Aller au contenu

Bernard Faure, je suis allé à Moscou en VMA

bernard faure 1a
Bernard Faure est le nouvel entraîneur de Yohan Durand. L’ancien coach de Bruno Léger, Christine Mallo, Mustapha El Ahmadi a repris du service avec le Périgourdin après des détours vers le rugby et le foot. Dans son manoir du Buisson, où il a accueilli depuis 30 ans des centaines de stagiaires en course à pied, il nous livre sa conception très personnelle de l’entraînement bâtie à partir de son expérience de marathonien à 2h12.

 

. Pourquoi as tu accepté d’entraîner Yohan Durand depuis deux mois ?

Je connaissais Yohan de nom. Nous sommes Périgourdins tous les deux. Je suivais très bien ce qu’il faisait. Il était un peu perdu sur marathon, il a voulu me rencontrer. Je lui ai demandé de voir ce qu’il faisait. Cela a été assez simple de voir les facteurs limitant et de pouvoir l’assister dans son rêve.

. As-tu dû opérer beaucoup de modifications sur son entraînement ?

Il y a des classiques, et en premier lieu, il faut s’adapter à la personne. Il est neuf ! Lorsqu’il a fait 2h 14’ à Paris, en quelque sorte, il n’avait pas d’entraînement marathon, il l’a fait vraiment sur son talent. C’est quelqu’un qui peut faire 2h 14’sur sa seule valeur de base, sans préparation spécifique. Il a son potentiel à 13’17’’ même s’il ne les vaut pas actuellement. C’est un premier point énorme. Puis pour son deuxième marathon de fin de saison, il a fait une préparation spécifique sans qu’elle soit fantastique, et il a explosé, mais en étant sur 2h 11’ au 30ème kilomètre. Il est venu me voir car il était conscient que quelque chose ne marchait pas. On a commencé fin décembre, entre-temps, il s’est blessé sur une zone fragile des jumeaux, et il a pris un gros mois de retard. Faire 2h 11’ au mois d’avril, cela ne me paraît pas possible. Il ne faut pas mentir aux gens ! Je lui ai dit qu’il y a peu de chances que tu le fasses. Mais c’est ton rêve et on ne peut pas te priver d’une tentative d’aller aux JO. Malheureusement, on s’y est pris trop tard ! Un gars qui veut passer du 400 au 800 ne fait pas ça en 3 semaines. En 12 semaines de préparation marathon, on ne peut pas changer quelqu’un : c’est une optimisation d’un état. Ce sont des choses qu’il faut prendre sur 2-3 ans. A Hambourg, il va partir sur 2h 11’, on verra combien de temps il va soutenir. Je lui conseille d’arrêter s’il n’est plus dans son rêve, ce n’est pas la peine de se tuer pour rien. Et tout de suite après de faire des soins, et dès le mois de mai, repartir sur un marathon d’automne. Pour lui, il faut mieux répartir les séances dans le temps, avec des sorties plus cool, du vélo. Et ça passera. Je sais que ça passera !

. Le courant passe-t-il bien avec lui ?

Oui. Il est très indépendant. Tu sais, on peut être ensemble 3 mois, 1 an, 10 ans. Il n’y a rien à présumer. Il faut simplement que nos relations soient en adéquation. Si je le conseille, il faut que ça serve à quelque chose. Je suis à son écoute. C’est quelque chose à écrire.

. Tu as entraîné de nombreux coureurs dont Bruno Léger, Christine Mallo, Mustapha El Ahmadi. A quand remontait ta dernière collaboration avec un marathonien de haut niveau ?

Quand je suis parti en Angleterre pour le rugby en 2000, je ne pouvais plus entraîner. J’ai eu une période de 10 ans consacré aux sports collectifs. Je vais être très franc aussi, j’ai accompagné Bruno et Christine sur leur fin de carrière, mais tu sais aussi qu’à un moment, tu as des compétences, tes athlètes ont du talent, mais qu’ils sont confrontés à des gens suroxygénés, et que la compétition n’est pas équitable. La situation d’entraîneur est donc terrible. Tu peux finir ta vie très frustré ! Pourquoi ? Tu crois en certaines méthodes, tu les aimes, le corps te parle, c’est ton truc. Pour les exprimer, il faut déjà que tu aies un bon cheval. Puis le cheval, pour qu’il s’entraîne, tu dois passer par sa tête, son cœur. Tu rentres dans sa vie, tu peux vite envahir la personne. C’est une situation de dépendance terrible, tu es obligé de passer par le corps et par la tête de quelqu’un d’autre. Si à côté de ça, tu n’essaies pas de te développer sur un autre axe, c’est intenable. Si ça ne passe pas humainement, tu ne le fais pas. Le seul plaisir que tu as est le plaisir intellectuel de voir que tu as fouillé une voie et qu’elle a marché. Et la joie d’aider quelqu’un. C’est important d’y réfléchir pour éviter de devenir un entraîneur aigri. Et j’en connais beaucoup !

. Comment as-tu enrichi ton approche ?

Déjà par mes stages. Même si ce sont des gens absolument pas de haut niveau. Ils ont des facteurs limitant très marqués, le surpoids, les horaires en 3 x 8… Il faut trouver des clefs pour leur proposer des choses. Et tu t’aperçois que ça induit des méthodes qui peuvent être extrapolées pour des gens de haut niveau, car ils ont un facteur limitant cousin de celui-ci. Par exemple, pour les côtes, quand Bruno ou Christine faisait 15 fois 100 m, le lendemain, ils étaient lactiques, ils mettaient 3 jours à récupérer. Quand tu reçois des gens en stage, face à une côte de 2 km, tu leur conseilles de faire par intervalles. Et en ramenant ça à Bruno ou Christine, tu leur fais alterner 20 secondes vite puis marche. Tu répètes 15 fois et 3 fois, cela amène 6 km de côtes. Tu obtiens un travail cardio vasculaire énorme et de physiologie. Avec la descente à fond, tu fais un travail d’excentrique énorme. En 4 mois, Bruno avait des cuisses énormes, il est le dernier blanc à avoir gagné Marseille Cassis, il n’a rien senti dans la descente ! Pour moi, cela a été lumineux. Sur les sorties longues, ils faisaient 3 heures, vélo + course, avec 10 minutes de course, 5 minutes de vélo. La récupération est excellente. Christine faisait ça chez elle, avec un vélo d’appartement, elle sortait courir 10 minutes, elle rentrait pédaler 5 minutes, ça durait 3 heures et sa voisine croyait qu’elle était devenue folle ! On n’y est pas encore passés avec Yohan, car il y a plein de choses nouvelles, et il faut faire attention à ne pas déstructurer la personne.

. Tu as beaucoup travaillé avec les rugbyman et également un boxeur maintenant. Que t’a appris cette collaboration ?

Pour les rugbyman, je travaillais avec les gros devants. En venant du marathon, j’ai été impressionné par leur capacité à répéter les efforts. Devant, tu passes ton temps à pousser violemment, tu es en isométrie, comprimé, tu pousses des mecs en hauteur, tu sprintes, tu plaques. C’est excessivement dur. Tu dois inventer des méthodes de foncier pour répéter. Cela a été mon truc. C’est pareil dans la boxe : Aldo, c’est 110 kilos, mais 5 à 7h d’aérobie par semaine en plus de la musculation et de la boxe. Dans les deux cas, tu vois des comportements différents : jusqu’où peut aller l’homme dans sa capacité d’adaptation à supporter des charges. Tu vois aussi des adaptations psychologiques. J’ai conseillé amicalement un athlète, quand il faisait des 300, il te disait qu’il était déchiré, que c’était terrible. Le même jour, Aldo en avait pris plein la gueule et il rigolait. Il avait l’œil fermé, mais il trouvait ça génial !

. Les Rugbyman ont-ils aussi une approche psychologique différente, qui t’a permis d’apprendre ou bien est-ce surtout physiologique ?

Psychologiquement, c’est intéressant. Ils sont capables de faire mal à l’autre, mais ils sont moins capables de se faire mal sur eux. C’est un sport d’opposition. Ils ne sont pas comme le marathonien, qui va se faire mal tout seul. C’est très différent. Ils jouent avec un ballon, c’est d’ailleurs un jeu, le ballon leur manque, ils s’ennuient vite. Dans la boxe, c’est autre chose, tu as quelqu’un en face de toi, tu vas au bout de toi-même. Du coup, à l’entraînement, ils sont capables de beaucoup. Aldo pendant un an, c’est le placard, avec 2 matchs par semaine, 5 à 7 heures d’aérobie, il déteste ça. Au bout de 15 jours de ce rythme, 80% des rugbyman auraient pleuré, ils auraient vite demandé  un ballon pour s’amuser. Ils sont plus prêts du profil du marathonien pour l’acceptation du travail pour réaliser un rêve et de la souffrance. On va mettre entre guillemets souffrance. C’est aussi du bonheur. Tu vas fouiller ton corps, tu en retrouves en contrepartie un bonheur et une joie terribles. Tu ne te mets pas en danger. Même si tu peux arriver à des états limites. Ca m’est arrivé !

bernard faure 2a

. Lorsque tu as débuté en marathon, peut-on dire qu’il y avait un côté initiatique ? 

On avait une certaine liberté. Pour mon premier marathon, je n’ai pas attendu les sponsors, un dossard… On avait une copine qui organisait une fête dans le nord du département, j’y suis allé en courant, je me suis dit  « ça me fera mon marathon ». Je suis parti à 6 heures, je m’arrêtais boire dans les cimetières… J’avais 17 ans, et je me suis rendu compte après que ça faisait 48 km ! C’était un peu fou, mais tu avais une certaine spontanéité. Tu voulais découvrir. Tu allais à la découverte de…. Il ne faut pas perdre cet esprit. Tu peux avoir la connaissance mais elle ne doit pas enlever ton cœur. Faire du haut niveau, c’est un cœur d’aventurier avec des habitudes de fonctionnaire. Mais très vite, tu peux avoir un cœur de fonctionnaire, et les habitudes d’un aventurier. Il faut faire attention, tu peux très vite basculer. Les gens les plus épanouis ne sont pas ceux qui vont lever les bras à l’arrivée du marathon, c’est quelqu’un que tu ne connais pas.

. Tu parlais de découverte. Es tu surpris de voir que Yohan attend presque 30 ans pour découvrir le marathon ?

Oui, ça me surprend. Car avec Dominique (Chauvelier), on était montés à 22 ans. Maintenant, c’est lié à un contexte. Simplement dans une voie de réalisation qui se situe dans une confrontation aux autres, c’est trop tardif. Mais il y a encore deux Olympiades à faire, jusqu’à 37-38 ans. En même temps, tu peux passer 100.000 ans sur une distance, il te manquera toujours le petit truc que tu n’as pas fini, tu auras toujours une frustration. Mais des frustrations, tu en auras toute ta vie. C’est plus un travail psychologique à faire pour se dire qu’à la fin de ta vie, tu n’auras jamais fait tout ce que tu veux. Il faut que tu acceptes. Est-ce vraiment du temps perdu de rester trop longtemps là et ne pas aller à l’aventure ? Ce n’est même pas prendre des risques. C’est accepter l’inconnu. C’est accepter de quitter ses repères pour aller chercher autre chose. Et c’est une attitude générale que tu peux avoir dans la vie. C’est sortir de ses repères (il épelle R E P E R E et non pas R E P A I R E !)

. Pendant 10 ans, tu as décidé de ne plus entraîner de coureurs, mais as-tu été sollicité ?

Oui, il y a eu Driss el Himer, que j’ai conseillé sur sa fin de carrière. Mais il n’a pas fait ses ’ avec moi. Il y en a beaucoup qui sont venus et que je n’ai pas acceptés. Ou ça ne passait pas, ou j’avais des doutes. Et les discussions me confirmaient les doutes.

. Les doutes se situaient-ils sur le dopage ?

Oui, bien sûr. Quand tu demandes tous les bilans et qu’il faut une demi-heure de discussion pour les obtenir, ce n’est même plus la peine d’avoir le rendez-vous. Ceci est un préalable impératif. Car tu engages ton cœur, ton temps, tu fais ça par amitié.

. Est-ce que tu crois à la théorie des entraîneurs qui ne voient pas que leurs athlètes sont dopés ?

Non. Je n’y crois pas trop. Tu dois avoir des signes. Mais je ne peux pas dire ça aussi catégoriquement non plus. Regarde certaines performances de haut niveau, à tout moment, tu peux expliquer d’une façon ou d’une autre. Il faut aussi être capable d’expliquer les exceptions. Cela arrive tous les 10 ans. Tu as eu Marie José Pérec, Bolt, Carl Lewis, Kipketer. Qui dans leur domaine t’éblouissent. Pour eux, il y avait aussi l’esthétisme. Sur le marathon, tu peux avoir une bête qui pioche, génial sur le plan organique. Il faut peut-être accepter. La limite est très faible entre l’exception génétique et le mec qui se charge.

. Par rapport à ce problème, cela signifie que tu obliges tes athlètes à fournir régulièrement leur bilan pendant votre collaboration ?

Oui. Dans la boxe, il n’y a pas besoin, c’est tellement pur. Aldo s’est amélioré en développé-couché sans protéines, créatine. Même si tu lui donnais des adjuvants autorisés, le mec croirait qu’il a progressé parce qu’il a pris ça. Et tu crées une dépendance psychologique. De voir qu’il a progressé sur son ordinaire à lui est fabuleux. Cela donne une confiance que tout le reste aurait détruite. Après, tu travailles sur cette confiance. Il faut que tu fouilles avec ton corps pour voir jusqu’où tu peux aller, sinon, tu es un mec perdu. Tu te reposes sur des protocoles. La connaissance et les moyens de progresser sont extérieurs à toi, alors qu’ils sont dans toi. C’est très important ! Avec Yohan, je m’aperçois que je n’ai rien demandé. Je me surprends ! Dans le passé, je faisais signer des engagements.

. Crois-tu réaliste que les entraîneurs ne voient pas que certains chronos évoluent de manière étrange ?

Non. Car une progression est toujours très douce. Même un talent comme Gebreselassie a mis 4 ans à faire son chrono sur marathon. Boxberger pareil, il a commencé à 2h16’-2h17’ avant de faire ses 2h10’. Il y a le talent. Il y a des choses qui sont dans la cohérence. Il faut accepter les exceptions. Pour répondre à ta question, je pense que sur 95%, l’entraîneur, s’il est bon, doit le savoir. Peut-être certains font un déni. Et cette situation de dépendance peut créer ce déni. Et pour 5%, tu peux passer à côté.

bernard faure 3a

. On voit les affaires qui explosent en Russie, au Kenya, et prochainement en Ethiopie. Pouvais-tu soupçonner une telle ampleur du dopage même si tu as souvent montré une certaine virulence face à ce problème à la télé ?

Oui. Car le problème est plus vaste. On en rit avec Patrick (Montel) à chaque fois, je ne supporte pas la comptabilité des médailles. On ne peut pas comparer le chiffre d’affaires d’une entreprise avec le nombre de médailles. C’est insupportable. Tu as l’impression de revenir à l’Allemagne de l’Est, à la communication étatique. Tu te rends compte que rien n’a changé. Qu’en Russie, c’est même allé plus loin, des membres du gouvernement s’immiscaient. Ce n’est pas une surprise du tout. Tant qu’on continuera à transférer ces histoires individuelles en totaux. Car une équipe d’athlétisme est la somme de petits chemins de vie d’histoires individuelles. Pourquoi les additionner en comptabilité ? Tant que des présidents de fédérations ne seront pas capables de sourire malgré un mauvais bilan. C’est normal qu’il y ait toutes ces dérives-là. Mais ces propos ne sont pas dans l’air du temps !

. Quels souvenirs te reste-t-il de tes 25 années de télé à l’international ?

Kipketer, la beauté à l’état pur. Son record du Monde à Bercy. Carl Lewis. La grâce dans un corps exceptionnel. Perlov et Patashou, les marcheurs russes arrivés main dans la main à Tokyo en 1991. Et puis après si tristes sur le podium. Le relais russe à Moscou, où elles s’embrassent sur la bouche sur le podium, et montent après dans la tribune des journalistes, encadrées par des officiels. Les souvenirs, ça peut être des surprises. Comme Montgomery pour son record du monde à Charlety. Ca veut dire que visuellement, on n’a rien vu. C’était la même chose avec Michael Johnson à Atlanta. C’est après qu’on voit son chrono. Tu te rends compte que tu ne fais pas la différence entre quelqu’un à 9’’70 et 9’’80, c’est seulement le chrono qui le montre. Tu serais aussi content s’ils étaient tous à 10 secondes. De même que tu ne verrais pas de différence dans le Tour de France entre une moyenne de 40 km/heure et de 50. Au contraire, tu aurais de véritables défaillances, ce serait plus spectaculaire. C’est là où tu te dis qu’on n’a rien compris !

. Penses-tu continuer les stages que tu as débutés il y a 30 ans  ?

Oui, c’est mon axe de vie. C’était fait pour accueillir. J’ai marié plusieurs passions, l’envie d’être à la campagne, les vieilles pierres. J’ai eu envie de faire partager mes connaissances. Je vais te faire une confession. Quand j’étais tout gamin chez ma grand-mère, je ramassais des pommes, et dans le grenier, j’avais disposé de vieux canapés pour faire une conférence, j’avais mis un tableau, j’avais écrit la pomme, j’avais mis mes cageots de pommes. Tout fini, je me suis retrouvé seul dans le grenier, avec ma craie, sans savoir quoi dire, et avec personne en face ! Là, tu te rends compte que tu as envie de faire partager des choses, que tout petit, tu as déjà des gènes.

. As-tu beaucoup regardé les méthodes des autres entraîneurs ?

Oui, tout gamin avec les premiers Spiridon. Puis j’ai lu les revues de physio. Après, il faut poser ton libre arbitre. Le seuil date des années 70-80. Ce n’est pas si vieux que ça. Pour le marathon, les pionniers comme Mimoun… étaient des coureurs de 10 000 m qui montaient avec quelques footings. Comme Yohan pour son premier marathon ! Après tu as l’époque des premières méthodes, Van Acken, l’endurance intégrale. Cela correspond à la génération d’avant nous, comme Jacques Messonnier, des coureurs de fond qui faisaient 80% du kilométrage à 12 à l’heure, et qui couraient le marathon à 18. Il faut respecter. Après, on s’est rendus compte qu’il fallait plus de cylindrée. C’est notre génération, Dominique Chauvelier et moi, on a donc fait à la fois la quantité des copains d’avant et la qualité des coureurs de 10 000 m. on s’est explosés la gueule. On a été par excès, par erreurs. Il y a eu des moments où tu volais, d’autres où tu te ramassais la gueule car l’enchaînement était mauvais. Au moins, nous avions l’expérience ! Tout le monde travaillait dans l’apprentissage des méthodes. Nous, nous parlions de méthodes d’entraînement. Aujourd’hui, on ne parle plus de méthodes mais de lois d’entraînement. Quand j’étais à Brive, on a eu un assistant qui avait son Master, il soutenait qu’il n’y a que le 30-30 pour progresser en VMA. Je lui demande « Tu en as fait combien de séances ? J’ai calculé son kilométrage, ça faisait de Brive à Mallemort, 8 bornes. Tu as fait 16 bornes en aller-retour. Moi, je suis allé à Moscou en VMA !

. Après 30 ans dans le running, as-tu le sentiment d’avoir transmis quelque chose ?

Il ne faut pas s’accorder d’importance. Déjà, il faut faire attention. J’ai fait mon petit chemin. Après, ce n’est pas à moi de dire si j’ai apporté ou pas. Tu ne le sais qu’après ! C’est comme les beaux souvenirs sur un évènement. Tu te rends compte aussi que tu as beau transmettre ce que tu vas transmettre, tu vois des impasses, des chemins bloqués, que la personne est figée, que son évolution est terminée. C’est une tristesse. Tu vois qu’il n’est pas capable de sortir de ses repères, d’aller vers l’inconnu. C’est ça le problème.

. Cela signifie-t-il que tu es toujours dans une forme de quête ?

Oui, bien sûr. La course n’est qu’une partie. C’est LE problème de l’existence, pourquoi tu es là sachant que tu vas quitter ce corps. Il est évident que c’est la question essentielle que notre société occidentale a tendance à occulter. Parfois je finis les mails à Yohan en lui disant de dire bonjour à son corps de ma part. Parce que le patron, c’est son corps. Ce n’est pas sa tête. Sa tête analyse. Mais on parle de sport et de physique, et le patron, c’est son corps. Il faut arrêter de dire JE. Il faut dire Nous. Lorsque tu cours, ce sont des retrouvailles avec le corps. C’est au-delà de savoir si tu cours à telle allure. Rita Levi Montalcini, qui a découvert la neurogénèse dans les années 40, Prix Nobel en 86, disait « Mon corps peut faire ce qu’il veut. Je ne suis pas mon corps, je suis mon esprit. » C’est évident. La course à pied s’inscrit comme d’autres activités dans cette nécessité de savoir pourquoi tu es venu t’incarner.

. Et toi, tu t’es surpris à parler à ton corps ?

Ce que j’aimais dans le marathon, dans le souffle, c’était le temps de suspension entre l’inspiration et l’expiration, une grande jouissance, une petite méditation d’une profondeur de respiration. J’ai conscience d’avoir aussi couru pour mieux savoir dans quel corps j’habitais. Comme une quête. Après, il ne faut pas la sublimer car ton corps, tu vas le laisser, il va pourrir, il va partir. Tu n’es pas ton corps. Je ne sais pas s’il y a une vie après, mais je sais absolument qu’il ne faut pas opposer la mort à la vie, mais à la naissance, et que la vie continue après. Je ne parle pas de réincarnation, les Bouddhistes en parlent, je ne suis pas allé jusque là, j’y crois, j’espère. Sur le fait que ça continue après, ce n’est pas je crois, j’espère, c’est je sais.

> Interview : Odile Baudrier et Gilles Bertrand

> Photos : Gilles Bertrand

faure a