Les préleveurs anti-dopage ont accueilli avec hostilité la réforme de leurs rémunérations décidée par l’AFLD à l’automne dernier. Les tentatives de dialogue avec la direction de l’Agence Française Anti-Dopage n’ayant pu aboutir, une association a été créée pour fédérer ces préleveurs, à la fonction évidemment indispensable à la lutte anti-dopage, et qui dressent un constat amer de leur collaboration avec l’instance nationale.
Un rôle essentiel, une passion forte, et pourtant un constat finalement amer. C’est le bilan qui peut être dressé à entendre les préleveurs anti-dopage, ces hommes et ces femmes chargés de se rendre au domicile d’un sportif, sur un terrain de sport, sur un lieu d’entraînement, pour recueillir les précieux échantillons des sportifs destinés à être vérifiés pour détecter la présence ou non de produits interdits par les règles.
Ces préleveurs, habitués à agir dans l’ombre de l’anti-dopage, sont apparus dans la lumière en fin d’année dernière, à la suite d’un conflit sur le montant de leur rémunération unilatéralement décidée par l’AFLD. Une méthode somme toute très logique, le statut de ces préleveurs ne leur confère pas le droit d’avoir une représentation quelconque auprès de la Direction de l’AFLD, qui les emploie en tant que vacataires.
Mais cette réforme décidée à l’automne 2018 a créé des tensions très fortes chez les préleveurs, s’estimant complètement lésés par le nouveau mode de calcul adopté par l’Agence. Au point qu’un certain nombre d’entre eux a décidé de se regrouper au sein d’une association, l’ADOC, pour « Association Doping Officers Control » et de se lancer dans une action auprès du Tribunal Administratif, pour obtenir que la revalorisation des prestations soit annulée, compte tenu de la baisse des rémunérations qu’elle provoque.
Avec l’ambition clairement annoncée par le Docteur Lemaire, président de l’ADOC, et François Levan, respectivement préleveur dans les Hauts de France et en région PACA, de se présenter comme une force d’interposition face à l’AFLD. Car tous les deux sont formels, une réforme des rémunérations avait bien été annoncée par l’AFLD, via les CIRADE, les correspondants anti-dopage qui font l’interface entre les préleveurs et l’AFLD, mais la présentation faite laissait entendre qu’elle règlerait trois points particuliers, considérés comme mal rémunérés.
La réalité allait se révéler toute autre, et les premiers mois de mise en action de ce nouveau mode de calcul leur permet d’évaluer une baisse de rémunération se situant entre 25 et 27%, sur la base de statistiques effectuées sur une dizaine de préleveurs, pour un total de 200 à 300 prélèvements depuis la mi-novembre. Et à l’affirmation par Mathieu Teoran, le secrétaire général de l’AFLD, que le budget global n’a pas été diminué, et que donc les préleveurs ne peuvent être lésés, leur réponse est sans appel : « En fait, il y aura plus de contrôles pour le même budget global. Cela signifie bien que notre rémunération baisse ! »
Les préleveurs se déclarent indisponibles
Une certitude étayée par plusieurs exemples, qui les amène à un recours devant le Tribunal Administratif, et qui a incité un certain nombre de préleveurs (sans qu’un chiffre précis ne puisse être obtenu) à se déclarer indisponibles pour des missions de contrôle, et en particulier pour les contrôles hors compétition, qui sont les plus gourmands en temps.
Mais cet aspect des revenus a amené ces préleveurs, qui peuvent être des médecins, des infirmiers, des vétérinaires, des kinés, des préleveurs de laboratoire, à faire le point sur leur collaboration avec l’AFLD, pour en dresser finalement un constat plutôt amer. Comme le résume le Docteur Lemaire : « La façon de procéder qu’ils ont est de montrer qu’il y a un mépris total, et aucune reconnaissance de notre travail. » Et c’est là que le bât blesse particulièrement ces hommes et femmes souvent très passionnés par la lutte anti-dopage, au point d’effectuer un véritable travail préparatoire en préambule de leurs prélèvements pour mieux connaître les sportifs qu’ils rencontreront.
Comme le duo dirigeant l’ADOC le reconnaît, un certain nombre des préleveurs effectue ce travail pour de simples raisons pécuniaires, mais pour beaucoup, il s’agit plus d’un engagement dans cette action, d’une volonté de s’immerger dans le sport sous cette casquette parfois difficile à porter.
Des tensions lors des contrôles
Car il faut les écouter raconter ces contrôles très souvent compliqués. Par des aspects matériels, comme l’absence de local dédié à l’anti-dopage, ou de toilettes, qui les oblige à jongler avec ces contraintes techniques. Mais surtout par le climat régnant durant les contrôles. Par exemple, lors d’entraînements en sport collectifs, où les joueurs deviennent hostiles face à ette perte de temps. Même si les choses se passent souvent très bien, les tensions ne sont pas rares, et les tristes anecdotes fourmillent. Le contrôleur qui a dû demander à un policier de le raccompagner à sa voiture après un contrôle. Celui qui craint d’être tabassé los d’un match de kick boxing. Le préleveur bousculé dans un vestiaire lors d’une compétition de hockey sur glace, et qui au moment d’établir un rapport, voit les trois adjoints de l’entraîneur lui rétorquer qu’ils n’ont rien vu. Ou encore le médecin contraint d’accepter un rôle très limité lors des contrôles sur les courses de vélo, avec le constat que les médecins UCI décident de tout, y compris du tirage au sort, et leur demandent de se contenter de signer les bordereaux.
Autant de situations délicates qu’ils vivent, mais qu’ils n’arrivent pas à faire remonter au plus haut niveau de l’AFLD, et leur jugement est sans appel : «D’une façon générale, quels que soient les éléments qu’on rapporte à l’AFLD, ça ne sert à rien.» Avec en conclusion le sentiment que l’instance qui les emploie pour ces contrôles ne les associe pas vraiment au process de lutte anti-dopage. C’est ainsi qu’en cas de contrôle positif suite à leur prélèvement, ils ne sont pas informés.
La création de cette association n’a pas fait réagir, à ce jour, l’AFLD, qui campe sur sa position, comme me l’a confirmé Mathieu Teoran, le secrétaire général, estimant n’avoir pas de commentaires supplémentaires à faire sur ce dossier délicat.
Dommage tout de même que les synergies entre ces divers acteurs de l’anti-dopage ne puissent se mettre en place, pour une meilleure traque des tricheurs…
- Texte : Odile Baudrier
- Photo : D.R.