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Benjamin Choquert, « je ne voulais pas être dans une case »

Benjamin Choquert

En 2015, le Nancéen Benjamin Choquert remporte trois titres de champion de France, en cross court, sur 5000 mètres ainsi qu’en duathlon. Trois lauriers pour un athlète inclassable, un touche à tout de l’athlé qui ne veut pas s’enfermer dans une seule discipline et qui rêve même de disputer la Diagonale des Fous. Pas de doute, Benjamin Choquert a besoin d’espace et de liberté pour s’exprimer. Portrait.

 

Surtout, ne forcer pas sur les gongs, surtout ne tirer pas sur la poignée et oublier de forcer la porte d’un coup d’épaule, vous ne ferez jamais rentrer Benjamin Choquert dans une seule case. Les cagibis du demi-fond, ce n’est pas pour celui qui depuis qu’il est minime saute à cloche-pied sur le grand échiquier de l’athlé. Alors par quoi commencer ?

Benjamin a commandé un thé en posant sa casquette jaune, style vintage façon Cyril Guimard, un cadeau de son père, vestige d’un Tour de la Moselle. Dans ce CV chargé comme une charrette de foin, franchement par quoi commencer avec ce VRP de l’endurance en tout genre ? Par les Templiers ? Allons-y, cap au sud, un détour en Aveyron, fin octobre 2013, pour ce grand rendez vous du trail, créé sur les Grands Causses en 1995. Benjamin Choquert vient juste de se séparer de son coach, une période transitoire avant de rejoindre l’ASPTT Nancy. Du steeple en 9’02’’64, un 5000 en 14’35’’71 et un 10 bornes en 30’09’’, dans la nuit étoilée des Templiers, alors que Era tonne et résonne jusqu’aux entrailles de la Grotte du Hibou, Benjamin se fait piquer par le démon du trail : « J’aime toucher à tout.  Je fais de l’athlé par passion. Et j’ai un rêve, courir un jour la Diagonale des Fous, au moins une fois dans ma vie. Alors j’ai tenté quelque chose d’intermédiaire, sans vraiment être préparé. J’ai toujours été attiré par la nature ». Ce jour là, Thomas Lorblanchet renoue avec la victoire, accroche une quatrième étoile à son paletot de trailer. Quant à Benjamin, il franchit l’arche du bonheur 37ème.  A refaire ? Pas sûr, tout au moins pas dans l’instant.

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La carrière athlétique de Benjamin Choquert, c’est cela, des fenêtres qu’il ouvre, qu’il referme, qu’il ré-ouvre, qu’il entrouve parfois comme aux Templiers, au gré des envies, des désirs, des coups de moins bien et des rayons de soleil qui redonnent le moral pour recoller au peloton. En réalité, Benjamin Choquert aurait dû être cycliste. Car dans la famille Choquert, la petite reine, c’est une passion. Le grand-père fut commissaire, la mère roula, elle aussi, un temps sur la grosse plaque et le père, malgré un emploi d’ouvrier fraiseur, il fut un coursier flingueur à l’aise sur la route, en VTT et en cyclo-cross : « Je me souviens, on l’accompagnait l’hiver, on tenait la roue de rechange, dans le froid. Je me disais : « le vélo ah non jamais ». Finalement, il a tenu bon, les coupes du paternel se sont accumulées dans l’escalier, mais pour le guidon, il a dit non.

Le déclic pour la course à pied, c’est en minime que le voyant rouge s’allume. Le gamin est asthmatique. Alors comme pour tous les mioches du grand Nancy, la corrida d’Heillecourt, c’est un rendez vous familial sacré comme pour la St Nicolas ou les jardins Ephémères de la place Stanislas. Le petit Benjamin remporte la course minime et reçoit des mains du grand Paul Tergat le trophée  du vainqueur. Aux côtés du géant de la Rift Valley, au regard sombre et ténébreux,  il est impressionné, il se souvient : « Là, je me suis dit, je veux remporter plus de coupes que mon père ».

Effectivement, les coupes s’accumulent, cinq en cinq ans à Heillecourt mais aussi en cross, puis sur la route et même en course de montagne. En 2004, junior 1, il dispute 34 courses. Avec 18 victoires, Benjamin, l’éclectique, « roule » sur le grand plateau. Déjà trois sélections, un titre de champion de France en course de montagne et même un record sur l’heure avec 17 578 mètres, il analyse ainsi ce début de carrière : « Je ne voulais pas me cantonner à une seule chose. Car je pouvais être bon un peu partout ». L’année 2005 est du même boyau, il ne change pas de braquet, 25 courses, 10 victoires, de nouveau champion de France en montagne et même 2,60 m à la perche. Personne ne peut  le contraindre à rentrer dans un moule étriqué. C’est à prendre ou à laisser, Benjamin Choquert est un touche à tout. Le monde est vaste, il est ouvert à tout. Bernard Coppa, son entraîneur, un spécialiste des lancers, ne s’y oppose pas. En équipe de France de cross lors des Europe organisés Tillburg en 2005, on lui dit : « Si tu veux être bon, il ne faut faire que cela ». Il n’a pas écouté.

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Entre deux gorgées de thé brûlant, la question des études est vite balayée. Un BEP cuisine en poche, bosser une toque blanche sur la tête ne lui semble guère compatible pour s’épanouir dans le sport. Il se détourne des fourneaux, il dépose les couteaux, il ne sera jamais top chef. Se pose alors la question du choix, celui de la bonne orientation. Après le BAC, il tente le BESAN pour devenir maître nageur alors qu’il n’est qu’un « brasse mamie tête au dessus de l’eau » tel qu’il se décrit et signe cinq longues années à arpenter les bords du bassin de la piscine de Toul.

Benjamin Choquert se construit alors un style, un physique bien à lui, on le surnomme alors Geronimo comme le chef de la tribu Apache. Un maître nageur rasta man et de surcroît excellent coureur à pied…il devient immanquablement le trublion des pelotons. Il l’affirme : « j’ai été dix ans sans couper mes cheveux, même pas les pointes ». D’un geste du bras qu’il retourne dans son dos, il montre jusqu’où les dreadlocks lui descendaient dans le creux des reins. Ses parents se résignent « ils se sont habitués que j’étais à part ». En pliant les coudes, ses tatouages, des soleils, se découpent encore mieux sur sa peau blanche : « Je retarde de faire les bras intégraux. Les motifs, ça me parle ».  Pour ce passionné de BD, de photos et de rock metal «il y a un côté tribal. Je suis très porté sur la culture japonaise, la J-pop, les mangas » comme ce motif irézumi qu’il porte sur le buste surmonté de deux flèches qui lui montent jusque sous la gorge comme deux lames de couteau.


« Et Tahri lui aussi a gagné le titre au dessus de 14’ »

Benjamin Choquert est donc un sacré loustic dans le paysage du sport lorrain. Inclassable, Frédéric Fabiani, son entraîneur depuis 2014, s’est résigné à composer et à jongler. Il aime le steeple mais n’aime pas spécialement la piste, il aime la montagne mais pas encore le trail. Il aime la route mais pas encore le marathon. Son premier fut un échec, 2h 26’20’’ à Rotterdam l’an passé, mais ce n’est que partie remise. Il n’aimait pas le vélo mais il pose qu’en même les mains sur le guidon pour son premier duathlon. A Nancy, il se classe septième lors d’un Grand Prix Open. Le pur fruit du hasard, il raconte : « Mon père s’était mis à courir mais il se blesse. Alors on s’est mis à rouler ensemble. Et pour la première fois, j’ai partagé quelque chose de sa passion ». Il coupe ses longues tresses « je ne pouvais plus mettre mon casque »  et plonge dans ce nouvel univers à deux têtes, il ajoute « j’ai toujours eu besoin de nouveaux défis ». Cela lui réussit puisqu’il est sacré champion de France, distance courte en 2015. Une année très particulière car le Nancéen remporte également le titre en cross court aux Mureaux puis celui sur 5000 à Villeneuve d’Ascq en 14’10’’41. On le chambre sur son chrono, il n’apprécie guère, il répond en déjouant les incompréhensions « Et Tahri lui aussi a gagné le titre au dessus de 14’ » (14’20’’66 à Reims en 2014).

A l’automne, la presse locale ne manque pas de relayer le coup de gueule de ce p’tit gars, smicard de l’endurance. Une tribu à part, d’athlètes, nombreux, trop nombreux à tenter l’impossible dans cet univers de la haute compétition, une seigneurie aux portes inviolables. Après avoir quitté son emploi de vendeur dans le bouclard de Bob Tahri à Metz, il traverse une période de chômage. Le doute s’installe, même avec trois titres de champion de France, les flonflons n’ont pas soufflé bien fort. Smicard était, smicard est resté Benjamin Choquert en mal de reconnaissance. Un petit coup de grisou qui, fort heureusement, ne laisse pas insensible. Car les institutions se mobilisent sans le crier sur les toits des palais de la place Stanislas et le duathlète retrouve une place de maître nageur à la piscine de Nancy. Frédéric Fiabani le reconnaît « Il a eu du mal à se relancer mais là cette fois, ça semble reparti ». Le déclic, ce fut la Verticale de la Tour Eiffel. Il s’y classe neuvième. A 190 puls/minute, il avale les 1665 marches en 8 minutes, un sprint vertical pour repenser la course à l’horizontal, il lui fallait cela à ce coureur hybride qui, dans une botte de foin, cherche toujours une brindille plus craquante que les autres. Dernier désir en date, le canicross…c’est-à-dire courir avec son chien, un bébé Husky qui l’attend du côté de Lyon. Benjamin n’a pas encore acheté la niche. Il insiste avec un petit air amusé « je ne voulais pas être dans une case ».

> Texte et photos Gilles Bertrand

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