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5000 mètres, une distance en souffrance

Mo Farah leader du 5000 m depuis 2012
Mo Farah leader du 5000 m depuis 2012

 

Autant sur le plan mondial qu’à l’échelle nationale, les bilans chronométriques sur 5000 mètres hommes témoignent d’une nette érosion des performances. Les raisons sont multiples, une certaine efficacité de la lutte antidopage, la fuite des coureurs vers le marathon, le manque de courses en France mais également au plan mondial…Analyse. 

 

Le site américain Letsrun publiait tout récemment une liste des performances enregistrées sur 5000 mètres avec deux critères significatifs : le meilleur temps mondial de l’année et le nombre de coureurs ayant réalisé moins de 13 minutes sur cette distance.
Il est notable que ces quatre dernières années sont les plus faibles jamais enregistrées en densité, tout particulièrement 2016, pourtant année olympique, avec un leader mondial, Mo Farah qui avec 12’59’’29 réalise le temps le plus lent depuis 23 ans sur 5000 m, un indice confirmé par un nombre de coureurs sous les 13 minutes (seulement 4) le plus faible depuis 22 ans.
C’est bien un effondrement des performances que l’on enregistre. Lorsque l’on compare ces 4 dernières saisons avec les années 2009 – 2012 ou bien encore 2003 – 2006 nous trouvons jusqu’à 19 coureurs sous les 13 minutes telle l’année 2006 dominée outrageusement par Kenenisa Bekele, le recordman du monde avec 12’37’’35, lui-même pointé 5 fois sous cette marque en une saison estivale.

Alors comment expliquer cette dérive des chronos ?

Par un manque de 5000 dans les meetings ? Oui c’est indéniable. Le 5000 et le 10 000 sont devenus les parents pauvres des grandes réunions d’athlétisme où l’on cherche à construire autant pour le public présent dans le stade que pour une éventuelle retransmission télévisée, un spectacle vivant sans temps mort sur la piste, sans courses longues et ennuyeuses, disputées au train et bouclées le plus souvent à l’occasion d’un sprint long.
Par une intensification des contrôles anti-dopage, la peur du gendarme, la peur du retesting d’échantillons prélevés dans le passé, la peur d’éventuelles enquêtes policières sur les filières d’approvisionnement, la peur d’être débusqué à travers les analyses du passeport biologique ? Incontestablement, la lutte anti dopage même imparfaite porte ses effets.
Le 5000 (comme le 10 000) a été totalement perverti par l’usage massif de l’EPO. Cela se traduit aujourd’hui par un effondrement des performances. La liste ci-dessous le spécifie avec clarté.

Année Temps du leader mondial Nombre de coureurs sous les 13’
2016 12’59’‘29 4
2015 12’53’‘98 6
2014 12’54’‘83 4
2013 12’51’‘34 7
2012 12’46’‘81 16
2011 12’53’‘11 13
2010 12’51’‘21 17
2009 12’52’‘32 15
2008 12’50’‘18 6
2007 12’49’‘53 8
2006 12’48’‘09 19
2005 12’40’‘08 17
2004 12’37’‘35 11
2003 12’48’‘81 13
2002 12’55’‘85 7
2001 12’56’‘72 6
2000 12’49’‘28 12
1999 12’49’‘64 10
1998 12’39’‘36 7
1997 12’39’‘74 8
1996 12’45’‘09 10
1995 12’44’‘39 4
1994 12’56’‘96 1

Autre élément d’analyse pouvant expliquer une telle chute des performances, l’attrait du marathon au détriment du 5000 et du 10 000 m. Avec l’émergence d’une économie et d’un marché course sur route florissants, le hors stade a siphonné progressivement les pelotons du demi-fond long. Il s’agit désormais d’un marché mondialisé, richement doté, totalement ouvert, voire anarchique et peu contrôlé alors que le 5000 – 10 000 ne réserve que très peu de places et uniquement à une élite mondiale réduite.

Alexandre Saddedine l'un des espoirs du demi fond français
Alexandre Saddedine l’un des espoirs du demi fond français

 

Et la France dans tout cela ?

Le bilan 5000 hommes et le moral des troupes sont au plus bas. Quand en 1988 année des J.O. de Séoul, on enregistre jusqu’à 30 coureurs français sous les 14’ avec comme leader Pascal Thiébaut, 13’17’’48 cette année là, ils sont désormais moins de 10 sous ce seuil, 8 en 2013, 7 en 2014, 5 en 2015 et 7 cette année dont 2 espoirs et un junior Jimmy Gressier.

Depuis 1988, ce nombre n’a jamais cessé de descendre avec 23 en 1992 (Tony Martins 13’14’’47), puis 12 en 1996 ((Mustapha Essaid 13’27’’95) pour se stabiliser autour de ce chiffre jusqu’en 2012. Une décade de déclin au cours de laquelle même l’arrivée des Légionnaires n’a pas permis au 5000 de relever la tête.

Les raisons d’un tel déclin sont-elles les mêmes qu’au niveau mondial ?

La lutte antidopage a effectivement mis à genoux certains leaders nationaux. Le 5000 – 10 000 a également été vampirisé par la route et le triathlon, à très court terme, il le sera aussi par le trail. Le manque de 5000 dans le calendrier français, tous les demi-fondeurs français et leurs entraîneurs le déplorent, des initiatives de type Carquefou, Montbéliard font défaut alors que les meilleurs français sont « barrés » pour rentrer en grands meetings. Mais plus sûrement, c’est le sentiment d’impuissance qui a tétanisé le demi-fond français incapable de trouver sa place dans un contexte international ultra dominé par les coureurs Est Africains. Enfin, le manque de structures d’entraînement professionnelles telles que l’on retrouve aux Etats Unis (lire l’article) ne permet pas non plus de s’épanouir et d’investir sur une carrière pro ou semi pro en toute sécurité financière à l’heure des choix cruciaux entre études, vie de couple et/ou sport de haut niveau.

> Texte et photos Gilles Bertrand

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