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Anti-dopage : Pierre Sallet, « attention à l’explosion du système »

Pierre Sallet, qui compte depuis près de 10 ans parmi les experts de l’anti-dopage, affiche un parcours original. Ancien triathlète de niveau national, puis expert en physiologie du sport, ce bourreau du travail cumule un job de chef d’entreprise dans la recherche et développement et une implication sans limite dans la lutte de l’anti-dopage, avec des propositions innovantes pour que cesse cette immense tricherie qui le scandalise et dans laquelle il pointe du doigt les manquements graves des institutions officielles en charge de ce domaine…

 

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  • Quel a été ton parcours sportif et universitaire qui t’a amené à t’impliquer dans la lutte antidopage ?

C’est la passion du sport. Petit, je pratiquais plutôt les sports collectifs, entre 6 et 12 ans, le foot. J’avais été retenu à l’époque pour intégrer le centre de formation de l’Olympique Lyonnais, mais ça ne se faisait pas trop dans ma famille. J’ai changé, fait des arts martiaux, du karaté. A 18 ans, j’aimais bien les sports d’endurance et j’ai découvert le triathlon à la télé. Je ne savais pas bien nager mais j’ai intégré le club de Vaux-en-Velin, en même temps que Cédric (FLEURETON). Cela a été le flash, d’ailleurs beaucoup de mes meilleurs amis actuels sont issus de ce club. C’était encore l’aventure du triathlon. On a commencé à se prendre au jeu. Nous avons été sélectionnés tous les deux avec Cédric par la Ligue Rhône-Alpes en 1996 pour participer à nos premiers Championnats de France Elite de triathlon, alors réservé aux licenciés «pros» ainsi qu’à ceux de duathlon la même année. J’ai voulu essayer ensuite de vivre de ce sport, mais il faut être au minimum international, et même dans les meilleurs internationaux. Moi, ce n’était pas du tout mon cas, à l’inverse de Cédric. J’étais plutôt un athlète de niveau intermédiaire, j’avais fait des performances, comme 30’53’’ sur 10 km sur un France de duathlon. En parallèle, après mon bac, j’avais redoublé ma première année universitaire et n’avais pas eu mon DEUG science en 2ème année; j’avais plutôt consacré ces années à faire du triathlon… Pour vivre, je travaillais comme maître-nageur dans une piscine l’été et je faisais la plonge en même temps dans un restaurant le reste de l’année. J’ai ensuite intégré la Ville de Lyon et l’hiver, j’enseignais le patin à glace, l’été, je surveillais en piscine. Et puis je me suis interrogé sur ce que je voulais vraiment faire. J’ai alors repris les études, en licence, avec une validation d’acquis et une dispense d’assiduité.

  • Dans quel domaine universitaire ?

En STAPS. J’ai alors eu un super parcours. Je n’allais jamais en cours car je travaillais à la patinoire de 16h à minuit. En m’investissant beaucoup, j’ai pu finir major chaque année en licence, maîtrise et DEA. Dès la maîtrise, en physiologie, j’avais intégré le laboratoire du Professeur Jean-René LACOUR à Lyon Sud, une référence mondiale dans la physiologie du Sport. Après mon DEA, grâce à mon rang de major, j’ai obtenu une bourse au mérite pour faire une thèse et ai alors arrêté de travailler. En fait, j’ai fait en tout trois thèses! Ma première thèse chez le Pf LACOUR. En raison de graves soucis de santé dans mon entourage proche, j’ai voulu soutenir très vite. J’avais vraiment mis les bouchées doubles et étais prêt au bout de deux ans; protocole réalisé, articles et manuscrit rédigés mais le laboratoire n’a jamais voulu que je soumette mes deux articles, car cela les mettait en porte à faux avec les autres étudiants qui eux habituellement réalisaient leur thèse en 4 ans. Les choses se sont un peu finies en tension; avec le recul et l’expérience aujourd’hui je sais que mes articles auraient été acceptés sans difficulté, mais c’est le système déjà qui voulait ça… J’ai donc arrêté cette thèse et ai repris une activité de physiologiste au CMS de Lyon, en 2002 environ, j’avais alors 30 ans. C’était un centre avec une renommée mondiale, il gérait le suivi de sportifs de haut niveau, et le fer de lance était Jean-Marcel FERRET, médecin de l’équipe de France de football, vainqueur de la Coupe du Monde 1998 et de l’Euro 2002. Moi, je conseillais les sportifs et leur staff à partir de tests de laboratoire et/ou de terrain afin de leur donner des axes de travail dans leur entraînement. Nous étions dans un environnement ultra-performant. Nous recevions des sportifs du monde entier, de toutes les disciplines, foot pro bien sûr mais aussi basket pro, rugby pro, cyclisme pro…etc. C’est là où j’ai pris énormément d’expérience en intégrant très jeune ce centre, avec tous les meilleurs experts autour de toi.

  • Dans un tel contexte, pourquoi s’intéresser à l’antidopage ?

En parallèle, j’ai vu que l’éthique du sport et l’antidopage m’intéressaient. J’avais pu déjà rencontrer au CIO une personne d’une AMA alors «en construction» qui m’avait indiqué que la thèse était importante pour évoluer dans cet univers. Je n’avais pas le choix, je devais refaire une thèse. J’ai alors demandé à Jean-Marcel FERRET d’être mon directeur de thèse, elle portait sur les facteurs de la performance en physiologie alors que ma première thèse concernait plutôt des aspects biomécaniques dans le sport. J’ai pu soutenir et valider cette 2ème thèse en deux ans en publiant mes deux articles et tout en travaillant à plein temps. Sans esprit de revanche, j’avais juste pu démontrer qu’avec beaucoup de travail et de volonté, rien n’était impossible…Plus tard, j’ai démarré une 3ème thèse en biologie avec le Professeur Gabriel BAVEREL, mais entre mon entreprise et mes diverses obligations je n’ai pu l’achever faute de temps…

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  • Comment as-tu débuté dans l’antidopage ?

Je suis arrivé finalement très jeune avec un bagage universitaire et une connaissance fine du terrain. J’avais 32 ans, mon expérience d’athlète, une thèse, et l’expérience du CMS. Je commençais à être identifié comme quelqu’un de référent dans le domaine de l’entraînement. J’étais mûr pour revenir dans l’antidopage! Je suis retourné à l’AMA à Lausanne, avec une idée de protocole, pour détecter les auto-transfusions et la prise d’EPO. Je rencontre pour la première fois Alain GARNIER, le directeur médical de l’époque. Mon idée lui semblait bonne. Il m’a dit de soumettre un projet de recherche à l’AMA, qu’il appuierait.

  • Tu t’es aussi fait connaître pour tes prédictions de chronos dans le cyclisme.

En 2005, j’utilisais beaucoup de données scientifiques pour l’entraînement des sportifs de haut-niveau. Je me suis dit qu’elles pouvaient aussi avoir de l’intérêt pour le grand public au travers des médias dans les retransmissions sportives; comme la puissance en cyclisme notamment. Sans connaître personne, j’appelle ASO (l’organisateur du Tour de France), je me présente, « je suis Docteur en Physiologie et j’ai des données qu’on pourrait utiliser sur le Tour de France ». Gaël COLLOCH, le directeur des médias de l’époque, m’invite sur une étape, et me conseille de proposer mon idée aux télés. Il me présente Florent HOUZOT, directeur du dispositif sur le Tour de France pour France Télévisions et actuel patron de BeInsport. Je lui explique, j’ai ces données qui permettent de prédire le temps final sur les contre la montre. Il me dit « C’est pas mal, mais c’est un peu juste, reviens l’année prochaine ». Je repars et je vois la télé américaine, j’explique mon idée au responsable d’OLN et il me dit Ok testons ça. Je calcule les chronos prévisionnels  pour les premiers coureurs du contre la montre et donne 3 temps à une seconde prêt.. il me dit « C’est super, combien ça coûte ? » Je suis pris de court, je n’ai même pas d’entreprise. Je lui dis un chiffre. Je me retrouve dans le camion de la télé américaine, je vois les datas qui partent sur les écrans. Et Flo (Florent HOUZOT) voit aussi ces datas dans les écrans de la zone média, et finalement me les demande aussi. Cela a démarré comme ça, encore une fois sans aide, juste avec des personnes qui ont cru en ce que je faisais. J’ai créé ma société Novalimit, et dix ans plus tard, nous travaillons dans des domaines très vastes mais très experts. Actuellement la TV ne représente plus que 10% de notre activité même si nous produisons encore des rubriques Sports-Sciences sur France Télévisions. En partant de rien, nous avons pu couvrir des évènements partout sur la planète, produire 10 ans de datas pour le Tour de France. J’ai eu de la chance, que ce soit à l’AMA, ou à la télévision, d’être reçu et écouté alors que je venais de nulle part! Et moi, aujourd’hui, qui suis plus désormais dans une position de décideur, je fais très attention à bien écouter les gens, même ceux qui peuvent sembler farfelus.

  • Ton action dans le domaine de l’antidopage s’inscrit dans « Athletes for Transparency ». En quoi consiste cette structure ?

Nous avons créé l’Association « Athletes for Transparency » en 2004, avec Cédric FLEURETON, qui à l’époque était l’un des meilleurs triathlètes mondiaux sur courte distance, et Christophe BASTIE, son homologue sur longue distance. Dans l’antidopage, en plus de 10 ans, nous avons réalisé des protocoles de recherche, développé des outils, donné des conférences, participé à des commissions… Par contre je suis toujours resté très proche du terrain. Même si j’ai 45 ans, aujourd’hui, je pourrais aller rouler dans les roues de pros, (pas trop vite quand même), et je continue à m’entraîner en trail avec Cédric… Nous continuons à essayer de résoudre certaines difficultés que présente la lutte antidopage, des difficultés analytiques liées à la détection des substances. Entre 2004 et 2009, nous avons travaillé sur le suivi des athlètes comme avec le protocole AFT en relation avec le passeport biologique. Puis en 2009, nous nous sommes orientés sur la logistique des contrôles antidopage. A l’époque, à l’AFLD, tout se passait par téléphone, le temps d’organisation d’un contrôle était estimé à 3 heures, rien n’était informatisé. Le Président de l’AFLD, Monsieur Pierre BORDRY, a accepté de me recevoir. C’est là le 3ème exemple que lorsqu’une personne croit en ce que tu fais, il peut faire changer les choses. Je lui ai présenté un système pour informatiser toutes les procédures, et aujourd’hui 10 ans après « SAMM» gère 100% des contrôles antidopage de l’AFLD, c’est un système unique au monde. On est passés de 3 heures à 3 minutes de temps d’organisation pour un contrôle. Nous avons ensuite essayer de le proposer à l’AMA dès 2010, mais il y a toujours eu des blocages politiques car techniquement nous étions très en avance…

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  • Aujourd’hui, cherchez-vous encore à convaincre l’AMA ?

Notre philosophie aujourd’hui est que nous ne sommes demandeur de rien. Si des personnes ou des institutions souhaitent collaborer avec nous,  elles savent où nous trouver ! J’ai commencé dans l’antidopage en 2002 et je compte les passionnés sur les doigts d’une main. Il y avait bien sûr par exemple Alain GARNIER l’ancien directeur médical de l’AMA ou Jean-Pierre VERDY l’ancien directeur des contrôles de l’AFLD mais j’ai pu voir aussi soit beaucoup de gens de passage, soit des personnes intéressées et motivées par leur carrière ou leur poste dans une institution. Nous, nous étions présents avant beaucoup de gens désormais en place et sommes toujours là. Nous n’avons jamais cherché ni reconnaissance ni confort matériel. Nous avançons toujours avant tout pour le sport et les sportifs, pas pour nous… Cette année, nous venons de finaliser QUARTZ, un outil de politique de santé à la pointe de tout ce qui existe. En 2014, j’ai aussi bâti un protocole pour tester les méthodes de détection, la base en somme. Nous avons cumulé des prises d’EPO, d’hormone de croissance, de corticoïdes et le recours à une transfusion dans une même étude et nous étions la 1ère équipe au monde à le faire. Nous nous étions simplement mis dans les conditions de quelqu’un qui se dope, toujours proche du terrain donc…

  • Justement à l’occasion de ce protocole, ton travail a été accueilli avec une certaine hostilité. Comme tu l’as aussi connu lors de ton analyse sur les calculs des Watts déployés par Christopher Froome, où tu faisais part de doutes sur ses performanc

Sur l’historique du passeport biologique, nous alertons depuis longtemps les institutions sur les biais juridiques, sur des biais scientifiques. On alerte, il ne se passe rien. Alors, nous décidons de construire ce protocole, et d’utiliser les médias pour montrer non pas que l’outil est mauvais mais les limites du passeport. La voie du passeport est la bonne, mais aujourd’hui, le passeport avec un nombre limité de variables et un seul modèle mathématique, a montré ses limites. Bien sûr, que les institutions étaient informées de notre protocole ! On n’a pas voulu mettre de l’huile sur le feu, nous n’avons pas publié nos mails ni répondu aux communiqués de presse, pour ne pas les mettre en porte à faux. Les résultats parlent d’eux mêmes. Nous avons fait 9 prélèvements en 45 jours sur chaque athlète, à des moments-clefs pour favoriser la détection, et on n’a rien trouvé ! Aujourd’hui, le passeport est donc facile à contourner.

  • Et dans le cas de Christopher Froome ?

Et pour FROOME, c’est la même chose. En 2004, Alain GARNIER me commande une étude sur les watts, car en cas de dopage, le gain se fait en cyclisme sur la puissance développée. Nous appliquons notre méthode non volontairement publiée, et Lance ARMSTRONG sort avec 100% de probabilité de dopage. Cette note officielle date de 2004 et il a fallu quasi 10 ans pour que les choses s’inversent pour ARMSTRONG dans les institutions… De même après avoir produit 10 ans de statistiques pour le Tour de France, et bien quand je vois les performances de FROOME, il y a des choses qui m’intriguent. Soit il a vraiment un profil atypique, et dans ce cas-là, en publiant toutes ses données, et pas des choses parcellaires, nous pourrions abonder dans son sens; soit il y avait une aide mécanique et/ou du dopage. Nous avons simplement voulu alerter qu’avec la même méthode utilisée pour Lance ARMSTRONG en 2004, le profil de FROOME était pour nous anormal en 2015. Quand la TV a diffusé le reportage en 2015, cela a été un tollé de quelques chercheurs qui se comptent sur les doigts d’une main et qui ont parlé de méthode non publiée et ont cherché à nous donner des leçons de morale. En fait, je ne donne pas beaucoup d’informations sur la méthode, pour éviter que cela soit récupéré.  Pour en revenir à FROOME, je dis qu’il avait à l’époque des données anormales, mais peut-être qu’il a un profil atypique, je ne sais pas. Aujourd’hui, quand tu vois la tourmente en Angleterre avec la SKY, on peut dire que j’étais peut-être dans le vrai deux ans trop tôt. Pour ARMSTRONG aussi à l’époque j’avais reçu beaucoup de critiques surtout que je travaillais sur le Tour de France. Nous avons vu le résultat. Moi, mon avis était scientifique, non  basé sur du subjectif et des impressions. Je ne démords pas de mes conclusions sauf si on me fournit l’ensemble des éléments déjà demandé à la SKY et qui permettraient de statuer clairement. Pour FROOME, il reste bien évidemment toujours l’option qu’il ait un profil complètement différent. Mais aujourd’hui, ce qu’on a vu depuis autour de la SKY cela ne va pas dans le bon sens. D’ailleurs il sera difficile de savoir puisque le médecin de la Team SKY a déclaré en commission cette année avoir perdu toutes les données médicales suite à un vol d’ordinateur. Heureusement que dans QUARTZ, nous avons des sauvegardes…

  • Cette hostilité est-elle facile à vivre pour toi ou bien estimes-tu que c’est la règle du jeu de l’antidopage ?

L’antidopage aujourd’hui est ultra politisé. Il y a des intérêts personnels avant tout. C’est pour cela que je n’ai jamais voulu vivre de l’antidopage. Demain, je peux tout arrêter, ça ne changera rien à ma vie contrairement à beaucoup d’autres! Il y a énormément d’intérêts économiques, d’intérêts d’images. Le monde institutionnel est un peu en faillite dans la lutte antidopage, mais il fait bloc avec l’idée que si on montre que notre défaillance est collective, tout va s’effondrer, et ce n’est pas bon. Ce qui est peut-être vrai. Alors, ils se soutiennent. Dans les années 2004-2010, c’était terrible, je me suis retrouvé devant des pseudos « tribunaux », j’ai été menacé d’attaques en justice, on m’a dit que ce que je faisais était interdit. J’ai eu des attaques de beaucoup de gens, la dernière est celle de Brailsford, le patron de l’équipe SKY. Et au final, il ne se passe jamais rien, car je ne suis jamais dans le subjectif. Il y a énormément de pressions, car il y a énormément d’intérêts. Il y a 10 ans, nous étions très seuls face aux institutions, qui nous percevaient comme si on voulait leur nuire alors que nous sommes en théorie dans le même camp. Ils sont dans la crainte, car beaucoup de gens ont des casseroles. Nous avons pu en avoir un aperçu avec les révélations d’ARD et des Fancy Bears. En 10 ans, nous avons obtenu énormément d’informations, et aujourd’hui, nous sommes craints car nous savons où il faut taper pour faire mal; nous savons ce qui s’est passé ou ce qui se passe dans beaucoup de systèmes mais essayons plutôt de les faire évoluer que de les descendre en flamme. Si nous sommes faussement attaqués ou diffamés, nous saurons comment répondre. Là aussi, il y a 10 ans, nous étions un peu seuls, mais aujourd’hui, nous avons un réseau sur la planète qui essaie de regarder les choses de manière objective, toi Odile tu en fais partie aussi d’ailleurs! Quand on tape sur un de nous, ce n’est plus sur une personne seule, aujourd’hui, c’est un vrai contre-pouvoir qui existe. Nous restons cependant très constructifs et concentrés sur nos projets. On le voit aujourd’hui avec QUARTZ.

  • A quelles informations as-tu accès ? Et comment obtiens-tu ces informations ?

Aujourd’hui quand on veut savoir quelque chose, on arrive toujours à le savoir ! Nous connaissons énormément de monde, nous avons un vrai réseau. Les gens nous font confiance car nous sommes très discrets; nous avons des informations confidentielles depuis des années que nous ne divulguons pas. Au niveau de ma société, je travaille dans le domaine de la Recherche et du Développement avec beaucoup d’intérêts économiques en jeu. La confidentialité et la discrétion sont les clefs de la réussite dans le temps. Tout est question de confiance. Nous développons ou aidons au développement de produits pour d’importants groupes et donc pour moi, la discrétion, c’est inné. Ce qui est dit entre deux personnes reste entre deux personnes, c’est la base. Dans l’antidopage, je pense que nous sommes respectés car des gens qui nous ont témoigné de leur confiance en nous dévoilant des informations n’ont jamais été trahis. Cela nous permet d’avancer alors que ce serait du caviar pour n’importe quel média.  Aujourd’hui, c’est un réseau avec des personnes qui veulent faire bouger les choses dans le bon sens. Moi, je ne travaille pas dans l’idée de faire tomber les gens, comme à la chasse. Je vois en premier lieu toujours la santé des sportifs, et l’équité des courses. Nous ne sommes pas à la chasse, mais il faut que les règles soient respectées…

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  • Est-ce qu’il y a parfois du découragement ?

Le découragement est venu en souhaitant collaborer avec les institutions. Nous leur disions « Nous avons à apprendre de vous certes mais vous avez à apprendre de nous aussi». Dans l’industrie, avant, dans les grands groupes, les idées venaient quasi exclusivement d’une R&D en interne, alors qu’aujourd’hui, ils ne se privent pas de chasser les idées à l’extérieur et de repérer et suivre les starts-up. Au niveau des institutions tout est toujours cloisonné, beaucoup d’entre elles pensent toujours détenir la vérité absolue. Elles sont encore respectées par ce qu’elles sont, mais non pas par ce qu’elles font. Si elles n’évoluent pas, elles exploseront en vol, c’est une évidence et les signes sont déjà nombreux. Il y a eu non pas du découragement mais plutôt une révélation quand je me suis aperçu qu’on ne peut pas amener les gens là où ils ne veulent pas aller. Le système de la lutte antidopage est aujourd’hui sur une patte, et il peut s’effondrer à tout moment car dans beaucoup de fédérations internationales, il y a des casseroles. Je me dis tous les jours que nous sommes là pour les sportifs, qu’il faut avancer avec rigueur et méthode et que les choses suivront. Nous nous concentrons sur notre travail et pas sur tout ce qui se passe autour. Et c’est quand vous êtes suffisamment avancés, que les gens viennent vous voir. C’est le cas d’ailleurs aujourd’hui avec QUARTZ. Pour répondre à ta question du découragement, il y en a eu un peu, il n’y en a plus, car je vieillis et pense prendre un peu de sagesse… Nous ne cherchons plus directement à avancer avec les institutions mais si elles veulent se joindre à nous, c’est avec grand plaisir.

  • Quel relationnel as-tu avec les sportifs ?

Ce serait à eux de le dire ! Moi, je pense qu’il est excellent, je suis un passionné de sport. Le relationnel passe bien à l’international, même si je sais beaucoup de choses sur beaucoup d’athlètes. Je fais vraiment la distinction, le cercle de mes amis, très fermé, et mes connaissances, un cercle très large. J’ai eu des conversations longues ou me suis entrainés avec des sportifs dont je savais très bien qu’ils étaient dopés, et qui essayaient de me convaincre du contraire. Quand je sors de discussions comme ça, je me dis juste « C’est triste », car sa vie, à titre personnel, est un mensonge.

  • Les dernières révélations Fancy Bears montrent que beaucoup de sportifs passent à travers les mailles du filet. Qu’en penses-tu ?

Ce qui est intéressant est de voir que les questions posées sont périphériques. On se demande comment ont-ils pu obtenir ces données. Moi, je me demande comment le système a pu permettre tout ça sans que personne ne réagisse en interne? La vraie question est là. Pour ma part, rien ne m’étonne dans les informations rapportées. Quand on voit l’AUT de WIGGINS la veille du Tour de France, c’est le schéma classique. Pour moi, Fancy Bears, ils mettent la lumière sur un système que nous connaissons par coeur. La vraie question est de ne pas s’étonner de cette AUT pour un athlète qui a déclaré ne pas avoir recours aux injections mais qu’on nous dise qui est le spécialiste mentionné par la SKY qui a justifié de cette l’injection à WIGGINS; qu’il témoigne que son état de santé le nécessitait. Moi, quand j’interroge des pneumologues, ils me disent qu’ils n’ont jamais fait ça en 30 ans de carrière, et qu’ils ne l’auraient pas fait à un patient pour qu’il fasse le Tour de France. Ca apporte un autre éclairage ! Aujourd’hui, Mo Farah menace tout le monde de diffamation. Mais soit l’athlète est clean, et la Fédération Internationale est là pour nous présenter ses méthodes, et ce qu’elle a fait pour valider que le coureur est clean, ou qu’il est hors normes. Soit il se charge depuis 7 ans, et les institutions n’ont rien vu ??? Cependant, la méthode du hacking, je ne la cautionne pas, car elle n’est pas légale. J’ai toujours travaillé dans la légalité, la seule voie qui selon moi permet de durer dans le temps. Malgré nos connaissances informatiques, nous ne sommes jamais allés chercher des informations de manière illégale. C’est pareil sur le plan financier. Toutes nos informations financières, toute notre comptabilité est en ligne et accessible à tous depuis la création de l’AFT.

  • Justement quel est le budget de « Athletes for Transparency » ? Comment est-il financé ?

D’un point de vue financier, nos moyens sont extrêmement limités. Les recettes viennent de notre travail bénévole, c’est à dire des contrats de développement et de maintenance de SAMM; cela sert à financer nos programmes de recherche, ainsi que d’une prestation vers l’ITRA. Le budget de l’Association  tourne entre 50 et 100.000 euros annuels, réinvestis dans la recherche et le développement d’outils.

  • Quel est le budget d’un protocole comme celui de 2014, ou de ton prochain programme ?

En septembre, nous démarrons un nouveau protocole de recherche autour d’un nouveau marqueur pour la prise d’EPO. Ce projet est celui d’une équipe italienne de l’Université de Milan, celle du Professeur Gaetano CAIRO, et non directement le nôtre. Cette équipe a bénéficié d’une subvention d’une fondation américaine pour réaliser cette étude qui impose des injections d’EPO à des sujets; nous allons d’ailleurs prochainement recruter… Cette équipe ne maîtrise pas les aspects opérationnels, qui nécessitent beaucoup d’autorisations et un certain savoir-faire. Nous venons alors en support de leur étude, pour réaliser cette partie opérationnelle, obtenir les autorisations, trouver les sujets, injecter l’EPO, faire tous les prélèvements. Le budget s’élève aux environs de 60 000 euros pour cette opérationnelle, et au total environ 120.000 euros pour l’ensemble de l’étude de l’Université de Milan.

  • Quelle est l’origine des budgets de « AFT » ?

Nous faisons toujours attention à l’origine des fonds. Nous n’avons jamais eu par le passé de partenaires privés, sauf au démarrage de l’Association avec la Fondation FDJ il me semble. Les choses sont en train de changer car notre savoir-faire est aujourd’hui reconnu à l’international. Aujourd’hui, en-dehors de la maintenance de SAMM et de prestation, seul le CNDS nous octroit une aide qui était de 5000 euros en 2016. Je suis personnellement très attaché à la transparence financière. La traçabilité des flux financiers est une mine d’or d’information. Je me suis construit seul et n’ai pas de problème aujourd’hui avec le principe de gagner de l’argent mais je ne le gagne pas dans l’antidopage, et pourtant, ça me prend bien plus qu’un plein temps!

  • Un expert comme toi peut bien sûr être aussi précieux de l’autre côté, du côté des dopés. As-tu été approché par des gens qui souhaitaient utiliser tes compétences ?

La blague entre nous est de se dire que nous avons loupé notre carrière, que nous pourrions gagner beaucoup d’argent de l’autre côté ! Il y a parfois des sous-entendus, avec certains athlètes, qui essaient de te tester, en pensant que tu es peut-être double. Ils essaient sur le ton de la plaisanterie de demander si tu pourrais m’aider, comment on pourrait faire. Mais je n’ai jamais eu de demandes franches, nettes. Je pense avoir bien montré quel était notre camp et pense être assez identifié. Mais côté dopage, c’est vrai que ce serait un jeu d’enfant de court-circuiter tout le système. C’est malheureux d’ailleurs!

  • C’est aussi ça qui te fait poursuivre dans l’antidopage ?

Oui, je me dis mince, comment se fait-il que dans QUARTZ, on arrive à voir en 3 à 6 mois, que les athlètes sont dopés, et que de l’autre côté, on y arrive au bout de 10 ans ! Entre temps, le dopé a trusté des podiums, de l’argent. On voit le drame des athlètes qui reçoivent leur médaille par la poste. Les primes ne reviennent jamais. Pour moi, aujourd’hui, dans l’antidopage, on ne se donne pas les moyens politiques. Nous, on fonctionne avec des bouts de ficelle, entre 50 et 100.000 euros, en comparaison des millions de la lutte antidopage c’est très peu. Ce qui me dérange est qu’aujourd’hui, il y a moyen de faire simple et efficace mais les choses ne bougent que très lentement. On ne pourra jamais empêcher un athlète de se doper mais on peut le voir facilement après 3 à 6 mois. Les outils pour le faire existent. Pourquoi on ne le fait pas? Pour des raisons aussi bien politiques que techniques. Les structures ne sont pas réellement indépendantes. L’« Integrity Unit » d’une fédération reste financée par cette même fédération. Pour les JO, si 100% des personnes impliquées dans les contrôles antidopage étaient extérieures au pays, il y aurait une garantie de sérieux et on pourrait alors parler d’indépendance. Mais au final tout le système est en pratique globalement géré par le pays organisateur avec un maillon national, c’est la clef d’une dérive comme on a pu le voir à Sotchi qui, selon moi, n’a pas été un cas isolé… Tu peux ne pas analyser les échantillons, tu peux faire des faux, il y a tellement de façons de tricher. Ca reste de l’humain. Il y a des gens dans les fédérations qui disent qu’ils n’ont rien vu, mais comment est-ce possible ? Je prends le cas d’un entraîneur, quand il te dit «Je ne savais pas» moi je réponds, soit tu es un mauvais entraîneur soit tu es complice. Car ce n’est pas possible de ne pas voir ! L’antidopage, c’est pareil quand le système dérape, soit tu n’es pas bon, soit tu es complice. Malheureusement, tu peux être aussi complice sans être coupable.

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  • Quel est le lien entre AFT et Novalimit ?

Aucun, juste qu’il y a du « Pierre SALLET » dans les deux. Dans les faits, c’est très compliqué à gérer, je ne vais pas me couper en deux ! J’essaie de cloisonner ces deux activités, la lutte antidopage et mon entreprise. Je ne parle jamais spontanément de Novalimit dans la sphère de l’antidopage et inversement, mais c’est souvent les gens qui l’abordent en ayant fait des recherches sur internet. Je fais attention à ne pas tout mélanger et me prive de certains marchés du fait d’être impliqué dans la lutte antidopage. C’est un choix. Dans le monde anglophone, cette multi-activité est perçue de manière extrêmement positive, en France, plutôt de manière négative : comment tu peux être expert ici et expert là ???

  • Quels produits as-tu développés dans ton activité dans « Novalimit » ?

Beaucoup, mais ce dont je peux parler, c’est très peu de choses… Nous avons par exemple lancé un produit nommé « HYPOX» il y a 5 ans, qui permet de travailler la ventilation à l’entraînement ou par exemple « NOVALeg » il y a 2 ans. Nous développons et effectuons des tests et des études cliniques pour des produits sous accord de confidentialité. Nous travaillons plutôt dans les domaines qui impliquent l’Homme et son environnement, comme dans le médical ou le sport, et le spatial bientôt je l’espère. Actuellement, par exemple nous développons un tee-shirt révolutionnaire qui sortira en 2018 avec deux entreprises partenaires mondialement implantées. Notre fonctionnement est organisé avec une vingtaine de personnes dans des structures périphériques qui vont de l’ingénierie informatique, la plasturgie, le textile, les matériaux composites, les systèmes embarqués, l’électronique…. Ce sont les mêmes depuis 10 ans

  • Ta casquette « antidopage » est-elle utile pour ce travail ?

Elle n’est pas du tout utilisée, et très occultée. Et de plus en plus. Après les gens me reconnaissent parfois pour mes activités au niveau de la lutte antidopage ou des analyses que j’ai pu faire dans le sport sur des plateaux TV et ça peut parfois aider. Pour l’instant je souhaite rester plus en retrait, c’est plus simple pour tout.

  • Tu es tout de même souvent présent dans les médias pour parler du dopage.

Je pourrais intervenir beaucoup plus ! On me sollicite en France et à l’étranger, j’essaie d’accepter dans le peu de temps qu’il me reste, car je veux que ça bouge ! En effet ça fait 10 ans que je vis les mêmes histoires, des Lance ATMSTRONG, des MO FARAH, toujours innocent jusqu’à la preuve du contraire et on verra ce que la procédure de l’USADA donnera, le dopage en Russie, au Kenya, la championne olympique du marathon, où ce n’est pas l’IAAF qui « va la chercher » mais le circuit des majors, c’est-à-dire un système privé alors qu’on a un système dédié qui est là pour ça, si ce n’est pas un signe ? A la fin tout ceci est usant. Certaines chosent marchent bien oui, même avec des limites. Le test EPO par exemple même si il est contournable, il limite son utilisation et empêche des morts comme dans les années 1990/2000. Mais d’autres choses ne fonctionnent pas du tout. Certaines personnes se battent avec conviction pour la lutte antidopage alors que d’autres ne font que profiter du système. J’essaie donc d’utiliser les médias pour rétablir une certaine vérité, car il y a un décalage énorme entre la réalité de l’antidopage et la perception du grand public. Il y a des phrases clefs « Tous Dopés ! » Non, ce n’est pas vrai il y a des champions olympiques parfaitement clean. Il y aussi l’idée « De toute façon dopage ou pas, c’est les mêmes résultats ». Et bien non, car tout le monde ne réagit pas pareil aux substances. Un classement « clean » n’est pas le même qu’un classement où tous les athlètes seraient dopés à l’identique. Tous ces clichés qu’on voit dans les médias, c’est pesant. Certaines stars qui s’accaparent une discipline, qui sont mis en avant par leur fédération, leur team ou leur club, que tu vois dans tous les médias alors que nous savons pertinemment qu’ils trichent et se dopent. Comment est-ce possible ??? Vous cultivez votre image sur des gens qui trichent, c’est votre droit mais ne dites pas que la solution au dopage n’existe pas et que vous faites le maximum ! Quand on me demande mon avis, je le donne toujours sur des bases scientifiques, jamais sur des éléments subjectifs. Dans toutes mes interventions, il y a des chiffres. Je ne suis là que pour amener des faits vérifiables…

  • Interview réalisée par Odile Baudrier
  • Photos de Gilles Bertrand