrets»

Fouad Chouki a été l’un des demi-fondeurs les plus talentueux de sa génération dans les années 1995-2003, réalisant 3’30’’83 sur 1500 mètres en 2003 avant de connaître un contrôle positif à l’EPO. Le Strasbourgeois niera longtemps avant d’admettre les faits de dopage. Après sa suspension, Fouad Chouki fera à nouveau parler de lui pour plusieurs affaires judiciaires. Maintenant à 38 ans, papa d’une petite fille de 16 mois, Fouad Chouki assure avoir tourné la page de ce passé tumultueux, et refuse de sombrer dans les regrets.

 

Fouad Chouki

Fouad Chouki à Strasbourg lors de l’entretien (photo Gilles Bertrand)

Le visage a vieilli, quelques kilos se sont ajoutés, la barbe est naissance, mais Fouad Chouki n’a pas tant changé depuis ce mois d’août 2003, date de notre dernière rencontre.  C’était juste avant le début du Championnat du Monde de Paris. Quelques jours plus tard, il sort sous nos yeux sur une civière du Stade de France, après sa finale du 1500 mètres où il finit 8ème. C’est ce jour-là qu’il est contrôlé positif à l’EPO, et que sa vie bascule. Longtemps, le Strasbourgeois nie tout recours au dopage avant d’admettre sa dérive dans un livre « Ma course en enfer » publié en 2010, où il dévoile les raisons qui l’y ont poussé. Il révèle même les noms des personnes l’ayant épaulé dans cette démarche, dont son entraîneur Hassan El Idrissi. Par la suite, Fouad Chouki fera aussi les gros titres à plusieurs reprises pour des affaires judiciaires, le viol d’une adolescente en 2004, une affaire d’extorsion et de vol avec arme en Allemagne en 2008, qui se concluront toutes les deux par un non-lieu, puis plus récemment une mise en cause dans un trafic de stupéfiants? Il connaîtra à plusieurs reprises la prison.

C’est sans hésiter que Fouad Chouki a accepté de nous rencontrer dans sa ville de Strasbourg, pour se livrer sans retenue sur son parcours difficile. L’ex-athlète prend à peine le temps de s’asseoir à la terrasse d’un café de Petite France pour commencer à raconter son dopage, sa prison, ses démêlés judiciaires, sa vie de jeune papa.

Fouad Chouki (en bleu) au France de cross 1994 avec Bouabdellah Tahri

Fouad Chouki (en bleu) au France de cross 1994 avec Bouabdellah Tahri

Je n’ai jamais vraiment aimé courir. Avec le temps, ça a changé. Quand j’ai commencé jeune, je détestais courir. Progressivement, je trouvais ça moins chiant. Courir, sans ballon, sans rien, ça me saoulait à l’époque. Avec le temps, quand j’ai vu que je gagnais des médailles, je rentrais à la maison, c’était la fierté pour les parents, j’ai continué à trouver un petit peu cette envie de continuer à faire de l’athlétisme tout en essayant de pas trop m’entraîner, car je n’aimais pas trop ça. J’aimais le foot, et je continue à dire que je préférais le foot. Je ne dis pas que je regrette de ne pas avoir plutôt choisi le foot. Ca ne sert à rien d’avoir des regrets, après dans la tête, on se sent moins bien. Mais perso, si j’avais fait du foot, je pense que je n’aurais pas eu cette vie-là. En plus, avec tout ce qui m’est arrivé dans la course à pied… Ca me donne encore plus envie de faire du foot que de la course à pied. Le problème de l’athlétisme, c’est que pour être le meilleur, tu es obligé d’y toucher. Il faut arrêter de se leurrer, de faire les hypocrites. La course à pied, le milieu de l’athlétisme, pour moi, c’est un milieu d’hypocrites. Personne n’avouera qu’il se charge. C’est impossible. Car le mec qui gagne des médailles et qui est le meilleur, rien qu’à cause de ses sponsors, et à cause de tous ceux qui investissent sur lui, il ne peut pas dire qu’il se dope. S’il dit qu’il se dope, il salit tout le monde. De toute façon, il se salit lui-même. Pour lui, c’est la honte. Il va se dire « Tous les gens qui croient en moi, qui croyaient en moi, maintenant que je me suis fait arrêter, les gens vont penser quoi ? » Pour moi, c’est un milieu d’hypocrites. Je me suis fait un peu manipulé quand j’étais jeune. Si j’avais eu quelqu’un derrière moi, un père qui s’y connaissait, un oncle, un cousin, ou un grand frère qui s’y connaissait, j’aurais évité énormément d’erreurs au passage. J’étais seul, j’étais gentil, un peu naïf sur les bords, j’étais facilement manipulable. Heureusement que j’ai un mental de malade, car croyez-moi, je ne sais pas ce que je serais devenu. Ce qui me sauve, c’est ma famille, mon entourage, et surtout mon mental. C’est grâce à ça qu’aujourd’hui, j’ai encore le sourire, et je ne regrette rien parce que c’est du passé, c’est derrière.

Ce fut douloureux à vivre ?

Cela a été douloureux, plus pour ma famille que pour moi. Moi, je m’en foutais. Sincèrement, je m’en foutais. Au début, j’avais mal pour ma famille, mes frères, mes parents. Le regard des gens, je m’en foutais complètement. J’ai la force de résister à ça. Mais les parents…. Moi, ma maman m’a éduqué d’une manière exceptionnelle. Elle n’aime pas les histoires, les bêtises. Il suffit juste qu’elle voit une voiture de police pour être paniquée. Elle a peur des problèmes, elle n’en veut pas. C’est pour cela qu’elle nous a éduqués comme ça, pas de conneries, reste poli. Nous, les parents, ils n’avaient pas besoin de lever la main sur nous, car ils ont compris très vite qu’il fallait commencer l’éducation très jeune. Moi, j’ai 5 petits frères, et aucun ne déraille, aucun n’est impoli ou irrespectueux. Ils travaillent tous, ils sont tous dans le droit chemin. Celui qui a fait souffrir le plus les parents, je crois que c’est moi. Avec ces histoires. La prison. Deux fois accusé à tort. Pour deux grosses affaires, c’était des affaires d’assises. Là, une 3ème fois. Je suis encore en justice pour une affaire de stupéfiants. C’était dans le journal. On parle de « Trafic international ». Mais sans drogue, sans argent. Il faut m’expliquer ! Moi, je ne comprends plus rien. Quand on m’a arrêté pour cette histoire, je pensais que c’était une blague encore une fois ! Mais non, ce n’était pas une blague.

Quelle est ta situation dans cette affaire de novembre 2014 où tu as été interpellé à Clichy ?

Je suis en contrôle judiciaire. Je dois signer toutes les semaines. Pour rien. Ca fait 2 ans et demi que mon affaire est en cours, et je ne suis pas passé en jugement. Pourquoi ? Parce qu’ils ont tellement rien à se mettre sous la dent qu’ils font traîner.

As-tu été mis en cause par les personnes du trafic ?

Absolument pas. Je ne suis mis en cause par personne. Personne de chez personne. Ils n’ont pas trouvé un gramme de drogue, un euro. Ils peuvent chercher autant qu’ils veulent. Ils peuvent chercher dans mes comptes, il n’y’ a pas grand-chose. Le seul argent que j’ai, c’est mon travail qui me le donne.

Justement, quel est ton travail ?

En ce moment, avec un copain, on a repris une société de transport, on fait de la livraison en camionnette. Je mets un peu la main à la pâte au début, je pense qu’un peu plus tard, je n’aurais plus besoin. Voilà, je n’ai pas peur de galérer. Si l’entreprise évolue un peu plus, je pense que derrière, je vais passer 1 ou 2 diplômes pour être coach sportif, et me mettre dans le milieu de la préparation physique.

Tu expliquais avoir été manipulable. Qui t’a manipulé ? Est-ce par exemple ton entraîneur Hassan El Idrissi que tu cites dans ton livre pour t’avoir aidé dans le dopage ?

Il en a fait partie, mais ce n’est pas le seul. El Idrissi, je ne lui en veux absolument pas. Vous savez, même à la Fédé, ils ne sont pas si sincères que ça. Ils savent très bien ce qui se passe, ils savent tout, absolument tout. Mais seulement, ils ne peuvent rien dire. Ils ne foutent rien, ils ont des bons salaires. Au final, ce n’est pas eux qui prennent des risques, ce sont les athlètes. Moi, ce qui m’énerve, c’est que chaque fois qu’un athlète est pris, il n’y a que lui qui morfle. Les autres derrière, ils ne morflent pas. L’athlète n’est pas seul. Vous savez, vous pouvez fracasser une vie comme ça. Peut-être que moi, j’ai eu les épaules pour supporter ça, mais il y en a d’autres qui n’ont pas pu. Pantani par exemple, il n’a pas résisté à ça, il s’est suicidé car il était fragile, faible.

L’EPO pendant 2 mois, et Fouad Chouki réussit 3’30 »

Et toi, à quel moment as-tu compris ou t’a-on expliqué que tu devrais utiliser des produits ?

Fouad Chouki le sur doué de sa génération

Fouad Chouki le sur doué de sa génération

Moi, sincèrement, je vais vous dire, et je ne veux pas vous mentir car vous me connaissez depuis tout jeune… Depuis que je suis minime, on me dit, et ce n’est pas n’importe qui, ce sont tous les entraîneurs nationaux. Marajo, Vollmer, Dirringer, Dupont, Bruno Gajer. Tous ces gens-là disent Fouad Chouki, c’est l’athlète le plus doué de toutes les générations. C’est celui qui est le plus doué de tous, c’est celui qui peut être le plus grand de tous. C’est vrai que quand j’étais jeune, je n’étais pas trop sérieux, car je n’aimais pas trop courir. Mais à un moment donné, quand j’ai fait 3’30’’, je n’y suis pas arrivé comme ça, il fallait bien que je sois sérieux. J’ai commencé à m’entraîner sérieusement avec Hassan El Idriss, avec lui, j’étais très sérieux. Je me suis entraîné pendant 2 ans, et en 2 ans, j’ai souffert comme un malade. J’ai galéré, j’ai fait 3’3’’ naturellement. A la fin des 3’3’’, il fallait une civière pour me récupérer, tellement j’étais épuisé. J’ai mis une semaine à récupérer de cette course à Monaco. L’année d’après, je fais un hiver moyen, car je n’étais pas sérieux, je ne m’entraînais pas sérieusement, je sortais en boîte avec les potes. J’avais fait les cross, je me suis fait éclater, car je n’étais pas entraîné. Je faisais 76 kg alors que normalement, je devrais être à 67 kg. J’ai quand même fait 7ème, je ne sais pas comment, parce que j’étais doué. Mais 7ème en y laissant mes tripes… Derrière, je m’entraîne comme un malade, car mon entraîneur m’a fait la morale, « Tu n’as pas honte ? » C’est vrai, il avait raison, un mec comme moi, je devrais être sérieux pour être le meilleur, je n’ai pas le droit de faire n’importe quoi avec les qualités que le Bon Dieu m’a donné.. Il y a des gens qui rêveraient d’avoir ces qualités-là, qui n’y arriveront jamais. Donc ce qui s’est passé, c’est que je me suis entraîné, entraîné, j’ai fait des séances très très dures. Hassan, il est devenu fou. Dirringer, à Font Romeu, m’a pris en chrono, ils étaient tous choqués. Avant que je fasse 3’30’’, mon entraîneur me dit « Calme-toi, tu vas battre el Guerrouj ». Je pensais qu’il rigolait. Tout de suite à Font Romeu, j’ai commencé à prendre des micro-doses. Je regrette de ne pas avoir pris des grosses doses. Parce que je me suis fait avoir ! J’ai pris que des micro-doses, et je vous assure que mon hématocrite, quand j’ai fait 3’30’’ à Zurich, était à 48%. Ce qui est normal. Si j’avais pris vraiment de l’EPO, comme le prennent la plupart des athlètes, ce que ne voulait pas Hassan. C’est là où je le respecte : Hassan ne voulait pas que je me charge comme une mule, car il savait que j’étais doué. Il savait qu’avec un minimum, je pouvais être le meilleur. Et il ne voulait pas que je batte El Guerrouj. C’était hors de question !

Pourquoi ??

Parce qu’il savait que si je battais El Guerrouj, c’est les problèmes qui allaient commencer. Moi, ma perte, vous savez d’où elle vient ? Je pense que c’est à cause d’El Guerrouj que j’ai eu tous ces problèmes. Je ne pense même pas que c’est à cause de Mehdi (Baala). C’est plus à cause d’El Guerrouj. Car à Zürich, je crois que je l’ai effrayé. Il savait que je venais de reprendre la course à pied, et il se dit « Putain, le mec, ça ne fait que 2 ans qu’il s’entraîne, mais il est déjà à mes talons, il est à 3’30’’ ». Je crois que mes problèmes ont commencé là, je n’aurais jamais dû le titiller, j’aurais dû attendre 1 ou 2 ans avant de commencer à faire ce qu’il fallait pour être le meilleur. Encore une fois pour être le meilleur, moi, je vous dis, et c’est un connaisseur qui parle, que pour être dans les trois premiers aux Championnats du Monde ou aux Jeux Olympiques, (je ne compte pas le Championnat d’Europe, car ça n’a vraiment rien à voir), c’est-à-dire battre les Africains, sans dopage, c’est impossible. Pourquoi ? Parce que dans un championnat, il y a 3 courses. Déjà en séries, parfois ça va vite, parfois non. Il y a une différence entre gagner sa série en 3’37’’ et gagner en 3’45’’, et 8 secondes de différence, c’est énormément de fatigue perdue pour celui en 3’37’’. Après, il y a la demi-finale, ça ne se court pas en 3’45’’. Bon, cette année, la finale des Jeux est bizarre. 3’50’’, c’est rien. En rigolant, je dirais qu’à l’époque, je pouvais le faire à cloche pied ! Donc, il y a trois courses à enchaîner. Comme pour le 800 m. Mais le 1500 m est un niveau au-dessus du 800 m pour la fatigue, le lactique, c’est plus dur. Donc pour moi, pour arriver à être dans les trois premiers aux Championnats du Monde ou aux Jeux, il faut la franchir cette ligne. Sans cette merde-là, excusez-moi du terme, on ne peut pas y arriver…

Tu n’as pas eu d’état d’âme en franchissant cette ligne ?

Sincèrement non. Non parce qu’il fallait bien que ça s’arrête. C’est bien que ça se soit passé comme ça. Je me dis que si ça ne s’était pas passé comme ça, ma santé en aurait pris un sale coup. Parce que ces produits-là restent des produits dangereux pour la santé. Après, ça dépend de la santé de chacun, on a tous un organisme différent. Quoi qu’il arrive, cela reste des produits très dangereux pour la santé à long terme. Pas à court terme. Et fort heureusement, j’ai pris ça très peu de temps dans ma carrière. Et quand je dis très peu, c’est vraiment très peu. Ca a duré deux mois, et c’était des micro-doses. Donc pour moi, d’après mon médecin de l’époque, je n’ai pris aucun risque. Est-ce qu’il m’a menti ou pas ?

Ton médecin de l’époque, était-ce le Docteur Mouthon ?

Oui.

Et il soutenait que tu ne prenais aucun risque ?

Il m’a dit qu’avec ces doses-là, tu prends zéro risque. Après, voilà, lui, il cherche la performance comme tous les autres. Il n’en a rien à foutre de la santé des autres, car s’il en avait quelque chose à foutre, il donnerait zéro produit à des sportifs. Vous savez, quand vous avez 20 ans, on vous dit « Tu vas gagner ça », on vous fait des promesses. C’est très dur de résister à ça. La gloire, tout le monde rêve d’être champion olympique. Qui ne va pas le faire pour du fric ou pour un titre de champion olympique ?? Qui ??? Une personne sur 1000 peut-être.

Le contrôle, un mal pour un bien

Ta carrière t’a-t-elle rapporté beaucoup financièrement ?

A partir de 3’33’’, j’ai commencé à gagner de l’argent avec mon sponsor, Puma. Je crois que je gagnais 17.000 euros par mois. Plus les primes. Si tu gagnes les championnats de France, tu as 50.000 euros, les championnats d’Europe, tu as 80.000 euros. Dans les 3 premiers dans un Golden League, tu gagnes tant et tant. Et tout ça, je pense plutôt que j’arrivais à 25.000 euros en cumulant tout, la Fédé, mon club, le Conseil Général. Mais après les championnats du monde de Paris, après avoir fait 3’30’’ à Zurich, le record de France, je devais gagner au moins 60.000 euros par mois pour Athènes. C’était dans mon contrat Puma à l’époque. Bon, ça a été un mal pour un bien. C’est ce que je me dis maintenant. Je ne regrette rien, j’ai une petite fille. Je n’ai absolument aucun regret.

Y penses-tu tous les jours ?

A ce qui s’est passé ? Non, vraiment pas. Des fois, quand je vois un meeting, je regarde, car c’est ce que j’ai fait. Mais je me dis c’est moi qui ai fait 3’30’’ ??? Je me pose juste cette question, je me dis « Mais merde ». La seule question que je me pose et elle revient très souvent « Jusqu’où j’aurais été capable d’aller au niveau performance sur 1500 m ». J’ai peut-être fait 3’30’’, mais avec une longue carrière, un suivi biologique adapté, un bon entraîneur, un mental, je pense que j’aurais pu faire très très mal sur cette distance. Pas loin du record du monde, voire mieux ? Je ne sais pas. Quand j’avais fait 3’30’’ à Zurich, je me faisais peur, car je savais que je pouvais faire encore mieux. Si on regarde bien la course, j’ai très mal couru, et si j’avais mieux géré ma course, j’aurais pu déjà faire mieux ce jour-là. J’étais enfermé, j’étais intimidé par les Kenyans autour de moi : je ne me rendais pas compte de ce que j’avais fait à l’entraînement, et de ce que je valais vraiment. Je me rappelle que j’avais pris un sale coup de coude dans le bras, j’avais perdu ma foulée, j’ai perdu 1 seconde à ce moment-là. Et au final, j’avais les jambes pour revenir sur Lagat et terminer au sprint avec Lagat.

Fouad Chouki lors du Mondial 2003 (au centre à droite de Mehdi Baala)

Fouad Chouki lors du Mondial 2003 (au centre à droite de Mehdi Baala)

Puis arrive le contrôle à l’EPO lors de la finale du Championnat du Monde de Paris 2003. Sur le moment, tu as nié l’usage de l’EPO puis tu l’as reconnu.

Nier ? Parce que je n’avais pas le choix. Parce que tous ceux qui étaient autour de moi me disaient qu’il fallait que je nie. J’ai nié, mais je n’ai pas nié à tout le monde. Il y avait des personnes très proches de moi qui m’ont demandé de leur dire la vérité, et je leur ai dit la vérité. Car elles n’avaient aucun contact avec des journalistes et même si elles avaient eu contact, elles ne m’auraient jamais trahi. Voilà, je disais la vérité à certaines personnes. C’est pour cela que je ne regrette rien. Je regrette un petit peu tout de même par rapport à certaines personnes qui croyaient en moi et qui avaient investi sur moi. Elles disaient « Foued, c’est impossible qu’il se charge, c’est impossible ». Je pense qu’il y a des personnes qui ont dû dire ça. Par rapport à ces gens-là, je regrette. Mais j’ai écrit ce bouquin pour expliquer comment ça s’est passé. J’ai eu le courage de dire la vérité. C’est rare. Je n’ai pas eu du tout peur de l’écrire. Même Jean Christophe Colin, qui m’avait aidé à écrire le bouquin, il me disait « Franchement, chapeau ». Il n’y croyait pas, il ne pensait pas que j’aurais le courage de le faire.

Tu cites beaucoup de noms dans le livre. Comme celui d’El Hassan El Idrissi que tu mets en cause directement. Tu n’as pas eu de problème avec lui par la suite ? Il ne t’a pas menacé de diffamation ?

Il ne me fait absolument pas peur. C’est plus eux qui ont peur de moi. Menacer ? Cette petite mouche ??? Il ne peut pas me menacer. C’est impossible.

Tu avais à l’époque un contrat avec Puma, grâce à Pascal Rolling. Fait-il partie des personnes que tu regrettes avoir déçu avec ton contrôle ??

Pascal, il m’adorait. Il est tombé de haut. Il en fait largement partie. C’est une personne que j’aime beaucoup. C’est quelqu’un qui a voulu m’aider, qui croyait en moi. Il n’avait pas tort de croire en moi, j’étais doué, j’étais juste pas sérieux. Je me suis peut-être fait avoir. Au final, tout le monde fait ça dans le haut niveau. Pourquoi c’est moi qui doit prendre pour tous les autres ? Quand on voit ce que fait Bekele, Mo Farah, il faut arrêter. Il ne faut pas avoir un bac + 10 pour comprendre qu’ils se foutent de la gueule du monde ! Mo Farah, 3’28’’ ? C’est une blague. 1500, 10000, marathon, c’est du jamais vu.

Crois-tu que si tu n’avais pas été entraîné par Hassan El Idrissi, tu aurais utilisé les mêmes produits ?

Absolument. Encore une fois, ce n’est pas Hassan qui m’a fait prendre cette merde. Si j’avais été avec un autre entraîneur, ça se serait passé exactement pareil. D’ailleurs, je ne vais pas citer de nom. Mais tous les entraîneurs qui étaient autour de moi à cette époque-là, auraient été capables de me laisser prendre ces produits-là.

En fermant les yeux ?

Oui, en fermant les yeux. C’est ce que font tous les entraîneurs. Il n’y en a aucun qui va dire « Mon poulain prend tel et tel produit ». Lui, l’entraîneur, le plus important pour lui est que son poulain soit le meilleur. Il s’en fout de sa santé. Le jour où il n’entraînera plus, il ne va pas aller manger le couscous chez lui tous les vendredis ! C’est la vérité. Il n’en aura plus rien à foutre. Ce sont ses enfants qui passeront avant, et c’est logique et normal. On ne demande pas à un entraîneur de rester avec soi après la carrière, il est là car un athlète a besoin de quelqu’un qui s’y connaît, mais après la carrière, le coach…. Moi, perso, il n’y en a aucun qui m’a envoyé Joyeux anniversaire le 15 octobre !!!

Le tribunal et la prison

Après le contrôle, tu as vécu la descente aux enfers, avec plusieurs affaires judiciaires, et plusieurs fois la prison.

Moi, ça me faisait rigoler en fait, toutes ces affaires. J’avais toujours mes avocats autour de moi. Ca faisait un peu …

Justement comment as-tu payé ces avocats ? Avec les sommes reçues pendant ta carrière ? Car les honoraires ont dû être élevés ?

Même pas. Je les ai payés avec la publicité. Je leur faisais énormément de publicité. La plupart ne m’ont pas fait payer. Vous imaginez la pub que je leur ai faite. J’avais l’impression qu’on parlait du sportif le plus connu de France. Alors que j’étais loin d’être connu comme certains sportifs en France. J’étais vraiment celui qu’il fallait abattre. Je ne comprenais pas cette haine. Franchement, ils m’ont tué, ils m’ont assassiné.

Fouad Chouki se concentre avant sa finale de Paris 2003

Fouad Chouki se concentre avant sa finale de Paris 2003

Tu fais référence au fait qu’en 2004, on t’ait interdit de signer dans le foot où tu envisageais une reconversion professionnelle pendant ta suspension en athlétisme.

Oui, par exemple. J’allais signer un contrat pro avec le Havre. C’était un rêve d’enfant pour moi. J’étais l’homme le plus heureux du monde à ce moment-là. J’avais fait les tests, l’entraîneur Jean François Domergue, voulait que je joue 4 mois en Nationale, le niveau en-dessous, et après, il me prenait dans son groupe.Derrière, j’apprends que le CPLD m’interdit de jouer au foot, que le club du Havre risque 400.000 euros d’amende, moi, je risquais 6 mois de prison. Sincèrement, là, j’en ai pleuré. Quand j’ai eu mon contrôle anti-dopage, je n’avais pas une seule larme, j’avais même le sourire, et quand j’ai eu cette nouvelle où on m’interdisait de jouer au foot, là, j’ai lâché des larmes. Car c’était ma vraie passion. Ca m’a fait un peu mal. Il fallait beaucoup de force et beaucoup de courage. A ce moment-là, encore une fois, j’ai eu ma famille autour de moi, ma femme, mes amis, qui m’ont aidé psychologiquement parce qu’il faut dire que leur soutien m’a été d’une aide précieuse, même si j’ai un mental qui était capable de supporter.

Dans toutes les affaires judiciaires que tu as connues, la seule qui se soit conclue par une condamnation est celle de la conduite en état d’ivresse, qui a été sanctionné par un contrôle judiciaire que tu n’as pas respecté. C’est ce qui t’a amené en prison pour plusieurs mois.

Oui. C’est le seul truc où on peut dire qu’il y a une sanction. J’assume. D’ailleurs, j’ai fait de la prison pour ça, j’ai payé ma dette. Je trouve que mettre quelqu’un en prison parce qu’il a roulé sans permis, c’est un peu gros. Par contre, m’avoir mis en prison parce que j’ai roulé alcoolisé, ça, je suis d’accord pour ça. Il y a des gens qui sont morts pour ça.

Tu avais provoqué un accident en conduisant en état d’ivresse ?

Non. Si je savais que je ne supportais pas l’alcool, jamais je ne prendrai le volant, et jamais je ne boirai une goutte d’alcool. Mais je suis capable de boire beaucoup d’alcool en restant toujours le même, toujours correct, toujours respectueux. Tu ne me verras jamais marcher comme un ivrogne. De ce côté-là, je sais me tenir. L’alcool pour moi, c’est festif. Par exemple, ce soir avec vous, j’ai bu car je sais que tout à l’heure, je vais faire la fête avec des amis. Donc c’est dans la logique. Sinon, boire comme un ivrogne du matin au soir, ça, jamais, c’est impossible.

Avais-tu été contrôlé par hasard à Strasbourg ?

J’ai été contrôlé car l’ampoule à l’arrière droit de ma voiture ne fonctionnait pas. Le policier me l’a dit, si tu n’avais pas eu cette ampoule qui ne marchait pas, on ne t’aurait même pas contrôlé.

Cela a pris des proportions importantes car tu n’as pas respecté le contrôle imposé ?

En fait, j’avais des rendez-vous chez le SPIP, Service d’Insertion et de Probation, et je n’avais pas respecté des rendez-vous. C’est pour cela qu’on est venus me chercher pour me faire exécuter ma peine ferme. J’avais pris 8 mois, j’ai fait 5 mois et 3 semaines.

Et en Allemagne, tu avais fait 7 mois de préventive en 2008 pour aboutir sur un non lieu après avoir été accusé d’extorsion de fonds et vol avec arme.

« Freisprununt » On dit en Allemagne. Ca veut dire innocenté. Normalement, quand quelqu’un est innocent, on doit dire innocenté, et non pas non coupable. Vous savez, quand on fait ci ou ça, tout le monde en parle. Quand on s’aperçoit que la personne n’a rien fait, les gens ne sont plus là. Même dans les journaux, quand il y a ces affaires-là, il y a normalement la présomption d’innocence tant qu’on n’est pas condamné. Des fois, elle est respectée, et des fois pas trop. Quand un mec n’est pas condamné, on ne va pas mettre une page comme ça dans les journaux, on va mettre un petit article dans le coin de la feuille pour dire qu’il est innocent.

Ma fille, ma fierté

As-tu ressenti cette affaire allemande comme une injustice ? (Un passant nous interpelle pour demander un chargeur de téléphone, Fouad Chouki lui donne ses clefs de voiture pour qu’il s’y recharge, et il reprend l’interview).

Ma fille, c’est ma fierté. Quand on a un petit trésor comme ça, qu’est-ce que j’en ai à foutre de mon passé ? Ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est son avenir à elle. Ce n’est plus le mien. Moi, ma vie à moi, ne sert plus à rien. Je suis bien. Bien dans ma tête. Bien dans ma peau. A Strasbourg, les gens m’aiment bien, je m’entends bien avec tout le monde. J’ai zéro problème. Tout va bien. C’est du passé. Après, il y a toujours un petit goût d’amertume au fond. J’ai juste peur pour les futurs jeunes qui se lancent dans ce milieu-là. Moi, quand j’ai des amis qui me demandent si je leur conseille de mettre leurs enfants dans l’athlé ou pas, je leur dis « Sincèrement, ne faites surtout pas cette erreur ». Parce que je suis sincère avec eux. Car la course à pied est une souffrance, et qu’au final, on n’y arrive pas à moins de toucher à cette merde, et à moins d’être bien entouré et dans le bon giron.

Quand tu parles d’amertume, est-ce plus par rapport au passé sportif ou aux problèmes judiciaires ?

Les problèmes judiciaires, je n’en ai absolument rien à foutre.

Tout de même, plusieurs mois de prison, ce n’est pas banal.

Non, je vous assure. Il y a des gens qui ne supportent pas. Au début, je ne savais pas, j’ai eu peur. Je croyais que la prison, c’est comme la garde à vue, mais ça n’a rien à voir. Les premiers jours sont un peu difficiles parce qu’on ne sait pas où on est. Après, une fois qu’on est dedans, c’est toi et ton mental. Si tu as un mental, ça glisse. Sinon…La privation des libertés est la pire chose qui puisse arriver à l’être humain. Enfin, la pire est de perdre son enfant, sa maman, son papa, et derrière, c’est la privation de liberté.

Premier contrôle à l’EPO en athlétisme en France

La prison ne t’a rien fait ?

Non, ce n’est pas ça. Quand tu es en prison, tu as envie de sortir. Mais tu sais que tu vas rester de tant à tant. A quoi ça sert de dire Putain. Ca fait plus de mal qu’autre chose. En prison, tu as deux solutions. Soit tu prends des médicaments pour dormir et faire comme les toxicomanes. Soit tu décides de faire du sport, d’aller à l’école, de passer ton permis, de faire des activités. C’est ce que j’ai fait, du sport, et des activités. J’ai cette force-là, j’ai ce mental-là. Ca s’est vu aussi dans mes affaires après ce contrôle anti-dopage, il fallait avoir un mental pour supporter tout ça. Surtout que moi, ils m’ont fait zéro cadeau. Vous n’avez pas remarqué qu’on en a plus parlé pour moi que pour tous les autres Français.

Peut-être parce qu’il a été le premier en France ?

Fouad Chouki derrière Hicham El Guerrouj en finale du Mondial 2003

Fouad Chouki derrière Hicham El Guerrouj en finale du Mondial 2003eut-être parce que cela a été le premier contrôle à l’EPO en France ?

Non, il y en a eu d’autres. Virenque.

Le premier pour l’athlétisme.

Non, je pense que je ne suis pas le premier. Je crois qu’il y en avait un avant moi.

Non. Zoubaa, les filles, c’était après. Desaulty, il n’a pas été pris pour l’EPO.

Mais Desaulty, c’était avant moi !

Oui, mais il n’a pas été pris pour contrôle, ce n’est que pour les ordonnances.

Non, il a été pris. Vous voulez que je l’appelle ???

Fouad décroche son téléphone. Tu m’entends ? C’est Foued. Salut Foued, comment tu vas. J’ai le haut parleur, je suis avec deux journalistes. Dis, tu as été contrôlé avant moi ou après moi ??? Un mois avant. Et moi, je n’ai pas été contrôlé, j’ai été gaulé quand je suis allé payer les factures d’EPO. Moi, je n’ai pas été contrôlé positif. Et dis, j’ai été le premier à être chopé à l’EPO, ou il y a quelqu’un avant moi ? Oui, tu es le premier ! Par contre, je peux dire qu’il y en a qui sont passés à travers. Il y en a qui auraient pissé… Fouad raccroche.

Est-ce douloureux pour toi de reparler de tout cela ?

J’ai l’air de souffrir ? Non, je suis détendu. Absolument pas, je t’assure. Cela ne me dérange absolument. Si je voulais qu’on n’en parle pas, je n’aurais pas écrit ce bouquin, je n’aurais reçu aucun journaliste.

  • Interview réalisée à Strasbourg par Odile Baudrier et Gilles Bertrand
  • Photos : Gilles Bertrand

 

LA CARRIERE DE FOUAD CHOUKI

Fouad Chouki (à g.) au France de cross 1995 avec B. Tahri (au centre) et M. Baala (à dr.)

Fouad Chouki (à g.) au France de cross 1995 avec B. Tahri (au centre) et M. Baala (à dr.), Vincent Rollier en jaune

. Champion de France : minime 3000 m – deux fois cadet 3000 m – espoir 800 m – champion de France 1500 m (2003)

. Demi finaliste championnat du monde junior 1500 m (1996)

. Championnat d’Europe : 4ème junior 1500 m (1997) – 4ème 1500 m (2002)

. Record de France du 1500 m en 2003 (3’30’’83)