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Athlétisme « pro » aux USA, un crime

Il y a 45 ans, l'argent dans les meetings était un sujet tabou

Il y a 45 ans, l’argent dans les meetings était un sujet tabou

En 1969, voit le jour un projet de création d’une Ligue Pro appelée National Track and Field Association ». Cette initiative américaine soulève la colère des autorités internationales et européennes. Elle sera qualifiée de grand cirque et sera même jugée de « criminelle ».

 

1969, un an après les J.O. de Mexico, une bombe éclate au nez des vieilles barbes qui s’accrochent encore à l’idéal olympique  et à un athlétisme pur et dur.

Outre atlantique, des industriels se sont réunis  pour fonder une ligue professionnelle, « The National Track and Field Association ». Le principe est simple prenant modèle sur ce qui est déjà en vigueur dans le milieu du tennis. Ainsi chaque athlète engagé toucherait une somme annuelle de 50 000 NF à laquelle viendrait s’ajouter les primes de course, 5000 NF au vainqueur puis 2500 NF et 1250 NF ainsi que 10 000 NF pour les équipes victorieuses en relais 4 x 100 m et 4 x 400 m. Une tournée serait organisée dans une trentaine de villes américaines au cours d’une saison estivale de 10 semaines.

A l’annonce de ce projet, notre bonne vieille Europe bardée de certitudes et défenseur de la veuve et de l’orphelin, monte au front pour dénoncer et qualifier cette ligue « pro » de grand cirque.

Le premier à monter dans les aigüs n’est autre que l’anglais Sir Pain, alors secrétaire de la Fédération Internationale. Voici le début de sa déclaration officielle : « Une telle idée est absurde et c’est une grave erreur. Le professionnalisme déformera la pureté du premier sport olympique. Ce sont des gens opportunistes…et il m’étonnerait que ce public vienne assister à d’éventuels meetings professionnels ».

Le hongrois Takacs est lui aussi outré et tire une salve appuyée. En qualité de secrétaire du Comité d’Europe, il ne mâche pas ses mots : « C’est un crime contre ce sport…voilà des gens qui croient que tout peut s’acheter…l’athlétisme n’est pas adaptable au professionnalisme. Il y a là tout un humanisme auquel ils s’attaquent d’une façon que je qualifierai de criminelle ».

Personnellement, je dirai que c’est une tentative de crime

Quant à Robert Bobin qui était alors le directeur de l’athlétisme français, ses propos ne diffèrent pas. On ne transige pas sur les valeurs de l’olympisme et de l’amateurisme : « Cette forme de sport n’aura aucune valeur. Il sera impossible d’obtenir des luttes véritables. Il faudra nécessairement avoir recours à des combines et on ne sera pas en mesure de les masquer…. Pour moi, l’amateur c’est celui qui pratique par plaisir… Personnellement, je dirai que c’est une tentative de crime qui se retournera contre ses auteurs tôt ou tard ».

Refus manifeste de voir la vérité ? Indiscutablement les administrateurs de ce sport,  refusent d’affronter la vérité, aveuglés qu’ils sont par leur intransigeance. L’athlétisme se complait dans un bain d’hypocrisie. La loi du silence l’emporte alors qu’il n’est plus un secret pour personne que sous le manteau des organisateurs de meetings, les primes sont distribuées aux meilleurs.

Il sera cependant nécessaire d’attendre le début des années 80 pour que les digues se fissurent. Le président Samaranch nouvellement élu à la tête du CIO sera le premier à faire preuve de clairevoyance et de réalisme en déclarant : « Il faut vivre avec son temps ». Derrière, la fédération internationale d’athlétisme embraye et sera la première à se réformer en autorisant la création des « permit meetings » avec attribution de primes versées sur des fonds spéciaux.

Le verrou a donc sauté et le montant des  primes décernés lors des meetings s’envolent: 542 000 dollars offerts aux athlètes pour les 15 meetings de la fédération internationale d’athlétisme (Mobil-IAAF) en 1985, 763 000 dollars en 1986,1 million de dollars l’année suivante (sources l’Histoire). Aujourd’hui, 45 ans après ce projet de création d’une Ligue Pro, la venue d’un Usain Bolt pour assurer le succès du meeting Areva est chiffrée à 250 000 dollars.

> Texte Gilles Bertrand