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Dopage : Bertrand Moulinet, pourquoi une sanction pénale ?

La sanction pénale de Bertrand Moulinet rappelle que les affaires de dopage peuvent aussi déboucher sur un passage devant un tribunal. Le marcheur français compte parmi les quelques athlètes français contrôlés positifs à être également sanctionnés par la justice. Les tribunaux se saisissent de telles affaires dans le cas d’éléments démontrant la détention, voire la cession, de produits dopants.

Bertrand Moulinet à Deagu, une arrivée dans la détresse

Le passage de Bertrand Moulinet devant le Tribunal de Perpignan s’est effectué en toute discrétion. Seul Julien Marion, le journaliste de l’Indépendant, a pu assister à cette audience judiciaire, dans laquelle de nombreux éléments sur l’affaire Moulinet ont été dévoilés, même s’il demeure de grandes zones d’ombres.

Et d’abord, le point de départ du dopage de Bertrand Moulinet, qu’il veut limiter à la période précédant ses contrôles positifs du printemps 2015 (30 mars et 13 avril), affirmant avoir opté pour le dopage pour tenter de décrocher sa qualification pour le Championnat du Monde 2015.

Présent sur des sites culturistes après les JO de Londres

Une théorie qu’il veut inscrire dans une certaine logique, à considérer qu’il sortait alors de deux saisons blanches en raison de blessures à répétition, et qu’il n’avait ainsi nullement confirmé ses résultats des JO de Londres, où il avait terminé 8ème du 20 km et 12ème du 50 km. C’est ainsi, frustré par son manque de performances, qu’il aurait été tenté de se tourner vers des produits illicites. S’y ajoute aussi le fait que son statut de membre de la Ligue Pro d’Athlétisme était susceptible d’être remis en cause, justement pour cette absence de résultats, avec des conséquences financières.

Toutefois cette version « soft » n’est pas conforme aux éléments collectés par les gendarmes de l’OCLAESP qui ont découvert que Bertrand Moulinet aurait débuté sa consultation de sites internet du culturisme immédiatement après les JO de Londres. Très clairement dans une optique de dopage, puisqu’il a été présent sur ces forums pour interroger sur l’utilisation des produits dopants… Et qu’il y est même retourné après avoir utilisé les produits, pour témoigner de leur efficacité !

Malgré ces éléments, le Tribunal  a bien condamné le marcheur pour la « détention de substance interdite dans le cadre d’une manifestation sportive entre le 1er janvier et le 22 avril 2015 ».

La cession de produits dopants écartée

A ainsi été écartée l’idée de relier Bertrand Moulinet à une activité de cession de produits dopants. En clairde l’associer à un trafic de produits pour alimenter d’autres athlètes. Les quantités saisies lors de la perquisition menée le 22 avril par les gendarmes de l’OCLAESP laissaient pourtant planer un doute sur une utilisation strictement personnelle. Ce sont par exemple 29 flacons de TB 500, qui ont été retrouvés, un peptide synthétique, qui aurait des propriétés anabolisantes, très utilisé dans le monde du cyclisme, pour son efficacité sur la récupération musculaire et ses propriétés anti-inflammatoires. Il s’y ajoutait aussi du Thymosin, PEG MGF, des seringues et poches de perfusion en grande quantité.

Des produits qu’il affirme avoir obtenu par des commandes sur des sites internet en Ukraine, et qu’il prétend avoir été cherché lui-même dans ce pays, qui est justement celui de sa compagne de l’époque, devenue depuis son épouse, elle-même une marcheuse de bon niveau. Bertrand Moulinet était en effet un adepte des centres d’entraînement du bloc de l’Est, il a ainsi fréquenté plusieurs fois le centre de Sarank en Russie, qu’on sait maintenant avoir été un véritable fief du dopage institutionnel de la discipline en Russie, sous la houlette de l’entraîneur Viktor Chegin, suspendu à vie mi-2016. Le marcheur avait ainsi appris le russe afin de pouvoir mieux communiquer avec ses condisciples.

Bertrand Moulinet a refusé de donner des informations

Même s’il a tout de même fait état aux enquêteurs de ses soupçons sur deux athlètes français, Bertrand Moulinet a complètement refusé de livrer la moindre information sur d’éventuels fournisseurs de produits ou de « clients », préférant conserver le silence sur ce point, et ceci en dépit de la réduction de suspension sportive qui aurait pu lui être accordée en échange de quelques révélations.

Bertrand Moulinet a ainsi accepté les 4 ans de suspension décidée par la FFA, une durée majorée en raison de la circonstance aggravante résultant de la détention de produits dopants. De toute façon, Bertrand Moulinet ne pouvait s’offusquer de cette durée, puisqu’il avait réclamé à tout va une suspension à vie, auprès de la FFA, dès le lendemain de sa garde à vue.

Car là encore, la démarche de Bertrand Moulinet demeure très inédite, avec des aveux, tant auprès des forces de l’ordre que publiquement. Dès sa sortie de garde à vue, le 23 avril 2015, le marcheur révélait via son profil Facebook son contrôle positif, son utilisation de produits interdits, ses excuses auprès de ses partenaires et fans.

Depuis cette date, le marcheur n’a plus souhaité s’exprimer, et n’a pas donné suite à nos demandes répétées de le rencontrer pour lever le voile sur cette affaire.

Une sanction inscrite au casier

Au Tribunal de Perpignan, Bertrand Moulinet est resté fidèle à sa règle de conduite, il se présente seul, sans avocat, assume les faits, refuse d’en dire plus, et avoue attendre sa condamnation. Sa seule demande formulée aux juges sera que sa peine ne soit pas inscrite à son casier judiciaire. Car ceci lui interdirait la poursuite de sa profession de policier de l’air et des frontières qu’il exerce maintenant à Menton. Immédiatement après son contrôle positif, Bertrand Moulinet, alors en poste à l’aéroport de Toulouse Blagnac, avait été suspendu 18 mois par la Police, avant d’être muté sur le sud-est. Un temps, il avait été serveur en restaurant.

Et à défaut d’un appel de sa part, toujours possible, Bertrand Moulinet devrait effectivement sortir de la police. A Perpignan, le Procureur avait requis 6 mois de prison et une amende de 5000 euros. Le Tribunal a été plus clément, en se limitant à 6 mois avec sursis, mais cette peine sera bien inscrite sur son casier. Avec des conséquences autrement plus graves pour son futur qu’une suspension sportive qui finit un jour par s’éteindre…

  • Texte : Odile Baudrier
  • Photo : Gilles Bertrand