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Bruxelles, Ivo le terrible est toujours vivant

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Le meeting de Bruxelles fête cette année son quarantième anniversaire. Ce meeting aux 14 records du monde a été créé en 1977 en mémoire à Ivo van Damme, ce coureur belge, disparu tragiquement dans un accident de voiture le 29 décembre 1976, quatre mois après les J.O. de Montréal où celui-ci remporte deux médailles d’argent sur 800 m et 1500 m. Il n’avait que 22 ans.

 

Comment est décédé Ivo van Damme ? Comment l’athlète belge a-t-il pu perdre le contrôle de son véhicule pour venir s’encastrer dans une remorque tractée par un véhicule circulant sur la voie de gauche de l’autoroute du Soleil ? Ces questions restent sans réponse. Les proches du grand Ivo, certains journalistes, documentaristes cherchent toujours à reconstruire cette soirée tragique au cours de laquelle le double médaillé d’argent aux J.O. de Montréal perd la vie du côté d’Avignon sur l’A7, au soir du 29 décembre 1976. Il rentrait d’un stage d’entraînement dans le Sud de la France, sans autre soucis que de vouloir fêter le nouvel an. Des hypothèses ont été maintes fois élaborées, malaxées, décortiquées. Suicide ? Hypothèse vite écartée, il portait sa ceinture de sécurité. Prise abusive de produits dopants ? La question est évoquée lors d’un documentaire diffusé en 2007, cherchant à percer ce mystère. Ou bien tout simplement crise cardiaque ? Faute d’autopsie refusée par la famille, ce décès tragique reste donc inexpliqué. Roger Moens, vice champion olympique du 800 mètres en 1960 se pose encore et toujours la même question. Dans la presse belge, le vielle homme âgé de 86 ans s’est encore prêté à ce questionnement en évoquant cette relation étroite qu’il entretenait avec celui qui avait battu son record national vieux de 20 ans. Le jeune Ivo ne manquait jamais de lui envoyer une carte postale du lieu de ses stages. Sur la dernière que Roger Moens reçue quelques jours après ce tragique accident, Ivo van Damme avait écrit « Rendez-vous en 1977… ? ». Cette phrase intrigue toujours le vieux Moens au point de dire « cette question était étonnante, elle ne lui ressemblait pas. A-t-il eu le pressentiment que quelque chose allait se passer ? Cette question me tenaille depuis 40 ans maintenant ».

Le parallèle entre Ivo van Damme et Steve Prefontaine est saisissant car tout les rapproche

Est-ce une loi des séries ? Coup sur coup, la petite communauté des coureurs des grands stades perd subitement deux athlètes fauchés dans leur destin. Le 30 mai 1975, Steve Prefontaine est lui aussi victime d’un accident de la route  dans les virages serrés des collines de Eugene. Il n’avait que 24 ans et tous les records US du 2000 au 10000 dans sa besace d’étudiant à l’université de l’Oregon. Aujourd’hui encore, L’Amérique de l’athlé essuie des larmes sur la tombe du miler. Le parallèle entre Ivo van Damme et Steve Prefontaine est saisissant car tout les rapproche,  cette mort accidentelle presque ordinaire, toujours stupide, injuste, ce charisme affiché, loué par ceux qui ont approché ces deux coureurs, déterminés, au caractère trempé, affirmé. Et puis ces palmarès communs portant en eux le germe d’une grandissime carrière. Une seule chose les différenciait, leur façon de courir, l’un était attentiste, c’est Ivo le grand, toujours à l’écart, en retrait pour abattre son grand compas dans les derniers 300. Une tactique qui cependant lui coûta la médaille d’or sur 1500 aux J.O.  Pre, l’élève de Bill Bowerman était quant à lui frondeur, meneur de troupe, sonnant la charge pour s’enfuir, moustache de grenadier mordant le vent.

Des destins à la James Dean, là aussi les parallèles ont été dressés pour marcher sur ce fil de l’histoire où s’accrochent, s’agrippent le pire et le meilleur de la vie, pour cultiver la mémoire de ces deux jeunes hommes, figures iconiques de l’athlétisme moderne. Deux meetings d’athlétisme ont ainsi été créés, le Prefontaine Classic à Eugene dans l’Oregon, le Mémorial Van Damme à Bruxelles, l’un en 1975, l’autre en 1977 pour que l’histoire ne s’arrête pas en si mauvais chemin.

Il voulait tout, tout de suite, très inspiré par Dave Wottle, champion olympique du 800 à Munich en 1972

A Bruxelles, c’est un journaliste qui est à l’initiative de la création de ce meeting. Wilfried Meert est un jeunot du stylo, nouvellement recruté à la rubrique sport du Laatste Nieuws. Le jeune apprenti reporter, portant déjà cette moustache distinctive taillée en pointe à la Dartagnan, est sans doute le premier à avoir interviewé le jeune Ivo van Damme que son entraîneur, Mon van den Eynde présente comme le futur grand coureur que la Belgique attend dans le sillage d’Emile Puttemans médaillé d’argent sur 10 000, l’olympiade précédente, à Munich.

Wilfried Meert est son aîné de 9 ans mais les deux jeunes hommes se lient d’amitié. Le plumitif découvre un athlète d’une extrême détermination, d’une assurance sans guillemets. Il voulait tout, tout de suite, très inspiré par Dave Wottle, champion olympique du 800 à Munich en 1972 par sa façon de courir alliant puissance, endurance et vitesse.

L’annonce du décès accidentel d’Ivo van Damme sur cette autoroute du Soleil, Wilfried Meert reçoit cette nouvelle par télex comme un coup de poignard. Les funérailles sont nationales. Les fleurs sont à peine fanées que Wilfried Meert et quelques confrères décident alors de créer un meeting d’athlétisme en la mémoire du défunt Ivo. Un an plus tôt, lors d’un stage en Espagne, le miler lui avait confié cette idée « pourquoi n’y aurait-il pas à Bruxelles un grand meeting d’athlétisme ? ». Ses vœux sont exaucés.

Vincent Rousseau est alors un jeune cadet en devenir « j’ai grandi en m’identifiant à lui »

Ainsi le 16 août 1977, la première édition du Mémorial voit le jour. Environ 10 000 spectateurs sont présents dans les tribunes du stade de Heysel. Le marathonien Vincent Rousseau, ancien recordman d’Europe de la distance avec 2h 07’20’’ réalisé à Berlin en 1995 s’en souvient encore. A l’approche de ce quarantième anniversaire, il raconte à la presse belge le souvenir précis qu’il a gardé de ce meeting, de ce 1500 remake de la finale olympique avec au départ le médaillé d’or, le néo-zélandais John Walker lancé à la conquête du record du monde pour honorer la mémoire d’Ivo van Damme.  «J’étais dans la tribune opposée à la tribune d’honneur avec mon père ». Vincent Rousseau est alors un jeune cadet en devenir « j’ai grandi en m’identifiant à lui ». Ce soir là, le stade chavire et tangue, le record du monde ne fait que vasciller mais après sa course, John Walker rejoint en quelques enjambées le père d’Ivo van Damme pour lui remettre la médaille d’or sortie de son écrin. « Cette médaille, c’est celle de votre fils ». Les deux hommes en pleurs tombent dans les bras l’un de l’autre. Le stade est muet, un mythe est né.

> Texte Gilles Bertrand