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Faut-il durcir la politique anti-dopage ?

L’AFLD sera-t-elle dotée de pouvoirs plus larges pour lutter contre le dopage ? C’est le projet novateur présenté au Ministère des sports par l’agence française. Mais en cette fin mars, alors que le coronavirus a déstructuré le monde, mis à mal le système sanitaire, créé une crise économique majeure, les réflexions sur les moyens accordés à la politique anti-dopage peuvent-elles encore être abordées de la même manière ? 

L’AFLD veut secouer le cocotier de l’anti-dopage et obtenir des pouvoirs supplémentaires. Tel est le credo lancé par l’Agence Française Anti-dopage, soucieuse d’élargir la lutte contre le dopage au-delà des simples contrôles positifs constatés sur échantillons. Une conséquence des affaires très médiatisées qu’ont été les cas de Clémence Calvin et d’Ophélie Claude-Boxberger ? Pas seulement, même si ces deux histoires rocambolesques font partie de celles où l’AFLD avoue à demi-mots qu’elle aurait souhaité disposer de plus de pouvoirs d’enquête.

Mais la démarche est beaucoup plus large, comme Mathieu Teoran, son Secrétaire Général me l’avait expliqué mi-mars, à quelques jours du confinement général : « C’est un constat double. Le code mondial AMA prévoit que des enquêtes soient menées par des organisations anti-dopage. Pour un contrôle positif, c’est une obligation pour l’agence anti-dopage de conduire une enquête sur l’entourage. Mais comment peut-on effectuer ces enquêtes si on a pour simple pouvoir de faire des contrôles anti-dopage ?? »

C’est aussi pour aller au-delà du simple constat de contrôles positifs, que l’AFLD veut pouvoir enquêter, avait-il souligné : « Petit à petit, la lutte anti-dopage s’est enrichie d’autres infractions, l’acquisition, la détention, l’administration…. Ce sont des infractions administratives. Pour autant l’AFLD n’a comme pouvoir que de faire des prélèvements biologiques. Comment prouve-t-on ces autres infractions non analytiques si on n’a que des moyens analytiques ? On ne prouve pas une détention en faisant des prélèvements urinaires ou sanguins. »

L’Autorité des Marchés Financiers (AMF), la référence pour l’AFLD

Un argumentaire bien construit pour déboucher sur la demande de pouvoirs supplémentaires formulée par Mathieu Teoran et son équipe auprès du Ministère des Sports. Et le directeur n’est pas arrivé les mains vides pour défendre son projet. Il a pris le temps d’analyser les prérogatives allouées à d’autres Autorités Administratives Indépendantes, un statut juridique identique à celui de l’AFLD, comme l’Autorité des Marchés Financiers, l’Autorité de la Concurrence, la CNIL.

Et c’est du côté de l’Autorité des Marchés Financiers, que l’AFLD a trouvé matière à étayer sa demande de pouvoirs d’enquête. Une institution quelque peu méconnue du grand public, chargée de la régulation du système financier, et en particulier de la répression des délits d’initiés. Mathieu Teoran dissèque : « L’AMF dispose de pouvoirs d’enquête très étendus. Dans les banques, les institutions financières, comme chez les particuliers. Elle peut saisir des documents, collecter les « fadettes » (listes appels téléphoniques), toujours sous l’autorité d’un magistrat. Comme pour l’autorité de la concurrence, qui s’intéresse aux ententes qui portent préjudice aux consommateurs. Il serait légitime et assez sûr juridiquement de reprendre ces dispositifs tels qu’ils sont pratiqués. »

Les tensions AFLD et OCLAESP en toile de fond

Cette nouvelle méthode marquerait ainsi un virage considérable dans une politique anti-dopage bâtie en France sur l’AFLD pour le volet « dopage pur », et sur l’OCLAESP pour le domaine des enquêtes d’investigation. Les tensions entre l’agence et les gendarmes de l’anti-dopage ne sont plus un mystère depuis l’affaire Clémence Calvin, et elles se sont exacerbées avec le cas d’Ophélie Claude-Boxberger. Le contrôle au Maroc de Clémence Calvin avait fait avorter une opération impulsée par les gendarmes de l’OCLAESP à la suite d’informations sur la possession de produits. Et pour Ophélie Claude-Boxberger, la frustration est grande à l’AFLD de ne pas pouvoir disposer des interrogatoires effectués par l’OCLAESP durant la garde à vue de l’athlète et de son beau-père. Au point qu’à la mi-janvier, sa présidente, Madame Laurent n’avait pas hésité à intervenir auprès du Procureur du Tribunal de Paris pour s’insurger du manque d’informations communiquées. L’initiative n’avait été appréciée ni par les juges chargés de l’affaire Claude-Boxberger, ni par les enquêteurs de l’OCLAESP.

Un projet pour mettre sur la touche l’OCLAESP ?

Justement, cette volonté de l’AFLD d’obtenir plus de pouvoirs vise-t-elle à « mettre sur la touche » l’OCLAESP ??? Mathieu Teoran le dément complètement, en s’appuyant à nouveau sur l’exemple de l’Autorité des Marchés Financiers : « Il y a les délits pénaux poursuivis par le PNF parquet national financier ou la brigade financière. Et l’autorité administrative pour démontrer des infractions administratives. Les deux collaborent, et choisissent une voie ou une autre, ou les deux si pas de risques de cumuler des peines et des sanctions. Ce serait la même chose pour nous. L’OCLAESP est doté du pouvoir d’enquête judiciaire sous autorité du Parquet pour mettre en évidence des infractions pénales. Nous, on statue sur des infractions administratives. Et cela ne supprimera pas  le signalement au procureur de la République prévu par l‘article 40 du code de procédure pénale, pour des délits, avec la possibilité pour le Procureur de saisir la Police, la Gendarmerie ou la Douane pour investigations judiciaires. »

Des sanctions limitées à une suspension, si elle peut s’appliquer !

Un distinguo administratif-judicaire, indispensable à rappeler. Mais quelle serait vraiment la portée des sanctions administratives prises dans le dopage sportif ? Une suspension plus longue, voire élargie à l’entraîneur ou membre de l’encadrement s’il apparaissait comme complice. Le code anti-dopage prévoit une suspension de 4 ans en cas de possession, trafic, administration, pour le sportif positif (doublement donc pour lui), comme pour le membre d’entourage. Sous réserve bien sûr que celui-ci soit membre d’une fédération sportive… A contrario, un conjoint mis en cause pour administration ne peut être sanctionné par les autorités anti-dopage.

Un durcissement de peine, qui n’a rien à voir avec les sanctions administratives prises dans le domaine des marchés financiers ou de la concurrence et qui se concluent par des amendes se chiffrant souvent à six chiffres. Il suffit de consulter les dernières décisions disponibles sur le site de l’AMF ou de l’Autorité de la Concurrence pour comprendre l’étendue des enjeux : ces délits financiers ou commerciaux comportent aussi des conséquences énormes, comme dans le cas des ententes des marques de téléphonie qui nuisent à plusieurs millions de consommateurs lésés par le maintien de tarifs élevés. Aucune commune mesure donc avec les dégâts du dopage. Dans ce domaine, ce n’est qu’un tout petit nombre de personnes qui est pénalisé, et les impacts financiers apparaissent limités, excepté dans le cas des trafics de stéroïdes anabolisants, qui peuvent porter des centaines de milliers d’euros.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Alors le jeu en vaut-il la chandelle ? Les moyens financiers qu’exigerait un service d’enquêtes propres à l’AFLD en parallèle de la poursuite d’un travail d’investigation à l’OCLAESP seraient-ils justifiés ? La question ne peut que se poser avec plus d’acuité alors qu’une terrible crise sanitaire règne, avec par ricochet, la crise économique. Le budget AFLD, d’un montant de près de 11 millions (en 2018), repose à 88% sur les subventions publiques, avec un pourcentage de 12% provenant des recettes liées aux analyses pour le compte d’autres pays effectués au Laboratoire de Châtenay Malabry, actuellement fermé par le confinement.

Certains acteurs de l’anti-dopage n’ont pas manqué également de rappeler qu’un cadre juridique existe déjà pour qu’un contrôle positif puisse, le cas échéant, déboucher sur des faits de détention ou trafic. Il s’agit des dispositions inscrites en 2013 dans le Code du Sport, article D232-99, qui prévoit notamment la constitution de commissions régionales de lutte contre le trafic de substances ou méthodes dopantes. Elles sont coprésidées par chaque préfet de région (administratif) et par le procureur général (judicaire). Ces commissions animées par le CIRAD (Conseiller Interrégionale Anti-Dopage) réunissent les acteurs majeurs nationaux que sont l’AFLD et l’OCLAESP et les neuf entités régionales, agence de santé, de Gendarmerie, de Police, des douanes, direction des finances…

Autant de corps d’Etat susceptibles de pouvoir mettre en évidence les agissements frauduleux du sportif. Les douanes s’avèrent ainsi très efficaces pour signaler les colis douteux reçus, et les finances peuvent lever le voile sur certains aspects financiers.

Les enquêtes bien encadrées pour protéger les libertés individuelles

Certes ces commissions n’existent actuellement qu’au niveau de la région. Mais l’idée d’une coordination nationale avait déjà été avancée dans le rapport de la commission d’enquête sur le dopage en 2013 par le Sénateur Lozach.

Cela contraindrait ainsi les enquêteurs de l’OCLAESP à communiquer à cette commission les éléments collectés. Au fil d’investigations strictement encadrées par des règles juridiques très rigides. Ainsi, contrairement à beaucoup de croyances, les perquisitions et fouilles sont très codifiées, les écoutes téléphoniques quasiment impossibles. Sans oublier aussi qu’en droit français, une enquête s’effectue à charge et à décharge et qu’il n’est pas possible d’évoluer en « infiltré ». La méthode est réservée aux enquêtes liées aux stupéfiants et à la lutte contre le terrorisme. Doit-on s’en offusquer ???

Texte : Odile Baudrier

Photo : D.R.