Le Mondial de cross 1992 laisse émerger une génération exceptionnelle chez les juniors. Mais ce championnat disputé à Boston dans le froid et sur la neige, restera marqué pour les français par une brillante médaille d’argent par équipe.
Jean Louis Prianon, c’est le dernier à rejoindre le groupe. Il entonne déjà : « Pour Georges, hip hip hip hourah ». Un groupe se forme autour de l’entraîneur national, il l’empoigne par les bras, les jambes, Georges Gacon se tortille dans les airs, le badge au vent et la casquette de travers. L’équipe de France est au bord de la crise de larmes.
Puis elle se met au garde à vous. Comme une équipe de foot, Fétizon a gardé son gros bonnet tricoté main, Camille Viale, le regretté entraîneur du demi fond, regarde fixement l’objectif, Thierry Pantel lève le bras droit en signe de victoire. Les dents sont blanches, les sourires sont francs. Pascal Thiébaut interpelle alors : « Mais au fait, on a gagné quoi ? ».
On refait alors le décompte des places. Deux gars dans les 10, Pantel en 9 et Le Stum en 10, puis suivent Tony Martins à la 12, Thieb à la 21, Pripri à la 46 et Tony Rapisarda à la 48, total, 145 points, les anglais mordent la neige pour deux petits points. La France est sacrée vice championne du monde de cross.
48 heures avant ce Mondial, une dépression passe sur le nord de la côte Est américaine, le froid s’installe, la neige tombe. Le White Stadium porte bien son nom : ce champ de cross a des allures scandinaves inattendues en ce 22 mars.
Camille Viale est là pour donner du lien et du liant dans ce groupe
L’équipe de France est arrivée dix jours avant ce Mondial. Pour prendre la température, sortir les gants et les bonnets. Plus sérieusement pour souder neuf coureurs qui au France se sont écharpillés dans une bataille d’Alsace à couteaux tirés. Camille Viale est là pour donner du lien et du liant dans un groupe où les egos ne se caressent pas toujours dans le bon sens. Et la formule fonctionne, les rivalités tombent et restent à la penderie. Tous vissent les pointes dans le bon sens. Ils sont affûtés et redeviennent copains.
Le parcours, ils l’ont vu et reconnu. Ce n’est pas du facile avec cette bosse plantée au beau milieu de ce parc boisé, The Bear Cage Hill et ses 59 mètres de dénivelé. 300 mètres positifs en 12 km de course, la pilule est amère mais elle est la même pour tous, faut avaler, faut cavaler.
Les courses juniors donnent le ton, laboratoire pour une nouvelle génération exceptionnelle, Isamel Kirui l’emporte devant Haile Gebrselassie, Hicham El Guerrouj se classe 14ème, alors que Paula Radcliffe toute fraîche s’extrait, dodelinant déjà de la tête pour s’imposer face à la chinoise Wang Junxia. L’armée de Ma pointe déjà son nez.
30 000 spectateurs sont dénombrés alors que ce Mondial est retransmis dans 90 pays
1992, le running a déjà fait sa petite révolution aux Etats Unis, la ville de Boston accueille le plus vieux marathon de la planète créé en 1897, alors le public malgré le froid et le risque de chutes de neige répond présent pour assister à ce spectacle. 30 000 spectateurs sont dénombrés alors que ce Mondial est retransmis dans 90 pays, un record, plaçant cette retransmission sportive parmi les dix plus importantes au monde. Un autre temps !
Le froid, la neige, la boue, la cage aux ours, rien n’y fait, les coureurs kenyans sont aux avants postes, John Ngugi bave aux lèvres s’extirpe pour conquérir un cinquième titre mondial. 14’37 » au 5ème kilomètre, 29’30 » au 10ème avec à chaque tour, cette butte qui brûle les cuisses, la stratégie de l’entraîneur national Mike Kosgei est payante : « Nous l’avons protégé toute la saison hivernale » pour mettre hors jeu Khalid Skah vainqueur à Aix les Bains puis à Anvers. Le marocain est neutralisé par cinq kenyans dans les huit premiers.
Alors que le public américain assiste au triomphe de Lynn Jennings, l’enfant du pays remportant son troisième titre, la petite troupe française présente en Nouvelle Angleterre, clairsemée dans cette foule gaie et exubérante, commence à croire dans les chances de l’équipe de France. Ca se bat devant, sans complexe, à l’arme légère. Le Stum et Pantel dans le top 10, rejoint au 7ème km par Tony Martins. Il s’intercale entre eux deux alors que Pascal Thiébaut pourtant peu à l’aise sur ce toboggan avec sa petite foulée tricoteuse, pointe 18ème. Il se passe quelque chose. Il se construit un petit bout d’histoire. Ce n’est pas de la chance, c’est juste le fruit d’un collectif soudé et uni. Ils ont joué les trappeurs. La peau de l’ours, c’était pour eux.
> Texte et photos Gilles Bertrand